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Israël-Palestine: la
reculade de Jean-Marc Ayrault Par René Backmann Si la conférence
proposée par la France pour relancer le dialogue israélo-palestinien échoue,
Paris reconnaîtra l’État palestinien, avait averti Laurent Fabius avant de
quitter le Quai d'Orsay. Face aux tirs de barrage israéliens, son successeur,
estimant qu’un tel préalable est trop favorable aux Palestiniens, en a décidé
autrement. Le président palestinien Mahmoud Abbas sera à Paris vendredi 15 et samedi 16 avril pour rencontrer François Hollande et discuter de l’initiative française en vue de relancer le dialogue israélo-palestinien. Il risque fort de repartir déçu. Car cette initiative dont le pilotage a été confié à un diplomate très aguerri, Pierre Vimont, ancien ambassadeur français aux États-Unis et ex-secrétaire général exécutif du Service européen pour l’action extérieure, est aujourd’hui combattue et menacée sur plusieurs fronts. Saluée par les Palestiniens, à la recherche d’une solution pour sortir du statu quo destructeur imposé par Israël, elle n’a pas connu le même accueil, il s’en faut de beaucoup, auprès du gouvernement israélien qui la juge inutile, voire dangereuse. Depuis des mois, il a lancé une vigoureuse offensive diplomatique pour la contrer. L’ancien président israélien Shimon Peres, prix Nobel de la paix 1994 avec Yitzhak Rabin et Yasser Arafat, a même été mobilisé, il y a deux semaines malgré son grand âge – il a 92 ans – pour venir expliquer à ses amis socialistes français qu’ils doivent agir dans cette affaire avec la plus grande circonspection en considérant notamment que les Palestiniens disposent déjà, entre le mur de séparation et le Jourdain, d’un espace qui pourrait devenir leur État. Cela ne rend pas indispensable, aux yeux des dirigeants israéliens, une nouvelle négociation sur les frontières de cet État. Or, le retour aux « termes de références » historiques de la négociation – notamment sur la question des frontières – est l’un des fondements du plan français. Et ce désaccord majeur entre Français et Israéliens est l’une des multiples explications du cheminement difficile – à Paris, comme sur la scène internationale – de cette offensive diplomatique dont les premiers échos remontent à l’automne 2015. C’est en effet plusieurs mois avant son départ du quai d’Orsay, en février 2016, que Laurent Fabius a avancé l’idée d’une initiative française destinée à ressusciter le processus de paix entre Israël et les Palestiniens, en état de mort clinique depuis avril 2014. Partant du principe que, depuis plus de vingt ans, le face-à-face israélo-palestinien, parrainé par les États-Unis, n’a donné aucun résultat, le ministre français des affaires étrangères a imaginé une formule nouvelle mais complexe destinée à placer la négociation sous la surveillance d’un groupe de pays réunis pour la circonstance. À l’origine, il avait été prévu que la première étape de cette initiative serait l’adoption par le Conseil de sécurité des Nations unies d’une résolution condamnant l’occupation et la colonisation de la Cisjordanie en des termes assez pesés pour éviter un veto américain. Devaient aussi être rappelés en détail dans cette résolution les « paramètres » ou les « termes de référence » sur lesquels doit être fondée une négociation entre Israéliens et Palestiniens. L’adoption de cette résolution devait ouvrir la voie à deux réunions. Prévue pour ce printemps, la première réunion devait réunir un « Groupe international de soutien au processus de paix au Proche-Orient », dont la composition était à définir, mais qui devait comprendre les membres du Quartet et un certain nombre d’autres pays, dont des États arabes. Le nombre total de pays invités variait alors entre 20 et 30. Les représentants d’Israël et de la Palestine ne devaient pas participer à cette première conférence internationale prévue à Paris. En revanche, ils devaient se retrouver face à face, seuls – c’est-à-dire, pour la première fois, sans le « médiateur » américain – dans une seconde conférence que Paris proposait également d’accueillir l’été prochain. Si cette initiative échoue, avait ajouté Laurent Fabius, lors de ses vœux au corps diplomatique, « nous prendrons nos responsabilités et reconnaîtrons l’État de Palestine ». Sur ce point, le ministre des affaires étrangères semblait avoir alors le soutien du président de la République. Sans nourrir des illusions excessives, les Palestiniens, approuvés par leurs voisins égyptiens et jordaniens, étaient favorables à cette initiative qui rompait avec l’ancien processus de négociation. D’autant plus favorables qu’ils avaient été très déçus par l’attitude de John Kerry, lors des neuf mois de négociations vaines qu’il avait conduites entre Mahmoud Abbas et Benjamin Netanyahou. Ils reprochaient notamment au secrétaire d’État américain de n’avoir jamais été en mesure de leur livrer la position ou les propositions américaines sur la question et de se contenter de rapporter celles d’Israël. « À aucun moment, explique un négociateur
palestinien, Kerry n’a montré qu’il était en mesure d’exercer des
pressions sur les Israéliens. Il n’était pas un médiateur neutre ou un
arbitre, chargé de faire respecter un équilibre entre les parties, mais un
simple intermédiaire entre les Israéliens et nous. » Trompés par Kerry, échaudés par la passivité de Barack Obama qui avait trahi, à leurs yeux, les promesses de son discours du Caire de juin 2009, les Palestiniens étaient par ailleurs satisfaits que soient rappelés dans les documents préparés par les diplomates français les principes essentiels sur lesquels devait être fondée la solution du conflit : création d’un État de Palestine, indépendant et souverain, dans les frontières de 1967 et avec Jérusalem-Est pour capitale ; évacuation des colonies, à l’exception de certains secteurs négociés donnant lieu à des compensations territoriales ; résolution du problème des réfugiés conformément aux propositions de l’« Initiative de paix arabe » de 2002, c’est-à-dire fondée sur la résolution 194 des Nations unies. Hostiles depuis toujours à toute intrusion d’une autre partie que les États-Unis dans la négociation avec les Palestiniens et, plus largement, à toute internationalisation des pourparlers, les dirigeants israéliens n’avaient pas de mots assez durs pour dénoncer ce projet. Commentant en février la présentation de l’initiative française que venait de faire au ministère des affaires étrangères israélien le nouvel ambassadeur de France en Israël, Patrick Maisonnave, le porte-parole du ministère, Emmanuel Nahshon avait sèchement déclaré : « Israël est favorable aux négociations directes avec les Palestiniens mais s’oppose à toute tentative de prédéterminer le résultat des négociations. » « Israël ne négociera pas sous la menace », avait proclamé, de son côté, le ministre de l’énergie, Yuval Steinitz. La France ne reconnaîtra
pas automatiquement la Palestine
Indirectement mis en accusation – en raison de leur inefficacité – par le plan français, et dépités par leur échec, les responsables de la diplomatie américaine avaient dans un premier temps laissé entendre qu’ils pourraient soutenir au Conseil de sécurité des Nations unies une résolution posant les principes d’un règlement permanent du conflit israélo-palestinien. Celle préparée par Paris ? Un autre texte inspiré par Washington et proposé par un groupe de pays amis ? Rien n’était arrêté. Il était cependant clair que Barack Obama, en mauvais termes avec Netanyahou depuis son arrivée à la Maison Blanche, mais contraint par l’histoire des États-Unis et d’Israël de tenir l’État juif pour un allié privilégié, entendait valoriser les négociations conduites par John Kerry. Et proposer une issue au conflit avant de quitter ses fonctions, en janvier prochain. Dans l’hypothèse où ce projet serait irréalisable, avançaient même plusieurs correspondants accrédités à la présidence, Washington avait prévu plusieurs solutions de rechange. L’une d’elles était un discours solennel du président américain dans lequel il livrerait sa vision des réponses aux questions centrales du conflit : frontières, sécurité, retour des réfugiés, partage de Jérusalem. En s’inspirant sur chacun de ces points de « l’accord cadre » qu’avait envisagé, en vain, John Kerry. À ce jour, apparemment, le choix n’a pas encore été fait entre les différentes options. Peut-être dans l’attente du sort que connaîtra l’initiative française. Officiellement, le remplacement de Laurent Fabius par Jean-Marc Ayrault au Quai d’Orsay n’a rien changé à la proposition initiale, qui repose toujours sur l’organisation de deux conférences, le projet de résolution au Conseil de sécurité ayant été, pour l’heure, abandonné. L’émissaire français Pierre Vimont poursuit ses visites, notamment au Proche-Orient, en Europe et aux États-Unis pour défendre le dossier français et tenter de rassembler « le plus grand nombre de pays possible » autour du plan de Paris. Avec un succès incertain. À ce jour le nombre de pays qui participeraient au « Groupe de soutien » n’est toujours pas arrêté. Mais les Palestiniens, faute d’autre solution, sont résolus à donner sa chance au projet français. « Les idées françaises arrivent à temps, elles sont réalistes et sont la seule proposition existante. Personne n’a plus à gagner que nous au succès de l’initiative française. Et personne n’a plus à perdre que nous », a estimé, devant les journalistes, l’ancien négociateur principal palestinien Saëb Erekat, aujourd’hui numéro 2 de l’OLP, après avoir reçu l’émissaire français à Ramallah. Du côté israélien, où deux membres du gouvernement,
Yisraël Katz et Yuval Steinitz, membres du Likoud, appellent déjà à boycotter
la conférence internationale réunie par Paris, si elle se tient, Benjamin
Netanyahou juge que la « menace » française de reconnaître
un État palestinien en cas d’échec compromet dès le départ cette
initiative. « Cette menace, a-t-il affirmé, ne peut
qu’inciter les Palestiniens à ne faire aucun compromis. Le principe des
négociations, c’est de faire des concessions, or cette initiative donne aux
Palestiniens les raisons de ne pas en faire. » Jean-Marc Ayrault a-t-il été convaincu par les arguments du premier ministre israélien ? Par ceux de Shimon Peres lors de son séjour parisien ? A-t-il cédé face aux réserves de certains pays européens, dont l’Allemagne ? A-t-il voulu se démarquer de la position ferme affichée par son prédécesseur sur la question de la reconnaissance de l’État palestinien par la France en cas d’échec de l’initiative ? « Il n’y a jamais rien d’automatique, a-t-il déclaré, au cours d’une visite au Caire. La France prend cette initiative, va l’exposer à ses partenaires et donc c’est la première étape, il n’y a pas de préalable. » En d’autres, termes, contrairement à ce qu’avait prévu Laurent Fabius, la France ne reconnaîtra pas automatiquement l’État de Palestine si son initiative échoue. Le curseur de la réussite ou de l’échec aurait même été placé ces derniers jours dans une position telle que la simple tenue de la conférence internationale – qu’elle soit couronnée ou non de succès – serait considérée comme une réussite. Et dispenserait Paris de la reconnaissance de l’État palestinien. Cela priverait donc d’emblée la diplomatie française de l’un de ses leviers dans la discussion avec Israël, tenu jusqu’à présent, en raison du développement de la colonisation, comme responsable principal du blocage des négociations. Alors que l’Élysée comme le Quai d’Orsay sont restés silencieux devant l’exécution par un jeune soldat détenteur de la double nationalité française et israélienne d’un Palestinien blessé, gisant à terre après avoir tenté d’agresser au couteau un autre militaire, cette reculade rappelle et confirme la bienveillance de Paris face aux arguments israéliens. Elle explique sans doute aussi pourquoi, à quelques jours de l’arrivée à Paris de Mahmoud Abbas, la diplomatie palestinienne, attentive au plan français, a commencé à faire circuler parmi les membres actuels du Conseil de sécurité un projet de résolution condamnant la poursuite de la colonisation en Cisjordanie que le président palestinien entend défendre dans quelques semaines à la tribune des Nations unies (voir onglet Prolonger). Contesté chez lui pour l’échec absolu de sa politique et la corruption d’une partie de son entourage, critiqué pour avoir échoué à réconcilier le Hamas et le Fatah, dépourvu depuis trop longtemps de légitimité démocratique, Mahmoud Abbas, qui dissimule de moins en moins, à 81 ans, sa lassitude, doit affronter, en outre, depuis la publication des Panama Papers les révélations sur les investissements douteux d’un de ses fils. Même si le projet de résolution qu’il défend était adopté par le Conseil de sécurité, ce succès diplomatique ne suffirait sans doute pas à rétablir une popularité en ruines. Rédigée en termes volontairement très modérés, pour contourner les réserves américaines et britanniques et quelques pusillanimités arabes, cette résolution rappelle que la poursuite de la colonisation est un obstacle à la paix. Soumise le 20 avril, pour approbation, au conseil des ministres de la Ligue arabe, elle aurait le mérite de ne parasiter ni l’initiative française, si elle va jusqu’à son terme, ni un éventuel projet américain si Barack Obama persiste à vouloir léguer à l’administration qui lui succédera un ensemble de paramètres permettant de trouver une issue au conflit. Sera-t-elle du goût de Jean-Marc Ayrault ? |