Vendredi
31 mai à Calais
Rencontre
avec Sylvain Cypel
organisée par le comité local de l'AFPS et le collectif Free Palestine
Dans la presse : >>
Sylvain Cypel à la Maison d’Entraide et de Ressources
de Calais le 31 mai 2024. Conférence/débat à l’invitation de l’AFPS et du
collectif Free Palestine Calais.
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Le collectif Free Palestine Calais et l’Association France Palestine
Solidarités ont eu la chance et l’honneur de recevoir Sylvain Cypel, auteur
de Les Emmurés, la société israélienne
dans l’impasse (La Découverte, 2006) et de Israël contreles juifs (La Découverte, édition revue et
augmentée, 2024) pour une libre discussion, devant un auditoire d’une grosse
trentaine de personnes.
Edith présente brièvement la carrière de Sylvain Cypel au journal Le Monde, au CourrierInternational, et aujourd’hui au journal en ligne Orient XXI ainsi que sa bibliographie
consacrée à la question israélo-palestinienne.
Jean-Jacques signale que cette invitation fait suite à des
manifestations et initiatives diverses, en particulier la marche du dimanche
12 mai 2024 de Gravelines à Leffrinckoucke, avec nos camarades de Dunkerque.
Une table de la librairie du Channel présente un échantillon de livres sur la
Palestine, y compris bien sûr les derniers ouvrages de M. Cypel.. Une autre
table présente des publications diverses de l’AFPS ainsi que divers objets en
vente pour soutenir la cause palestinienne.
Sandra indique les modalités de la réunion, telles qu’elles ont été
proposées à l’intervenant et retenues par lui. La salle est invitée à engager
la série des questions.
Question : Quel avenir
pour la relation entre les deux peuples ?
Sylvain Cypel : Je
vais vous décevoir ; je n’en sais rien et je crois que la plupart des
analystes n’en savent rien. C’est le
propre de toute tragédie historique en cours. Méfions-nous des réponses hâtives.
Un rappel, cependant pour éclairer notre nécessaire perplexité. Quinze jours
avant l’épisode du 7 octobre, B. Netanyahou se rend à New-York pour y dire en
résumé : « il n’y a plus de question palestinienne, pour personne,
pour aucune instance. L’affaire est réglée, n’ayez plus rien à craindre ou à
anticiper ». Quinze jours plus tard, le Hamas lance son offensive et
déjoue tous les systèmes de sécurité, réputés inviolables, qui maintenaient
censément Israël dans une tranquillité durable. La question palestinienne
faisait alors un retour en force. Au bout de sept mois, malgré un déluge de
feu inédit dans l’histoire, le Hamas est toujours là, et, chassé du nord de
l’enclave de Gaza par la violence des combats et des destructions,y fait son
retour pour de nouveaux tirs de roquettes sur des cibles israéliennes et les
atteignent avec précision. Sur le plan humain c’est un désastre, un carnage,
mais sur le plan militaire et politique, c’est un échec persistant. Surtout
pour un Etat surarmé.
Le général prussien Clausewitz a écrit que « la guerre est la
continuation de la politique par d’autres moyens ». L’Etat d’Israël a inversé
le théorème et fait de la politique une continuation de la guerre par d’autres
moyens [ce qui fait écho à une proposition proverbiale en Palestine : « Israël
n’est pas un Etat qui a une armée, mais une armée qui a un Etat » NDLR]
Comment sortir de là ? On ne voit pas qui pourrait prendre la
main pour forcer la voie vers des négociations.
Question : Croyez-vous à
la solution à deux Etats ?
Sylvain Cypel : « Dans un monde idéal, il
faudrait un seul Etat. Mais, c’est devenu impossible à envisager dans le
climat actuel. Ma conviction est que si l’on demandait aux Palestiniens
occupés : que voulez-vous ? Dans leur écrasante majorité, ils
répondraient : nous voulons un territoire où plus un soldat israélien ne
nous demanderait nos papiers ni ne nous menacerait. Donc un Etat palestinien
souverain.
Cependant, je dois préciser qu’une fois un processus engagé, des
choses impossibles jusqu’ alors cessent de l’être. Pour le moment, aucun
processus ne paraît pouvoir s’engager.
Il ne faut pas sous-estimer le domaine de l’impossible. Israël est
engoncé dans une mentalité colonialiste. J’étais aux négociations de Camp
David en 2000 [résidence d’été des présidents des USA, en l’occurrence Bill
Clinton. NDLR]. Les négociateurs israéliens acceptaient le retour de
30 000 Palestiniens sur des millions d’expulsés. Voilà le genre de
concessions qu’ils faisaient. Dans le registre de la mentalité colonialiste,
voici une anecdote. J’ai vécu 12 ans en Israël où j’ai gardé des liens.
Récemment, j’ai rencontré une amie qui me dit à chaque fois que nous nous
voyons que nous ne pouvons discuter ni nous entendre sur les relations entre
Juifs israéliens et Palestiniens. Mais tout de même, un jour elle me
dit : « A la limite je veux bien qu’on leur restitue les
territoires occupés [depuis la guerre de 1967, car les autres, annexés
illégalement en 1948/1949, plus guère personne ne continue de les évoquer. NDLR]. Mais alors qu’ils les
reprennent ! Cela voulait dire que les Palestiniens citoyens d’Israël
[10% de la population qui n’ont pu être expulsés en 1948. NDLR] devaient
plier bagage et rejoindre l’Etat palestinien. Quand je dis à cette amie que
ce « qu’ils s’en aillent ! » relève d’une forme de racisme,
elle tombe des nues. Pour compléter le tableau, citons le gros titre d’un
hebdomadaire israélien, le troisième du pays par son tirage [je n’ai pu
saisir le titre. NDLR] : « Les Palestinien ont une âme animalière.
Le racisme -ou ce que l’on nomme désormais sous l’influence du vocabulaire
anglo-américain, supremacisme- est enraciné dans les esprits : en
Israël, le service armé est de 3 ans pour les hommes, 2 ans pour les femmes
(assorti de périodes de rappel comme réservistes) : pendant 2 ou 3 ans
ces jeunes se livrent à des opérations de basse police dans les territoires
annexés, sur les check-points, et s’y comportent comme on sait pour pourrir
la vie des Palestiniens.
Je signale à votre attention le site Internet +972 qui est
remarquable et publie des reportages courageux de ses reporters à Gaza.
Haaretz est un organe de presse papier respecté, c’est même le seul en
Israël, que l’on se procure pour avoir des informations fiables en tout
domaine, le reste de la presse étant populiste, proches de l’extrême droite.
Ses rédacteurs sont courageux car ils encourent menaces et poursuites. C’est
la focale de la gauche anticoloniale. Mais cette presse est très minoritaire,
encore que consultée par les couches économiques supérieures de la société,
et tous les gens qui ont besoin d’être réellement informés pour leur travail.
Evidemment tous les citoyens auraient aussi besoin de l’être, mais leurs
lectures sont tout autres.
La solution ne pourra venir que de l’extérieur, vu l’état de
l’opinion en Israël. Il y a une absolue impossibilité de négocier.
Une note d’espoir vient de la diaspora juive en Amérique du nord.
Les jeunes générations ne se sentent plus liées au sort d’Israël. Mieux
encore : la Conférence des associations juives s’occupe presque
exclusivement des intérêts des juifs américains. Il y a un département
d’Etudes Juives dans chaque université américaine, plus qu’en Israël ;
le judaïsme américain est beaucoup plus riche, ouvert que le judaïsme en
Israël. Une scission de plus en plus prononcée s’est produite entre le
judaïsme américain et le judaïsme en Israël.
Il existe des groupes de juifs non-coloniaux en France. Ils sont
vraiment actifs et cherchent à publier ce qu’il en est du sionisme
aujourd’hui. Le CRIJF en revanche trouve sa feuille de route chaque jour à
l’ambassade d’Israël en France, et n’a
cure des intérêts propres aux juifs de France. Ce qu’il y a de plus mensonger
dans l’acronyme, c’est le R, « R » comme représentatif.
Le catalyseur du sionisme aux Etats-Unis c’est DonaldTrump et les
Evangélistes dans leur majorité. Netanyahou attend beaucoup de sa possible
réélection garante de la poursuite des spoliations coloniales.
Question : Quel est le
rôle de l’AIPAC (American Israel Public
AffairsComittee) dans la politique étrangère américaine ?
L’interrogation porte aussi sur le Mossad (services secrets israéliens)
Sylvain Cypel : Il y
a des liens évidents entre les finances publiques des USA et Israël. Le
montant de la dotation annuelle s’élève à 4,2 milliards de dollars, ce qui
est la plus grande contribution à l’aide étrangère. Un peu plus de 3
milliards de don et environ 1 milliard de prêts, mais négociés de telle sorte
et selon un montage tel qu’ils ne sont jamais remboursés.
Le Mossad et la CIA ont bien sûr des coopérations fortes mais savent
aussi ménager des programmes indépendants, pour des intérêts pas toujours
identiques. Le Mossad n’est pas une succursale de la CIA, pour dire les
choses brièvement. Quand j’étais correspondant du journal Le Monde à New York (de 200 à 200 ),
j’ai eu des entretiens avec des agents de la CIA qui tenaient des propos peu
amènes sur Israël.
Question : Je suis
étudiante en anthropologie et je n’ai jamais constaté autant de tensions, y
compris entre professeurs, depuis que la question se pose : génocide ou
pas ? J’aimerais connaître votre analyse à ce sujet.
Sylvain Cypel : Il y
a un débat de juristes. Le fondateur deHumanRights
Watch, l’équivalent aux USA d’Amnesty International en Europe, [Robert
Louis Bernstein ou AriehNeier ; NDLR]- un juif américain- a déclaré
récemment : « Pendant des décennies, j’ai récusé l’emploi de ce
terme en bien des circonstances ; désormais, dans le cas de la conduite
de l’armée d’Israël à Gaza, j’admets qu’on puisse y recourir ».
Moi, je récuse l’emploi de ce terme mais pas pour des raisons
juridiques ou humanitaires. Pour des raisons politiques. Ce serait rendre service
à Netanyahou. Il prétexterait de l’usage de ce terme pour accuser tous ceux
qui ne se rallient pas à ses objectifs (du reste, en grande partie secrets)
de relativiser la Shoah, de rabattre la « guerre contre le Hamas »,
conduite par l’armée « la plus morale du monde » sur
l’extermination des juifs européens, de comparer des événements incomparables.
Dernière question : En
tant que journaliste dans plusieurs organes de presse, avez-vous toujours été
libre de vos propos ?
Sylvain Cypel : Je
vais raconter une anecdote. Il se trouve que je lis l’hébreu. Je lis donc le
journal Ha’Aretz et il m’est arrivé d’écrire des articles, en l’occurrence
pour Le Monde, basés sur des informations que je traduisais de cet organe de
presse. Voici mon anecdote : le journaliste relatait une réunion d’officiers supérieurs
de l’Armée d’Israël au cours de laquelle trois films étaient projetés,
portant sur la guérilla urbaine. C’était au moment de la seconde Intifada
[2000-2005, NDLR]. Parmi ces trois films, il y avait « La Bataille
d’Alger », un film documentaire sur l’insurrection du Ghetto de
Varsovie (1943) et un troisième que
j’ai oublié. Le journaliste d’Haaretz demanda à un des gradés s’il n’y avait
pas un malaise à se proposer de lutter contre une insurrection armée à la
façon et selon certaines méthodes employées par la Wermacht. Le gradé
répondit que cette manière de voir était un contresens et l’interview se
poursuivait. Je me bornais à traduire le récit circonstancié de l’échange. Le
chef de rédaction vint ma trouver pour me dire que mon papier ne pourrait
être édité en l’état. Ma réponse consista en deux moments : 1. Ne
doit-on pas publier en France ce qu’on peut publier en Israël ? 2. C’est
mon article ou ma démission. Mon article est paru en l’état.
Fin de l’échange. Les plus vifs remerciements sont adressés à notre
invité par les organisateurs et par la salle [Un appel est lancé pour le rassemblement
hebdomadaire du lendemain, place d’Armes]. Un repas réunit 15 personnes
autour de Sylvain Cypel.
PS. Le présent
compte-rendu peut présenter des lacunes et des erreurs ; il a été fait
de mémoire sur la base d’une prise de notes incomplète. La rencontre ayant
fait l’objet d’une captation, il sera loisible à chacun de consulter
l’ensemble de l’échange grâce à la vidéo de Calais La Sociale que nous
remercions vivement pour leur disponibilité et l’intérêt qu’ils ont pris à
cet événement.
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