Haaretz,
10 août 05
www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=610640
Version
anglaise : www.haaretz.com/hasen/spages/610683.html
Peu
après la tuerie de Shfaram, il a été rapporté que les blessés
et les familles des morts seraient reconnus comme victimes d’un
acte d’hostilité, soignés et indemnisés en conséquence. Et
tout de suite est venue la question : depuis quand met-on en
valeur comme une nouvelle quelque chose qui va de soi, quelque chose
de logique ? Mais c’est qu’en Israël, l’égalité entre
Juifs et Arabes n’est pas quelque chose qui va de soi. Et c’est
comme ça que cette nouvelle qui n’aurait vraiment pas dû en être
une, trouve néanmoins sa place comme telle. Cette nouvelle – et
l’ambiance de dégoût qui lui a donné naissance – peut
constituer un défi pour les fonctionnaires des Ministères des
Finances, de la Santé et de l’Assurance Nationale, qui ont
l’habitude d’agir en suivant des usages et des lois
discriminatoires à l’égard des citoyens arabes.
Une
telle nouvelle est l’occasion de repérer d’autres strates de
l’inégalité existant entre Juifs et Arabes, et qui sapent la définition
de l’Etat d’Israël comme démocratie. Une des strates de cette
inégalité « allant de soi », c’est le rapport des
appareils judiciaires et pénitentiaires à l’égard des accusés
et des détenus de sécurité arabes israéliens, et la
discrimination qui est faite entre eux et les accusés et détenus
juifs.
Des
détenus de sécurité qui sont arabes israéliens ou habitants de Jérusalem-Est
subissent une discrimination par rapport à des détenus juifs israéliens
qui ont porté atteinte à des Arabes, et ceci à trois niveaux :
au niveau de la sévérité de la peine qui leur sera infligée par
les juges israéliens, au niveau des chances de libération anticipée
(par effet d’une grâce ou par réduction de peine et libération
une fois accomplis les deux tiers de la peine) et au niveau des
conditions de détention. En 1993, Yoram Skolnik a assassiné un
Arabe qui était entravé et il a été condamné à la détention
à perpétuité. Le Président Ezer Weizman a, par deux fois, réduit
sa peine : d’abord à 15 ans, puis à 11 ans et trois mois. Il a
finalement été libéré sept ans après son arrestation.
Skolnik
fait partie de la liste de Juifs qui ont assassiné des Arabes et
ont été libérés par l’appareil judiciaire. En comparaison, des
détenus arabes sont condamnés à la perpétuité ou à de longues
peines, même s’ils ne sont pas déclarés coupables de meurtre.
Ainsi, Moukhles Bourjal et Mohammed Ziadeh ont été condamnés, il
y a 18 ans, à la perpétuité : ils avaient été jugés
coupables d’avoir lancé une grenade en direction d’un autobus
qui transportait des soldats. La grenade n’avait pas explosé.
Bourjal, qui avait lancé la grenade, a vu sa condamnation commuée
en une peine de 40 ans. Celle de Ziadeh, qui lui avait signalé
l’approche de l’autobus, est restée ce qu’elle était :
une condamnation à perpétuité.
David
Charbit, de la colonie de Brakha, a, en 1994, été condamné à
cinq ans de prison après avoir été jugé coupable d’avoir grièvement
blessé un jeune Arabe de 13 ans. Arieh Chelouche a été condamné
à sept ans de prison pour avoir tenté d’assassiner des Arabes,
en 1990. Menahem Livni est un de ceux qui ont été jugés coupables
du meurtre d’étudiants dans un collège d’Hébron en 1984 et il
s’est vu condamné à la perpétuité. Tous courent aujourd’hui
en liberté. Mais Otman Mera’a et Mahmoud Zahra, de Jérusalem,
ont été condamnés en 1989 à 27 ans de prison pour avoir lancé
des cocktails Molotov et occasionné des dommages matériels. Ils
sont toujours en prison.
Les
conditions de détention de Bourjal, Ziadeh, Zahra et leurs amis,
qui n’ont tué personne, sont de loin plus dures que celles du
meurtrier Ami Popper qui a sur les mains le sang de sept ouvriers
arabes : sa condamnation à perpétuité a été réduite à 40
ans, il a été autorisé à se marier, à retrouver son épouse, à
avoir cinq enfants, à leur rendre visite, à obtenir des congés,
à téléphoner tous les jours chez lui. Les prisonniers de sécurité
citoyens israéliens ou habitants de Jérusalem-Est n’ont pas le
droit d’employer le téléphone public, ne sont pas autorisés à
sortir en congé avec leur famille, pas même lorsqu’un parent ou
un proche est à l’agonie ou est décédé, leurs temps de
promenade dans la cour sont plus limités que ceux des prisonniers
criminels, les visites familiales se font derrière des grillages métalliques
et des cloisons en plastique et en verre, et on leur interdit même
d’embrasser leurs enfants et de toucher leur femme.
Toute
une chaîne d’Israéliens collaborent en réalité à l’inégalité
impliquée dans chaque journée d’une telle détention : les
juges, qui condamnent les Arabes à des peines plus lourdes que
celles appliquées à des Juifs ayant commis des infractions
comparables ou plus graves ; les membres des commissions, qui réduisent
les peines de meurtriers juifs et savent que les « commissions
du tiers » refusent généralement de libérer des Arabes, même
quand il ne s’agit pas de meurtriers ; les Présidents d’Israël,
qui ont accordé des réductions de peine et gracié des Juifs ;
leurs conseillers, fonctionnaires du Ministère de la Justice et
juges à la Cour Suprême, qui sont au courant de cette
discrimination dans les conditions de détention ; les juristes
israéliens, présidents de facultés de droit, qui ne s’élèvent
pas ni n’exigent l’examen répété d’un système dont les
standards de jugement et d’emprisonnement varient selon la
nationalité de la personne.
Que
le lynchage de Shfaram ne serve pas de prétexte pour s’éviter de
voir cette discrimination structurelle présente dans le système
judiciaire et pénitentiaire israélien.
[Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys]
[i]
Se rappeler qu’il n’y a pas de nationalité israélienne
mais une citoyenneté israélienne. Et qu’à la
rubrique « nation / nationalité » de ceux qui ont
la citoyenneté israélienne, on pourra trouver :
juif, hébreu, arabe, druze, russe, géorgien, etc.
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