Il n'y a pas que les monarchies pétrolières qui disposent
d'une puissance économique au Proche-Orient. Israël a désormais les
moyens de les rejoindre, en mettant ses ressources gazières au service de
la coopération régionale, et in fine de la paix. Dans le grand jeu
énergétique proche-oriental, Israël possède deux atouts maîtres :
Tamar et Léviathan. Encore faut-il que le gouvernement de Benyamin
Nétanyahou fasse preuve de vision pour jouer le jeu de cette " diplomatie
du gaz ".
Les deux gisements sont situés au large d'Haïfa, dans
cette partie orientale de la Méditerranée où au moins quatre pays -
Israël, Liban, Egypte, Chypre - disposent de bassins gaziers dans leur
zone économique exclusive. Pour Israël, la découverte de Tamar et
Léviathan a représenté une divine surprise, dont - et ce n'est pas la
moindre - celle de pouvoir rompre une dépendance énergétique avec
l'Egypte, qui a fourni près de 50 % du gaz israélien jusqu'en 2010.
Avec Tamar (282 milliards de m3), Israël couvrirait ses
besoins pour les vingt-cinq prochaines années. Et il reste Léviathan :
540 milliards de m3, sans compter d'autres gisements prometteurs !
Que faire de ce pactole ? Le débat entre partisans de la sauvegarde de
l'héritage énergétique des générations futures et défenseurs
d'exportations susceptibles de remplir les caisses de l'Etat se poursuit. Mais le gouvernement a tranché le
23 juin : environ 540 milliards de m3 seront consacrés à un usage
domestique, le reste (40 %) pouvant être exporté.
Au-delà des aspects mercantiles, la dimension géopolitique
du gaz israélien est importante. " Il peut influencer le jeu régional, voire exercer
un impact sur les marchés européen et asiatique, y compris en Inde et en
Russie ", confirme Oded Eran, expert à
l'Institut d'études stratégiques (INSS) de Tel-Aviv. Parmi les pays
candidats au gaz israélien, la Jordanie se détache comme le client le
plus naturel.
Le royaume hachémite a un urgent besoin de combustible
pour faire tourner ses centrales électriques. L'Egypte lui fournissait 80
% de sa consommation jusqu'à la quasi-interruption de cet
approvisionnement à cause d'attentats à répétition contre le gazoduc du
Sinaï. Le gouvernement israélien a pris la décision de principe de fournir
du gaz à son voisin d'outre-Jourdain, mais le roi Abdallah II, pour ne
pas donner des arguments aux islamistes à l'affût de toute coopération
avec l'" entité sioniste ", reste discret.
L'important étant de ne pas laisser de " signature
israélienne " sur un accord gazier, des exportations indirectes, via
une compagnie intermédiaire, pourraient intervenir assez vite. L'autre
partenaire potentiel est la Turquie, ex-allié stratégique d'Israël et
gros consommateur de gaz naturel (48 milliards de m3 en 2012). La
découverte de Léviathan cadrerait avec la volonté d'Ankara de réduire sa
dépendance de la Russie, qui lui fournit 70 % de ses besoins.
La Turquie dans les starting-blocks
Même si les relations bilatérales se sont fortement
dégradées depuis l'assaut lancé en mai 2010 par la marine israélienne
contre le paquebot turc Mavi-Marmara en route vers Gaza, les hommes d'affaires turcs du secteur
gazier sont dans les starting-blocks. Les deux pays ont été longtemps
liés par une importante coopération militaire et touristique, et leurs
relations commerciales ont été peu altérées par les vicissitudes
diplomatiques.
Aujourd'hui, 80 % du pétrole importé par Israël (de Russie
et d'Azerbaïdjan) transite par la Turquie, via l'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan. Chypre, compte tenu de son gisement
Aphrodite, n'a pas besoin du gaz israélien, mais pourrait servir de point
de transit pour son exportation vers l'Europe. Sauf que c'est une pomme
de discorde potentielle avec la Russie, qui ne verra pas d'un bon oeil la concurrence israélienne.
Restent les voisins immédiats, l'Egypte, et surtout la
Palestine. La première, qui a géré imprudemment sa ressource gazière,
pourrait à l'avenir importer du gaz israélien. Michael Lotem, expert énergétique au ministère israélien des
affaires étrangères, tempère les effets attendus de la " diplomatie
du gaz " : "
Israël a importé longtemps du gaz égyptien, sans que cela change
fondamentalement la nature de nos relations. " " Mais, ajoute-t-il, cela peut être une brique de plus dans
l'édifice bilatéral. "
Ce principe vaut pour les Palestiniens. Les réserves de
Gaza marine, gisement situé au large de l'enclave palestinienne, sont
estimées à environ 38 milliards de m3, soit un patrimoine financier
conséquent pour une Autorité palestinienne menacée de faillite. Sauf que
les responsables israéliens ont des exigences : que le Hamas ne profite
pas de cette manne ; que le gaz palestinien " bénéficie ", lui,
du pipeline sur Ashkelon pour être amené à terre ; et qu'Israël soit le
principal client, à un prix inférieur à celui du marché...
Sans compter ce préalable : tant que la Palestine sera
divisée en deux gouvernements, l'un à Gaza, l'autre en Cisjordanie,
l'eldorado du gaz palestinien demeurera une chimère. Le gaz israélien a
indéniablement vocation à générer des dividendes pour la paix régionale.
A condition qu'Israël manifeste clairement sa volonté de nouer des
partenariats avec ses voisins, et qu'il impose celle-ci aux compagnies
gazières, dont les intérêts ne coïncident pas forcément avec les siens.
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