AFPS Nord Pas-de-Calais CSPP

   



Il est plus facile de traverser le Sahara
 
Amira Hass

"En dépit d’assurances répétées adressées aux instances juridiques et aux habitants, les services de sécurité augmentent les difficultés pour les agriculteurs palestiniens qui demandent à travailler leurs terres situées au-delà de la clôture de séparation."

Israël rend plus difficile l’accès aux terres palestiniennes de Cisjordanie

Les services de sécurité ont promis à maintes occasions - tant aux instances juridiques qu’aux villages palestiniens situés le long de la clôture de séparation - de garantir aux agriculteurs un accès régulier à leurs terres piégées de l’autre côté de la clôture. Ces promesses se sont multipliées après l’arrêt de la Cour Internationale de La Haye, pris il y a un an, le 9 juillet 2004.

Un contrôle effectué dans le village de Qafin, au nord-ouest de la Cisjordanie, révèle que les promesses ne sont pas tenues : il n’y a pas, dans la clôture, de porte proche des terres piégées et permettant un accès rapide et quotidien. Les deux portes proches sont fermées la plupart des mois de l’année. Une porte est ouverte chaque jour, au passage de Reihan situé à 12 Km du village, imposant un coûteux trajet en taxi et un parcours à pied de plusieurs heures. Le passage en voiture ou à dos d’âne y est interdit. Interdit également d’y faire passer des outils ou des plants.

En mai, sur 1 050 agriculteurs qui ont demandé un permis d’entrée, seuls 70 en ont reçu et 600 se le sont vu refuser au motif de « parenté éloignée » (parents éloignés des propriétaires des terres). Haaretz a rencontré des pères dont les fils n’avaient pas reçu de permis pour ce motif de « parenté éloignée » et des couples où seul un des conjoints avait reçu une autorisation. Et d’un autre côté, des adultes qui avaient reçu un permis bien que la terre fût enregistrée au nom de leur grand-père. Les autres n’ont pas reçu de réponse.

Qafin compte 9 000 habitants dont les revenus, ces dernières années, n’ont cessé de dépendre de plus en plus du travail de la terre, suite à la perte de leur travail en Israël. 5 000 des 8 200 dounams du village se trouvent de l’autre côté de la clôture. A Qafin, en dehors des oliveraies, on cultivait la pastèque, le froment, le tabac et la ketmie - des cultures qui nécessitent des soins quotidiens.

En réponse, l’administration civile communique qu’il y a environ 206 permis valides qui ont été distribués aux membres au premier degré des familles des agriculteurs. Lors des prochaines récoltes, des permis seront accordés également aux petits-enfants et aux travailleurs qui ne sont pas membres de la famille, contrairement à ce qui était d’usage jusqu’ici, et ceci afin de soulager les agriculteurs. Le passage de Qafin (le plus proche des terres du village - note d’Amira Hass) est défini comme passage saisonnier et est ouvert en période de récoltes, pendant tout le mois de mars pour les labours, mais peu de gens y sont passés. D’après l’administration, les gens ont préféré passer par la porte de Bartaa qui n’est pas destinée au travaux de la terre.

Il est plus facile de traverser le Sahara

Des villageois de Qafin essaient d’accéder à leurs terres situées au-delà de la clôture de séparation. Récit d’un parcours.

7 500 plants d’olivier sont là, éparpillés depuis plus de deux mois entre les maisons de Qafin, au nord-ouest de la Cisjordanie. L’association Al Ahali, de Nazareth, les a offerts dans le cadre d’un programme de soutien aux agriculteurs palestiniens touchés par la clôture de séparation. Les plants croissent, leurs racines ont commencé à tendre la toile de nylon qui les enveloppe, les feuilles ont commencé à se dessécher, mais les habitants de Qafin ne peuvent pas les planter sur leurs terres. Nous y sommes allés pour comprendre pourquoi.

La majeure partie des terres du village - 5 000 des 8 200 dounams de terres agricoles - se trouvent derrière la clôture de séparation. D’après le calcul du chef du conseil local, Tawfiq Harsha, une centaine de milliers d’arbres, essentiellement des oliviers, poussent encore sur ce territoire après que 12 600 ont été arrachés au moment de l’érection de la clôture. Entre les vergers, les gens avaient l’habitude de faire pousser blé, plants de tabac, pastèques, ketmie - toutes plantations qui nécessitent des soins quotidiens.

Déjà lors des phases de construction de la clôture, les services de sécurité avaient promis aux agriculteurs, un accès régulier à leurs terres par une porte spéciale. En réponse aux inquiétudes des agriculteurs, Gil Limon, appartenant au bureau du conseiller juridique de l’armée israélienne en Cisjordanie, écrivait, le 23 septembre 2003 déjà, à l’avocat Fathi Shbeita, de Tira, que « le problème décrit dans votre lettre, à propos de l’absence d’une porte d’accès agricole dans la région du village de Qafin, est traité par les responsables de l’administration civile avec pour projet de fixer par quelle porte d’accès agricole les habitants pourront se rendre sur leurs terres ».

Le 21 octobre 2003, deux mois environ avant l’achèvement de la clôture dans cette zone, Danilo Darman, qui appartient lui aussi au bureau du conseiller juridique, informait Shbeita : « il y a un emplacement convenable pour une porte à usage agricole séparée, pour les habitants de Qafin et les travaux sont déjà bien avancés. Je vous informe que les permis d’entrée destinés aux habitants de Qafin sont prêts, à l’administration israélienne de coordination et de liaison, de Tulkarem, et que tout ce que vos clients et leurs voisins ont à faire est de se rendre à l’administration israélienne de coordination et de liaison pour y recevoir les permis ».

On remplit les demandes à la mairie ; de là, elles sont transmises au bureau palestinien de coordination et de liaison de Tulkarem qui les transmet à l’administration israélienne de coordination et de liaison (un département de l’administration civile) qui approuve ou rejette. Le village de Qafin compte 9 000 habitants. Quelque 600 familles - entre 3 000 et 3 600 personnes - possèdent de la terre et des arbres de l’autre côté de la clôture. En mai de cette année, 1 050 habitants du village ont introduit des demandes pour une autorisation d’accès à leur terre et seuls septante d’entre eux ont reçu les autorisations. 600 ont reçu une réponse négative et les autres n’ont eu droit à aucune réponse. Un motif fréquent de rejet de la demande est la « parenté éloignée » c’est-à-dire que le lien de parenté entre le demandeur et les propriétaires des terres est trop éloigné.

C’est ainsi que deux des fils de Abd al-Rahim Kataneh, un agriculteur de 61 ans propriétaire de 80 dounams, ont essuyé un refus pour « parenté éloignée ». Le troisième fils n’a pas reçu de réponse. Sharif Kataneh, 70 ans, et son épouse ont demandé à pouvoir entrer sur des terres enregistrées au nom de son père et au nom de son beau-père. Ils ont reçu une autorisation partielle : lui a été autorisé à entrer mais sa demande à elle à été repoussée pour « parenté éloignée ».

 

 

Après le rejet - pour « parenté éloignée » - de la demande introduite par Ribhe Amarneh, 48 ans, et son frère, de travailler sur une terre enregistrée au nom de leur oncle, Amarneh a introduit une demande via le village d’Akkabe dont les habitants sont originaires de Qafin, et il a obtenu l’autorisation. Le permis d’Amarneh l’autorise à passer par la porte 5. Tawfiq Taami, lui aussi de Qafin, a un permis d’entrer par la porte 12. La porte 12 est à la fois la plus proche du village et de la plupart des terres ; cependant elle n’est pas classée « porte d’accès agricole » mais « porte militaire ». Il est vrai qu’à la période des récoltes, les gens ont été autorisés à y passer mais, même alors, elle n’était ouverte que quelques minutes, trois fois par jours, puis fermée.

Nous avons attendu, cinq agriculteurs et deux Israéliens, derrière les clôtures en fil de fer barbelé, jusqu’à ce qu’arrive une jeep Hammer dont est descendu un soldat. « On n’entre pas ici », a-t-il dit, « Uniquement au moment des récoltes ». Nous avons insisté : « Pourtant, dans les autorisations de l’administration civile, il est écrit "porte 12" ». « C’est quoi ça, 12 ? », s’étonnait le soldat, « Tout ce que je sais, moi, c’est que c’est la porte 346 ». Après quelques éclaircissements obtenus par lien radio, il était convaincu que la porte 346 et la porte 12 n’en faisaient qu’une, mais cela n’a pas modifié son opinion : « On n’entre pas en Israël par ici », a-t-il dit. « Ils ne veulent pas entrer en Israël, ils veulent aller sur leurs terres », lui avons-nous expliqué. « Si on veut être politiquement correct, tout est Israël », a-t-il répondu.

Il nous a envoyé au passage numéro un, la vieille porte de Bartaa, à trois kilomètres au nord. Cette porte, près de laquelle se trouve un poste d’observation blindé, est généralement fermée. Elle n’est ouverte que dans des cas très particuliers, après coordination, et pas pour les nécessités de l’agriculture, mais les villageois étaient d’accord d’essayer. Après trois kilomètres, nous sommes arrivés à la porte numéro un, fermée. Nous avons continué jusqu’à la porte 5, la porte située au terminal de Reihan où le passage est libre pour les voitures des colons, et où, pour les habitants des villages qui sont à l’ouest de la clôture, le passage à pied est trié et surveillé de près.

Le terminal de Reihan se situe à 12 kilomètres du village de Qafin et n’est desservi par aucun moyen de communication public. Celui qui n’a pas de voiture - c’est-à-dire la majorité des habitants du village - commande un taxi et paie trente shekels, le prix de la course. Il est interdit aux taxis de passer par le terminal. Même à dos d’âne, on ne peut pénétrer sur le territoire. Pour ôter le moindre doute, un panneau placé près de la porte destinée aux piétons précise : « On ne passe pas de marchandises, de matériel électrique, d’animaux, de vêtements, de pièces de voiture etc ». « Mais alors comment ferons-nous passer 7 500 plants ? », a dit Mohammed Sabah, un agriculteur de 60 ans qui n’a pas même pris la peine d’introduire une demande de permis et s’est joint à nous pour démontrer que cela n’a aucun sens d’introduire des demandes.

A une heure de l’après-midi, des dizaines de personnes se sont pressées près de la porte, dans le soleil qui tapait. Toutes les quelques minutes, les soldats ouvraient la porte, à chaque fois pour deux personnes qui passaient alors par le contrôle du portique électromagnétique. Dans l’intervalle, les soldats laissaient la porte fermée parfois pendant cinq minutes, si bien que nous ne sommes parvenus à passer qu’à deux heures vingt. A partir de là, il est interdit de continuer à pied, seulement en voiture. Quelques propriétaires de véhicule, de Bartaa tout proche, tirent un revenu de cette interdiction. Maintenant, sans outils de travail et sans plants, nous avons payé trois shekels pour le trajet et sommes montés dans une des voitures qui font la route vers le sud, deux kilomètres environ, pour retourner à la porte numéro un, fermée.

Nous sommes descendus près de la tour de guet blindée. « Hé, c’est pour aller où ? », a crié un soldat. « Ce sont des agriculteurs qui vont sur leurs terres », avons-nous répondu. « Alors pourquoi pas en voiture ? », a-t-il crié du haut de son poste. « Parce que c’est interdit ».

De là nous avons continué à pied. Nous avons marché parmi les arbres, les rochers et les ouadi. La distance jusqu’aux cultures d’Amarneh est d’environ deux kilomètres. Jusqu’à la terre de Taami, il y a quatre kilomètres. Amarneh a décidé de continuer, Taami a renoncé. S’il avait continué jusqu’à sa terre, le total de sa journée aurait été : de Qafin au terminal de Reihan, 24 kilomètres aller-retour, et 60 shekels pour prix de la course ; une attente d’une heure au terminal de Reihan ; de Reihan jusqu’à la porte numéro un : quatre kilomètres aller-retour et six shekels pour la course ; plus encore huit kilomètres à pied aller-retour. Au moment d’arriver sur sa terre, il aurait dû revenir. Et de toute façon, sans outils de travail ni plants, il n’aurait pas pu faire beaucoup plus qu’arracher quelques feuilles sèches et ameublir la terre à la main. « C’est une excursion, rien de plus », a résumé Taami. « Une journée entière juste pour aller pleurer près de notre terre à l’abandon et rentrer, en payant en plus 66 shekels que personne ne possède ».


Amira Hass
1) - Haaretz, 8 juillet 05 - http://www.haaretz.co.il/hasite/pag...
2) - Haaretz, 8 juillet 05 - http://www.haaretz.co.il/hasite/pag...
[Traduction de l’hébreu : Michel Ghys]



Source : CCIPPP
http://www.protection-palestine.org/article.php3?id_article=1156&var_recherche=+amira+hass


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