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Israël et Palestine: le
plan Kushner-Trump est mis en œuvre avant d’avoir été annoncé
6 septembre 2018 Après avoir retiré le
statut de Jérusalem de la table des négociations, l’administration Trump
s’attaque désormais aux réfugiés palestiniens pour affaiblir leur
revendication au retour. Le report perpétuel du plan Kushner ne signifie pas
que les États-Unis temporisent. Bien au contraire. Le fameux « accord du siècle » promis par Donald Trump pour régler le conflit israélo-palestinien est devenu une sorte d’arlésienne : sans arrêt annoncé, toujours repoussé. À l’orée de l’été, le fameux plan d’une quarantaine de pages rédigé par le beau-fils de Trump, Jared Kushner, l’émissaire spécial Jason Greenblatt, avec l’appui de l’ambassadeur américain en Israël David Friedman, devait être rendu public début août. Nous sommes en septembre et toujours rien d’officiel n’a émergé. Avec l’assemblée générale des Nations unies qui s’ouvre le 18 septembre et les élections législatives américaines du 6 novembre, personne n’imagine d’annonce sur ce dossier avant fin novembre. Mais pourquoi annoncer un « plan de paix », qui sera forcément contesté de toutes parts, quand il suffit en fait d’avancer unilatéralement ? C’est ce que fait Israël depuis des années en étendant ses colonies et en restreignant les droits des Palestiniens, et c’est désormais l’attitude de l’administration Trump. La décision de déménager l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem en décembre 2017 a représenté la première salve dans cette politique : pas de plan, pas de négociation, mais des actes. Parmi les questions les plus épineuses qui ont provoqué l’échec de
toutes les discussions depuis les accords d’Oslo de 1993, on compte le statut
de Jérusalem, le droit au retour des réfugiés palestiniens de 1948, et bien
entendu la définition des frontières et du processus de sécurité. Or les
États-Unis, depuis 10 mois, sont en train de retirer tous ces dossiers
difficiles de la table de négociation les uns après les autres en créant des
faits accomplis. Comme l’a résumé l’ancien négociateur américain sous Clinton et les
deux Bush, Aaron David Miller : « L’administration actuelle est
en train de redéfinir la politique américaine [à l’égard d’Israël et des
Palestiniens] d’une manière que l’on n’a jamais connu depuis 25 ans, en
rendant extrêmement difficile tout retour en arrière pour les administrations
suivantes. » Après avoir écarté la question du statut de Jérusalem en reconnaissant la ville comme capitale d’Israël, et après avoir essayé de pousser les Palestiniens, par le biais de l’Arabie saoudite et de la Jordanie, à accepter la bourgade d’Abou Dis comme capitale d’un éventuel futur État, c’est désormais le dossier des réfugiés que Washington pousse vers le broyeur. En annonçant dans les derniers jours d’août 2018 que les États-Unis cesseraient de financer l’UNRWA, l’agence de l’ONU chargée d’appuyer les réfugiés palestiniens de 1948, la Maison Blanche signale qu’elle ne veut plus entendre parler de ce problème. Depuis plusieurs décennies, l’UNRWA finance des aides au logement, de la nourriture, des soins et surtout un système éducatif performant pour plus de 5 millions de Palestiniens résidant en Cisjordanie, en Jordanie, à Gaza, au Liban ou en Syrie. De l’avis de la plupart des diplomates, c’est une institution qui fonctionne bien et fournit un appui crucial aux Palestiniens. C’était jusqu’ici également l’opinion de l’appareil sécuritaire israélien qui estimait que l’UNRWA était une soupape indispensable à la cocotte-minute constituée par Gaza et les différents camps de déplacés. Apparemment, c’est Benjamin Netanyahou lui-même qui a annoncé à Washington qu’Israël ne soutenait plus les objectifs de l’UNRWA et que les États-Unis pouvaient supprimer leur contribution financière annuelle de 350 millions de dollars, qui représente presque le tiers du budget de l’organisation. Le secrétaire d’État américain Mike Pompeo était opposé à cette coupe claire, mais il a été contredit par Jared Kushner, qui a eu gain de cause, indiquant bien que cette décision s’insère dans le cadre de son « plan » et non pas d’un choix rationnel de l’appareil diplomatique américain. Si besoin était, les deux arguments en défense de cette sentence ont montré le calcul à l’œuvre. La Maison Blanche a insisté sur le fait qu’il était anormal que l’UNRWA assiste 5 millions de personnes alors qu’il n’y avait « que » 700 000 réfugiés en 1948, faisant fi des textes internationaux et des protocoles de l’ONU qui considèrent comme réfugiés tous les descendants de réfugiés. L’ambassadrice américaine à l’ONU, qui a défendu son patron, a toutefois été plus directe en admettant que l’arrêt du financement était dû au fait que « les Palestiniens continuent de dénigrer les États-Unis ». Depuis la décision de transférer l’ambassade américaine à Jérusalem, les responsables palestiniens ont en effet décidé de ne plus parler aux États-Unis. Cette attitude irrite au plus haut point Kushner et ses partenaires qui, en dépit de leur alignement avec l’extrême droite israélienne et de l’absence du moindre geste en faveur des Palestiniens, ont toujours entretenu l’espoir (le leurre ?) que leurs propositions s’avéreraient consensuelles. Selon le Times of Israel, Donald Trump aurait de nouveau tendu la main au président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, en lui proposant une rencontre en marge de l’Assemblée générale de l’ONU, mais ce dernier aurait décliné, conditionnant cette rencontre au fait que Kushner et Greenblatt soient démis de leurs fonctions de négociateurs. « L’administration Trump cherche à nous punir depuis que nous avons décidé de ne plus parler avec elle puisqu’elle ne représente plus un médiateur impartial », explique un diplomate palestinien en poste en Europe. « Elle voudrait nous ramener à la table des négociations par la contrainte, car elle a remarqué que le soutien qu’elle avait obtenu initialement des autres pays arabes s’effrite. » En effet, alors que Trump et Kushner ont déployé beaucoup d’efforts pour associer l’Arabie saoudite, les pays du Golfe, la Jordanie et l’Égypte à leur « plan du siècle » et qu’initialement cela avait paru fonctionner, ces derniers semblent aujourd’hui plus réticents. À Riyad, c’est le roi Salmane qui a refusé de signer un blanc-seing à son fils, le turbulent prince Mohamed ben Salmane (MBS), qui semblait partant pour la manœuvre visant à oublier Jérusalem comme capitale palestinienne. Au Caire, le général Sissi n’a guère été enthousiasmé par la volonté de Kushner and Co de dissocier la bande de Gaza du reste de la Palestine en laissant le Hamas aux manettes et en bâtissant dans le Sinaï une zone franche industrielle aux contours très flous. Quant à Amman, le roi Abdallah n’a pas apprécié l’idée israélo-américaine de lui retirer la gestion des lieux saints musulmans de Jérusalem pour les confier à l’Arabie saoudite. Dans la même perspective de faire avancer les éléments du plan sans avancer de plan, des émissaires américains ont apparemment proposé à Mahmoud Abbas l’établissement d’une « fédération » entre la Palestine et la Jordanie, une vieille idée remontant aux années 1980 et enterrée à l’époque. Là encore, les Palestiniens et les Jordaniens ont fait connaître leur refus d’une solution qui semblait tirée par les cheveux et ne visait qu’à éviter à Israël de faire des concessions. En dépit de ces revers auprès des alliés arabes des États-Unis qui, selon la presse américaine, expliquent le retard dans le dévoilement du plan Kushner, il est difficile de ne pas constater que Washington a jeté par la fenêtre deux décennies de points de négociations, offrant aux Israéliens ce qu’ils désiraient et restreignant toujours plus la marge de manœuvre des Palestiniens. « J’en suis venu à penser que le véritable objectif de l’administration de Trump n’est pas de trouver des solutions aux problèmes qui nous empêchent d’avancer depuis des années, mais d’éliminer toutes nos revendications jusqu’à ce que nous n’ayons plus rien à négocier », craint le diplomate palestinien. De facto, du point de vue des États-Unis, le statut de Jérusalem ne paraît plus négociable ; l’expansion des colonies n’a jamais été condamnée (Kushner et Friedman ont d’ailleurs eu ou ont encore des intérêts économiques dans certaines d’entre elles) ; Gaza est appréhendé comme un territoire à part du reste d’un hypothétique État palestinien ; la Jordanie et l’Égypte sont perçues comme des foyers naturels pour les Palestiniens ; les réfugiés ne seront plus aidés afin de les obliger à s’implanter dans les territoires qui les ont accueillis en oubliant leur droit au retour. Si la Maison Blanche se décide un jour à dévoiler un quelconque « plan de paix », on voit mal comment celui-ci n’entérinerait pas les décisions unilatérales prises ces derniers mois et, par conséquent, à quoi il servirait puisque les nombreux points d’achoppement ont déjà été tranchés par Washington en faveur de Tel-Aviv. Un plan absent ne signifie pas l’absence d’un plan. |