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Le défi de Mohammad Allan : « Je refuse l’esclavagisme de l’occupation »

Par Fadwa Nassar

Le 11 août 2015

 

En grève de la faim depuis 56 jours, Mohammad Allan (30 ans) est avocat, de la région de Nablus et membre du mouvement du Jihad islamique en Palestine. Il est « détenu administratif », ce qui signifie qu’aucune charge ne pèse contre lui, sinon un dossier secret concocté par les autorités sécuritaires sionistes, qu’il n’a pas le droit de consulter, ni d’ailleurs ses avocats. C’est ainsi que l’entité coloniale tente de briser toute volonté de résistance à l’occupation, en emprisonnant tout Palestinien considéré gênant pour le maintien de son pouvoir colonial sur la Palestine.  Mohammad Allan a décidé d’entamer la grève de la faim lors du renouvellement de sa détention, il y a 56 jours, décidé par un tribunal militaire sur la base d’informations « secrètes ». C’est pour réclamer sa liberté et l’abolition de la détention arbitraire et humiliante de tout un peuple que Mohammad Allan a décidé de réagir, en se privant de nourriture. Arrêté le 16 novembre 2014, sa détention administrative a été renouvelée deux fois. L’enfer supporté par les prisonniers palestiniens détenus administratifs tient à l’incertitude dans laquelle ils vivent, quant à leur libération. Jusqu’à la dernière minute, ils ignorent ce les services sécuritaires de l’occupant ont décidé, soit le renouvellement de leur détention soit leur mise en liberté.

 

Mohammad avait déjà été emprisonné en 2006 (trois ans) puis en 2011, pour ses activités politiques, mais c’est la première fois qu’il est détenu administratif. Lorsqu’il a entamé la grève de la faim, il a déclaré vouloir lutter jusqu’au bout, pour sa liberté  car « la détention administrative correspond à un esclavagisme, et de fait, je refuse d’être l’esclave de quiconque ». Sa lutte rejoint le mouvement initié par sheikh Khodr Adnan qui a réussi, par deux fois (2012 et 2015) à arracher sa liberté, défiant l’occupation et ses services sécuritaires.

 

Comme pour Khodr Adnan, plusieurs prisonniers du mouvement du Jihad islamique sont entrés en grève de la faim, pour soutenir leur camarade de lutte. Ils sont aujourd’hui au nombre de 30, parmi eux les prisonniers Ibrahim et Saddam Harbiyat, Firas Abu Mariya, Ali Saadi Saffouri, Sami Jaradat, Shaher Halahla, Rami Najjar… Ce mouvement de solidarité initié par les prisonniers intervient au moment où le conseil supérieur représentatif des prisonniers du mouvement du Jihad islamique s’est auto-dissous, en signe de protestation contre la politique carcérale de l’occupation, ce qui risque de jeter encore plus le trouble au sein de l’institution carcérale, n’ayant plus d’interlocuteurs pour discuter et négocier. Le mouvement du Jihad islamique, comme le mouvement Hamas, a voulu placer l’institution sioniste devant ses responsabilités et la laisser se débrouiller seule face à des mouvements de révolte et de grève de la faim, où les prisonniers de plusieurs mouvements de la résistance (FPLP, Fateh, Jihad islamique et Hamas) protestent à leur manière : mise à feu des cellules, refus d’obéir aux ordres des geôliers, notamment dans les prisons situées au sud du pays (Ramon et Nafha).

 

Concernant la décision de dissoudre le conseil supérieur représentatif des prisonniers, Khodr Adnan a déclaré que cette décision stratégique a pour but de faire pression sur l’institution carcérale sioniste. Bien qu’une telle décision ait été rarement adoptée par les mouvements de la résistance, elle correspond cependant à une nécessité pour intensifier la lutte, a-t-il ajouté. Pour lui, la dissolution du conseil supérieur représentatif pourrait être suivie de la formation d’un conseil « de l’ombre », ce qui pourrait plonger l’occupant dans l’embarras, puisque ce conseil donnerait des directives qui resteraient ignorées par l’occupant. C’est en quelque sorte comme la dissolution de l’Autorité palestinienne, mais à un autre niveau.

 

Malgré les nombreuses attaques menées contre les Palestiniens (par l’institution militaire coloniale, ses politiciens et ses colons), et notamment l’immolation de la famille Dawabsheh à Doura, il y a deux semaines par les hordes sauvages nourries de sionisme, la question des prisonniers et de leurs luttes dans les prisons de l’occupation bénéficie d’une mobilisation croissante au sein du peuple palestinien, d’autant plus qu’une loi criminelle a été récemment votée par l’organe représentatif des colons, le Knesset, qui autorise à alimenter de force tout prisonnier palestinien gréviste de la faim. Bien que cette loi ait été critiquée par les sionistes libéraux, qui craignent de voir leur entité rejetée au ban de l’humanité, les autorités de l’occupation menacent à présent le prisonnier Mohammad Allan de l’appliquer et le forcer à s’alimenter. Les médecins de l’entité coloniale ont refusé de le faire, à l’hôpital Soroka, et à présent, à l’hôpital Barzalay, craignant d’être placés individuellement sur les listes de boycott, ce qui signifierait la fin de leur participation à des congrès et conférences dans plusieurs pays du monde, et cela pour satisfaire des diables « illuminés ».

 

L’alimentation forcée des prisonniers grévistes de la faim avait cependant été appliquée par les autorités sionistes dans les années 80, même sans loi, car l’entité coloniale n’en ressent pas toujours le besoin. Mais les suites de leurs actes, le martyre de deux prisonniers palestiniens ayant subi cette torture, avaient mis fin à ce genre d’expériences cruelles.  Aujourd’hui, avec un organe législatif composé d’ultras et la recrudescence des grèves de la faim par les prisonniers, et notamment après les deux victoires de sheikh Khodr Adnan, les sionistes ressentent un besoin impérieux de tuer. La situation dans les prisons les préoccupent, car les luttes se développent, même si elles ne sont pas encore coordonnées : le mouvement du Jihad islamique a décidé d’accorder une place importante, dans sa mobilisation populaire, aux prisonniers, et ses membres et cadres prisonniers, notamment les détenus administratifs, entament régulièrement des grèves de la faim. Le FPLP participe à la mobilisation et notamment pour réclamer la solidarité avec son secrétaire général, Ahmad Saadate, toujours privé de visites familiales. Il a décidé, depuis quelques semaines, de lancer un mouvement de grève de ses membres et cadres détenus dans les prisons sionistes, mouvement deux fois reporté jusque là. Le Fateh a récemment protesté contre le transfert de 120 de ses militants prisonniers vers la prison de Nafha par une grève de la faim de 140 prisonniers, et poursuit ses négociations avec la direction carcérale pour stopper les transferts et les incursions sauvages et parfois sanglantes dans les prisons. Quant au mouvement Hamas, il a également protesté contre les transferts en dissolvant son conseil supérieur représentatif, par refus de négocier ou de discuter avec l’occupant.

 

Il est certain que dans les prisons sionistes, la lutte se développe mais comme l’a récemment dit Khodr Adnan, les mouvements politiques ne se mettent pas d’accord sur des démarches communes, d’autant plus que les prisonniers du mouvement Hamas sont plus dans l’attente d’un échange de prisonniers, comme celui réalisé en 2011, promis par les dirigeants des Brigades d’al-Qassam. Cette attente, justifiée certes par les efforts éprouvants menés par les prisonniers pour entamer des luttes et des grèves de la faim, reste cependant un des facteurs qui entrave l’élargissement de la lutte des prisonniers et de la mobilisation populaire à leurs côtés.

 

Parce que les prisonniers palestiniens sont des résistants et militants, des combattants pour la cause nationale palestinienne qui furent pour certains des martyrs en puissance, lorsqu’ils combattaient l’ennemi, parce que toutes les familles palestiniennes sont touchées ou furent touchées par les arrestations d’un ou de plusieurs membres des leurs, parce que le mouvement national des prisonniers demeure, malgré toutes les failles actuelles, un levier de la lutte contre l’occupation coloniale, aucune cause n’est plus populaire, aux yeux des Palestiniens, que celle des prisonniers qui sont leurs fils ou filles, leurs pères ou mères, leurs frères ou sœurs. C’est ce qui rend les grèves de la faim et les défis lancés à l’occupation, comme le fait à présent Mohammad Allan, si vitaux pour la poursuite de la lutte des Palestiniens. C’est ce qui rend nécessaire le soutien et la solidarité avec les prisonniers, et les campagnes réclamant l’abrogation de la détention administrative et des lois et mesures inhumaines les visant tout particulièrement (interdiction de mener des études, isolement, interdiction de visites, punitions collectives, tortures, transferts abusifs…).

 

 

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