Des habitants de Jérusalem
combattent contre le mur
par Ahmad Sub Laban
in Palestine Report, 18.05.2005
http://www.palestinereport.org
Traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier
L'arrivée d'une jeep de l'armée israélienne dans le quartier Kahf
al-Hawa, dans la ville de Dahiet Al-Barid, dans la banlieue de Jérusalem,
en Cisjordanie, n'est plus un spectacle de nature à surprendre les
habitants. De fait, cela fait partie du paysage, et cela signifie que les
travaux de
construction du mur qui partage d'ores et déjà le quartier en deux se
poursuivent inexorablement.
Fin avril, les autorités israéliennes ont communiqué le tracé de la
section nord du mur, qui non seulement divisera Dahiet Al-Barid, mais
confisquera environ 26,2 dounoms à Beit Hanina et à Dahiet Al-Barid, et
empêchera l' accès au nord de Jérusalem à environ 100 000 résidants
de Jérusalem qui habitent à Al-Ram, à Dahiet Al-Barid, à Bir Nabala,
à Kufr Aqab, à Sameer Amis et dans d'autres banlieues nord. Quand les résidents
ont vu les projets, on aurait presque pu entendre un soupir de soulagement
collectif, poussé par ceux qui se trouvaient d'un côté, ceux dont les
maisons tomberaient « du côté de Jérusalem ». Alors que les autres découvrirent,
consternés, qu'ils seraient isolés par le mur, et dans l'impossibilité
de se rendre à Jérusalem.
Le tracé quasi définitif du mur était prévu de manière à donner aux
habitants de Kahf al-Hawa le temps nécessaire pour faire appel. Les résidents
se sont donc rapprochés afin de tenter d'obtenir la modification du tracé
du mur qui allait passer dans leurs quartiers.
La dernière réunion de quartier se tint au début du mois de mai, avec
des ingénieurs de l'armée israélienne. Les résidents s'étaient donné
rendez-vous devant l'immeuble Shaloudi, où arrivèrent trois jeeps de
l'armée israélienne. Un officier druze, « Moussa », dit aux habitants
que l'armée n'
était pas impressionnée par leurs objections au tracé retenu.
Naturellement, ajouta-t-il, cela leur laissait une dernière chance :
faire appel à la Cour Suprême israélienne afin de s'opposer à ce tracé
en faisant appel à la loi.
S'ensuivit un échange d'arguments entre les habitants et l'officier israélien.
« Que voulez-vous ? Vous voulez nous voler nos terres ? » s'écria
Shaludi Bahjat. « Mes frères et moi, nous avons trimé pendant vingt ans
pour nous acheter un terrain qui soit bien à nous ! »
Les autorités israéliennes prévoient de faire du terrain des frères
Bahjat un parking. En fonction du nouveau tracé du mur, la rue principal
et le parking principal doivent être supprimés. Aussi une nouvelle route
devait être tracée. C'est fait. L'ingénieur militaire a montré des
cartes faisant
apparaître d'étroites allées entre les maisons. Si, d'après lui, des
terrains étaient confisqués autour de ces allées, cela permettrait de
créer la route.
Cette nouveauté n'a fait que créer un supplément d'indignation chez les
Palestiniens rassemblés, surtout lorsqu'ils ont appris l'étendue des
confiscations nécessaires à cette fin. Un habitant, Saif Al-Ghatiti, a
dit à l'ingénieur : « Nous ne voulons pas de votre mur, par ici. Aller
voir ailleurs si nous y sommes. Tout le monde, ici, a la carte d'identité
bleue [la pièce d'identité des résidents de Jérusalem] ».
Bien entendu, l'ingénieur répondit - ses propos étant traduits en arabe
par Moussa - qu'il n'y avait pas d'autre choix. Le mur serait construit
dans le quartier.
D'autres se résignèrent à l'idée que le mur continuerait, quelque soit
leur opposition à cette idée. Aussi, ils se mirent à négocier au sujet
du tracé de la rue planifiée, afin de tenter d'échapper aux
expropriations nécessaires.
Un résident fit observer qu'il y avait une bande de terrains inoccupées,
dans le voisinage, qui pourrait servir de route, au lieu de celle que
proposaient les Israéliens. Mais cela ne fit que soulever des palabres
entre les habitants eux-mêmes. Abu Anas Qasrawi, qui se trouvait dans le
groupe de Palestiniens assemblés autour de l'ingénieur israélien se mit
à pousser des hurlements et à agonir Moussa Skafi, celui qui avait suggéré
l'utilisation de ce qu'il croyait être un terrain vague. Qasrawi dit
alors qu'il avait acheté ce terrain et qu'il n'avait absolument pas
l'intention d'en faire
cadeau pour y construire la nouvelle route.
La controverse se poursuivit, jusqu'à ce qu'ils finissent par tomber
d'accord sur le recours à un avocat, afin qu'il assure la défense de
leur quartier devant les tribunaux israéliens.
Beaucoup de choses ont changé, à Kahf al-Hawa, depuis le début mai. Il
y a eu un boom de la construction dans la partie du quartier qui est appelée
à se retrouver du côté israélien du mur. Le but, disent les habitants,
est de tirer parti du moindre mètre carré de terrain avant que le mur
n'arrive, en raison des difficultés auxquelles sont confrontés les
habitants de Jérusalem Est pour obtenir des permis de construire à l'intérieur
des frontières municipales imposées par les Israéliens à Jérusalem.
Ils escomptent qu'une fois qu'ils se retrouveront enfermés par la
nouvelle frontière de facto, leurs nouvelles maisons seront d'ores et déjà
construites.
Du côté droit de cette même rue, les gens ont gelé tout projet de
construction ou de rénovation, parce qu'ils savent que leurs terrains
seront isolés de Jérusalem.
Majed Hamdan, l'avocat qui représente les habitants les plus affectés
par le nouveau tracé du mur à Kahf Al-Hawa, nous a dit qu'en fonction
des consignes de l'armée et des cartes afférentes, de vastes superficies
de terrain seront confisquées et des milliers de Hyérosolomitains seront
coupés de leurs lieu de travail à Jérusalem, ainsi que des services
sanitaires, sociaux et éducatifs, de leurs lieux de culte, pour ne pas
parler de leurs familles et de leurs amis.
Maître Hamdan a insisté sur le fait que les « compromis » faits par
l'armée israélienne, en ce qui concerne le nouveau tracé du mur, qui
serpentera entre les maisons, ne satisferont en rien aux besoins les plus
élémentaires des résidents. Pire, cela leur coûtera une part léonine
en matière de
construit et de valeurs foncières, et cela les privera de leur liberté
de se déplacer.
C'est le cas, en ce qui concerne Majdi Amouri, qui sera séparé de la
maison de son frère, juste au bout de sa rue, par le mur. Amouri dit
qu'il y a beaucoup de cas similaires, sinon pires, dans son quartier.
L'avocat Mohammed Dahleh, qui a exposé le cas devant le tribunal, dit que
la décision finale sera que le mur longera l'Association Welfare, à
Dahiet Al-Barid, tout en continuant à serpenter entre les maisons, en
direction du camp militaire, à l'est.
Dahleh dit que la carte montre le mur s'enfonçant dans certaines zones de
Cisjordanie, et aussi à l'intérieur de la zone urbaine de Jérusalem, où
sont situées notamment la Banque Mondiale et plusieurs écoles, ainsi que
des maisons privées. Dahleh dit que ce tracé modifié n'a été obtenu
que grâce aux pressions de certaines instances internationales, dont l'Eglise
catholique et certaines personnalités au sein de l'administration américaine.
D'après Dahleh, auquel les autorités militaires ont envoyé une carte du
mur, l'armée a également envoyé une réponse détaillée aux recours de
la Cour Suprême contre le tracé prévu du mur à Al-Ram et à Dahiet
al-Barid. Maintenant, les pétitionnaires doivent répondrent à ces récriminations
de l'armée, après quoi la Cour Suprême tiendra une session spéciale
afin d'examiner les recours.
Entre autres choses, a indiqué Dahleh, l'armée a réaffirmé que le mur
ne modifierait en rien le statut légal d'un quelconque citoyen, ni le
statut légal des terrains ou des personnes, y compris les titulaires de
la carte d' identité de Jérusalem et qui se retrouveraient de l'autre côté
du mur.
Dahleh a également indiqué que les autorités militaires israéliennes
ont l' intention d'installer un check point militaire à l'ouest de celui
de Qalandiya, au nord de l'aéroport [de Jérusalem], tout près de la
route 60 [checkopint d'Atarot], qui permettra la liberté des déplacements
entre
Al-Ram, Ramallah et Bir Nabala. Il a dit qu'une unité spécialisée,
appartenant à l'armée israélienne, serait chargée de contrôler ce
checkpoint en attendant qu'il passe sous la supervision des autorités
civiles israéliennes chargées des frontières. Les travaux se
poursuivent afin de
construire des installations annexes, au checkpoint, sous la supervision
de l'autorité militaire israélienne (dite « administration civile »)
destinées aux Cisjordaniens désireux d'obtenir des laissez-passer. Il
dit que les travaux vont commencer bientôt et seront terminés à la fin
de l'année.
D'après le projet israélien, indique-t-il, les habitants d'Al-Ram
pourront eux aussi pénétrer dans Jérusalem via le nouveau checkpoint
militarisé qui sera construit près du rond-point Jaba (Kikar Adom), afin
d'alléger la pression sur le check d'Atarot. Ainsi, les habitants d'Al-Ram
et de Dahiet
Al-Barid détenteurs de la carte d'identité « Jérusalem » seront contrôlés
à bord de leurs voitures lorsqu'ils entreront à Jérusalem et en
sortiront, par les nouveaux checkpoints. Ceci implique qu'il leur faudra
au minimum deux heures pour aller à Jérusalem - alors qu'actuellement,
ce trajet prend moins d'une demie-heure.
Sarhan Salaymeh, président du conseil municipal d'Al-Ram et du comité de
protestation contre le mur, dit que le projet israélien « vise à empêcher
la vie sociale et économique des Palestiniens de Jérusalem. La plupart
des habitants des banlieues de Jérusalem doivent se rendre au
centre-ville, pour leur travail, les écoles, ou parce qu'ils doivent
suivre un traitement médical. Beaucoup d'entre eux ont de la famille en
ville. Ceci, les autorités israéliennes le savent pertinemment. »
« Les banlieues d'Al-Ram, Dahiet Al-Barid et Bir Nabala, de plus, qui
comptent des dizaines de milliers d'habitants, ne peuvent faire face
seules à leurs besoins économiques, sanitaires et éducatifs. La plupart
de ces services se trouvent à Jérusalem, et les citoyens, dans toute la
région, sont liés à cette ville. Imaginez à quel point les choses
seront difficiles quand quelqu'un, tombé malade à Al-Ram, devra être
hospitalisé à Jérusalem », dit Salayméh.
« L'objectif principal est de faire des villages et des banlieues, autour
de Jérusalem de véritables ghettos isolés les uns des autres et isolés
aussi du centre de la ville. Ceci implique d'isoler et de couper de grands
quartiers résidentiels où vivent quelque 170 000 personnes du
centre-ville, en les exposant ainsi à perdre leurs droits de résidence,
en plus de leurs droits économiques et sociaux. »
Car tel est bien, indique Salayméh, l'objectif réel. « Si les gens
perdent leur droit à la résidence, le pourcentage de résidents
palestiniens à Jérusalem diminuera considérablement. Nous parlons ici
de l'isolement imposé à plus de 70 000 habitants, ce qui aurait pour
effet de réduire la
population palestinienne de Jérusalem à 20 - 25 % de la population
totale de la ville, ce qui est encore inférieur aux 28 % que les
gouvernements israéliens successifs se sont évertués à maintenir
depuis des décennies. Géographiquement, ceci signifie la prise de contrôle
sur les terrains
restants, à Jérusalem, au profit de seize colonies juives en cours de
construction sur plus de 35 % de la superficie totale de la Jérusalem
arabe (Est) ».
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