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Dans POLITIS N°1252
Sandrine Mansour-Mérien : « Un enjeu pédagogique »
Sandrine Mansour-Mérien évoque l’accueil réservé à son étude par les éditeurs de manuels scolaires et l’Éducation nationale. Parmi les éditeurs concernés par l’étude de l’historienne sur le traitement du conflit israélo-palestinien par les manuels de terminale, seul le directeur de Belin a réagi et promis d’apporter des modifications. Le 28 septembre, un colloque au Sénat poursuivra l’étude de cette question. À la suite de votre étude, avez-vous pris contact avec les éditeurs et avec le ministère de l’Éducation nationale ? Sandrine Mansour-Mérien : Nous avons décidé d’en présenter une première analyse lors d’une conférence-débat organisée à la Fête de l’Humanité en septembre dernier. Tous les éditeurs ont été invités mais ils ne sont pas venus. Cependant, David Colon, directeur de l’édition Belin, nous a écrit par la suite pour s’excuser et dire qu’il était désireux de lire nos remarques critiques. Nous avons aussi bien sûr contacté l’Éducation nationale et notamment l’Inspection générale. Comment ont été reçues vos observations ? Peut-on espérer que des changements soient apportés ? David Colon a accepté de nous recevoir et nous avons donc fait un point historique complet sur le chapitre du monde arabe. Il a pris note et a constaté qu’en effet nos analyses étaient justes et a promis de faire des modifications dans ce sens. Nous verrons ce qu’il en est. Quant à l’Éducation nationale, il faut savoir qu’il n’y a pas de « manuels d’État officiels », mais une responsabilité politique dans les programmes. Puis vient la responsabilité dans les recommandations aux enseignants, puis celle des éditeurs et au final la responsabilité des enseignants dans leur présentation aux élèves. Il n’y a pas de chef d’orchestre, mais une responsabilité partagée. Le débat est très vif aussi sur ce sujet en Israël et en Palestine. Où en est-on ? En Israël, parmi les universitaires qui travaillent sur la question, nous citons Nurit Peled-Elhanan, qui a détaillé son analyse dans un livre intitulé Palestine in Israeli School Books. Elle constate notamment que l’objectif du projet sioniste à travers les livres scolaires « est de créer une identité homogène pour toutes les ethnies juives en Israël (le plus connu des slogans des politiciens israéliens est : “Une Nation – Un cœur !”), tandis qu’il tente d’effacer – physiquement et moralement – les traces d’une présence continue palestinienne sur la terre » (p. 15). Parmi cet effacement, il y a l’interdiction d’enseigner la « Nakba », mais aussi le rôle de la représentation iconographique qui dépeint les Palestiniens comme des Bédouins sur des chameaux face à des Israéliens citadins et modernes. Où en est la préparation du colloque du mois de septembre ? Pour continuer l’activité du groupe de travail de l’association France Palestine solidarité, il a été décidé d’organiser un colloque international, le 28 septembre prochain au Sénat, avec Nurit Peled-Elhanan pour les livres scolaires israéliens, Samira Alayan pour les livres scolaires palestiniens, Michael Walls pour les livres scolaires suédois et moi-même pour les manuels français. Nous sommes accompagnés dans cette démarche par le Comité inter-universitaire de coopération avec les universités palestiniennes, ainsi que par l’Institut de recherches de la FSU, tous les deux intéressés par l’enseignement. On voit donc l’aspect important de la question, à la fois historique, bien sûr, et pédagogique. Parmi les invités, nous attendons tous les rédacteurs et éditeurs des manuels scolaires, mais aussi des élus, des représentants des instances de l’Éducation nationale, les syndicats d’enseignants, les associations de professeurs d’histoire-géo, les associations de parents d’élèves, les mouvements pédagogiques, la presse spécialisée et les mouvements d’éducation populaire. Nota Bene :Sandrine Mansour-Mérien est docteur en histoire et chercheuse au Centre de recherches en histoire internationale et atlantique à l’université de Nantes. Elle vient de publier l’Histoire occultée des Palestiniens (1947-1953) aux éditions Privat. ________________________________________
Des manuels scolaires sous influence
L’historienne Sandrine Mansour-Mérien montre, à partir de l’étude d’ouvrages de terminale, le poids de la propagande israélienne.
Le « partage » : un refus arabe incompréhensibleLe vote de l’ONU, le 29 novembre 1947, appelé souvent « plan de partage », donne notamment lieu à une présentation plus que contestable. Sandrine Mansour-Mérien regrette que les livres scolaires n’inscrivent jamais ce « plan de partage » dans l’histoire d’un projet colonial déjà très avancé. Ainsi, le Nathan Le Quintrec note sèchement : « Le plan de partage de l’ONU est rejeté par les Arabes […]. Pour sécuriser les implantations juives, les autorités sionistes ordonnent la destruction de villages arabes et l’expulsion de leurs habitants (Plan Daleth) » (p. 264). Le « refus arabe » apparaît comme étant à l’origine de la destruction des villages arabes. On ne dit rien du plan lui-même ni de ce que certains historiens israéliens, comme Ilan Pappé, ont qualifié de « nettoyage ethnique ». Le Hachette reprend ce même argumentaire : « Le refus du plan de partage de la Palestine par les Arabes, qui prennent les armes, entraîne des affrontements avec les Juifs, à la fin du mandat britannique » (p. 258). Le Belin va jusqu’à renverser la chronologie : « Le plan de partage du 29 novembre 1947 est refusé par les Arabes. […]. Les États arabes voisins, réunis dans la Ligue arabe créée en 1945, attaquent les Israéliens » (p. 288). Or, la destruction des villages palestiniens, appelée « Plan Daleth », précède évidemment « l’attaque des États arabes » et s’applique à partir du mois d’avril 1948. Sandrine Mansour-Mérien note surtout qu’il n’est jamais fait référence au « découpage qui attribue la majorité du territoire à une minorité ». Un découpage qui accorde 14 000 km2 le long du littoral à 650 000 juifs, et 11 500 km2 enclavés à 1 300 000 Arabes. « L’élève, conclut-elle, ne peut comprendre ni le “refus arabe” ni les conséquences visibles jusqu’à ce jour. » La « Nakba », un mot tabouLe 14 mai 1948, la proclamation de l’État d’Israël (qui n’était prévue par le plan de l’ONU ni à cette date ni dans ces conditions unilatérales) a provoqué la perte de leur pays d’origine pour 800 000 Palestiniens. C’est ce que ces derniers appellent la « Nakba » (la catastrophe). Il n’y est fait référence que dans trois ouvrages, le Nathan Le Quintrec, le Nathan Cote et le Magnard, mais pas avec sa véritable signification. La tentative des éditions Hachette, en 2011, pour se rapprocher de la réalité historique s’était soldée par une pression du Crif (voir l’article du Monde diplomatique du 7 juillet 2011) et par le retrait du mot « Nakba », pourtant « reconnu » par les nouveaux historiens israéliens. Là encore, la chronologie de l’histoire est renversée. Dans le Hachette, c’est la première guerre israélo-arabe de 1948-1949 qui, par la victoire des Israéliens, entraîne « l’exode de plus de 700 000 Palestiniens et le début de l’immigration vers Israël des communautés juives » (p .270). Alors que les massacres et les expulsions avaient commencé bien avant la guerre et « ne sont donc pas, souligne Sandrine Mansour-Mérien, la conséquence unique de la guerre mais d’un projet réfléchi et qui consistait à s’accaparer la terre sans la population ». Le Hatier est le seul manuel à poser l’éventualité d’une « expulsion » dans son commentaire lié à une photo (p. 278) où l’on voit des réfugiés palestiniens sur une route : « Expulsion ou départ volontaire ? », s’interroge la légende. La palme, si l’on peut dire, revient au Magnard, qui fait mention de la Nakba mais la définit comme étant « la fuite des Arabes de Palestine » (p. 258). Dans le Bordas, les réfugiés palestiniens sont « une conséquence du conflit » (p. 248). Dans le Belin, c’est « la première guerre israélo-arabe [qui] provoque une recomposition démographique », « terme subtil, note Sandrine Mansour-Mérien, pour éviter de parler des expulsions ». Jérusalem : le seul point de vue israélienLa conquête militaire de Jérusalem, en juin 1967, puis l’annexion de la partie orientale de la ville donnent également lieu à un festival de contre-vérités et d’omissions. Plusieurs livres scolaires reprennent à leur compte la justification religieuse de cette annexion. Comme s’il s’agissait de « documents de propriété immobilière et comme s’ils étaient incontestables d’un point de vue historique », déplore l’historienne. Certains livres, afin de légitimer l’occupation par la religion, n’hésitent pas à utiliser une maquette du temple de Salomon à l’emplacement de l’esplanade des Mosquées. C’est le cas du Bordas (p. 24) et du Belin (p. 28). Nathan STG, Magnard, Nathan Le Quintrec, Hachette et Belin illustrent l’entrée dans la partie orientale de Jérusalem par une photo montrant la joie des soldats devant le mur des Lamentations. Rien sur l’illégalité de la « réunification » de la ville du point de vue du droit international. Deux livres (Bordas et Magnard) ajoutent une photo du « déblayage » devant le mur. Rien sur le fait que ce « déblayage » a consisté à expulser des centaines de personnes et à raser leurs maisons (lire The Bible and Zionism, de Nur Masalha). Le Nathan Cote présente un article intitulé « L’entrée des Israéliens à Jérusalem : un soldat israélien décrit son émotion après son entrée à Jérusalem-Est ». Aucun texte ne décrit l’émotion des Palestiniens sous occupation militaire. Lorsque le dôme du Rocher (appelé parfois mosquée d’Omar) est évoqué, ce n’est pas pour rappeler l’importance de la ville dans la tradition musulmane, mais uniquement pour en souligner l’architecture remarquable. Aucune mention de la colonisation dans Jérusalem-Est depuis 1967, ni des destructions de maisons patrimoniales, ni de l’expulsion de familles et de l’installation de colons très virulents en lieu et place de la population d’origine. Le mur : une simple barrière de séparationQuant au mur, dont la construction a été entreprise à partir de 2002, il donne lieu à beaucoup d’inexactitudes. On omet par exemple de mentionner qu’il vise à inclure du côté israélien des colonies construites en Cisjordanie et à annexer une part supplémentaire du territoire à Israël. On oublie aussi de préciser que cette construction a été condamnée en 2004 par la Cour pénale internationale (CPI) et qu’elle ne correspond pas à la frontière dite de 1967, qui se rapportait aux lignes d’armistice signées en 1949. Enfin, c’est systématiquement la terminologie israélienne qui est utilisée pour désigner ce mur, « barrière de séparation » pour le Nathan Le Quintrec ou le Bordas, « mur de sécurité » pour le Belin ou le Bordas, ou « mur de séparation » pour le Magnard ou le Nathan STG. Les raisons invoquées sont toujours celles de la sécurité israélienne. Comme si la violence israélienne, l’occupation militaire et la colonisation n’existaient pas. « Construit par Israël depuis 2002, le mur de séparation est une des réponses aux attentats en Israël depuis le début de la seconde intifada en 2000 » (Magnard, p. 267). « En avril 2002, suite à une vague d’attentats qui a fait près d’un millier de victimes, le gouvernement d’Ariel Sharon a décidé de construire un mur continu le long de la Ligne verte, ligne d’armistice de 1949 et “frontière” établie en juin 1967 » (Belin, p. 295). Ce qui, on l’a vu, ne correspond en rien à la réalité. Les conséquences de la construction de ce mur – expropriations de nombreuses terres agricoles, encerclement de villes et de villages, vol des ressources en eau, villes coupées en deux – sont totalement occultées. La colonisation ? Tout juste des points sur des cartesAu centre du projet israélien depuis 1967, la colonisation n’apparaît que sur certaines cartes qui mentionnent la présence de colonies. Mais aucun manuel ne montre la réalité de la colonisation : pas de photo de barrages israéliens avec les files de Palestiniens, de colonies qui surplombent les villes palestiniennes, des systèmes d’évacuation des eaux usées des colonies sur les villes et les villages palestiniens. « L’élève qui ne connaît pas la situation ne peut comprendre la nature de l’entreprise coloniale », conclut Sandrine Mansour-Mérien. Des Palestiniens toujours « terroristes »La violence coloniale étant occultée, la lutte des Palestiniens en devient incompréhensible. Il ne peut y avoir de « résistance » à un processus colonial qui n’est pas décrit, mais seulement du « terrorisme ». Citons par exemple : « À partir des années 1970, un nationalisme palestinien se réaffirme avec l’OLP et son chef, Yasser Arafat. L’OLP appuie ses revendications sur la question palestinienne (retour des réfugiés, libération des territoires occupés) et le refus de la reconnaissance de l’État d’Israël. Elle s’engage dans des actions de guérilla et de terrorisme, menées par les fedayins, depuis les camps de réfugiés en Jordanie et au Liban » (Hachette, p. 270). Israël est toujours en position défensive. « L’OLP fait désormais de la lutte armée et des attentats terroristes, en Israël et dans le monde entier, ses principaux moyens d’action. Plusieurs opérations spectaculaires, comme le détournement d’avions ou le massacre des athlètes israéliens, lors des Jeux olympiques de Munich, en 1972, indignent l’opinion internationale et sont condamnées par plusieurs États arabes » (Nathan Cote, p. 286). Aucun manuel ne mentionne que l’OLP avait condamné cette attaque. Quant aux attaques israéliennes, elles sont toujours justifiées : « En 2006, Israël intervient au Liban pour affaiblir le Hezbollah et en 2009 pour faire cesser les tirs de roquettes depuis Gaza » (Magnard, p. 266). Rien sur l’occupation du Sud-Liban, rien sur le blocus qui étouffe la population de Gaza. Le lien de cause à effet présenté aux élèves est constamment inversé. Le Belin termine le chapitre par le sujet de bac intitulé « Le terrorisme palestinien des années 1960-1970 »… [1] (1) Nathan Cote TES/L 2012, Belin TES/L 2012, Hatier TES/L 2012, Hachette TES/L 2012, Magnard TES/L 2012, Nathan Le Quintrec TES/L 2012, Belin TES/L 2012, Hachette Bac Pro 2011, Foucher Bac Pro 2011, Belin Bac pro 2011, Nathan STG 2007. |