Yediot Ah'aronot, 21 août 2005
Trad. : Gérard pour La Paix Maintenant
Avec l'évacuation des colonies de la bande de Gaza, il ne s'agit
pas seulement d'une lutte autour de l'avenir des territoires occupés.
Le retrait, dans son essence même, constitue le premier grand
affrontement autour de la question des rapports entre la religion et
l'Etat.
Eux [le camp religieux, les colons] ont un rêve. La première étape
vers la réalisation de ce rêve est "toute la Terre d'Israël",
peuplée exclusivement de Juifs.
Bien sûr, des Palestiniens et des travailleurs thaïlandais
pourront venir accomplir le sale boulot, mais rien de plus.
La seconde étape consiste à transformer Israël en un Etat "halakhique"
: un pays régi par la loi religieuse juive. Les élections, le
parlement, le gouvernement, les tribunaux, tout cela pourra
continuer à fonctionner, mais les rabbins décideront de quoi ces
institutions pourront décider, et des questions trop "sacrées"
et importantes pour être laissées au peuple et à ses représentants
élus.
Dans le monde dont ils rêvent, il n'y a pas de place pour un Israël
séculier : sa culture n'est pas une culture, ses valeurs ne sont
pas des valeurs, ses opinions ne sont pas des opinions.
Aux yeux des colons, nous ne sommes que de pauvres enfants défavorisés
qui n'avons pas eu la chance de bénéficier d'une éducation juive.
Dans leur rêve, notre tâche est de devenir religieux et de les
rejoindre, ou au moins de ne pas les gêner alors qu'ils sont en
train de faire venir le Messie.
Nous devons reconnaître notre nullité, et en retour, ils nous
serreront dans leurs bras, avec douceur bien sûr, et avec énormément
d'amour fraternel.
Mais si nous refusons, alors, plus d'amour fraternel, plus
d'embrassades. Nous ne serons plus que des traîtres gauchistes. Ou
des Nazis.
Un peuple libre sur sa propre terre
Mais nous, les Israéliens laïques, avons aussi notre rêve. Nous
voulons vivre dans un pays à visage humain, libre et juste. Pas
dans une espèce de monarchie rabbinique et messianique, et pas sur
toute la terre d'Israël. Nous sommes ici pour être un peuple
libre, sur sa propre terre.
Etre un peuple libre, cela signifie que toute personne a le droit de
choisir dans la tradition juive ce qui lui importe et ce qu'il
abandonne. Cela signifie avoir la liberté de diriger notre pays
comme nous le désirons, et non nous soumettre à des diktats
rabbiniques.
Cela signifie reconnaître que nous ne sommes pas seuls sur cette
terre, et exiger des Palestiniens qu'ils en fassent autant.
Cela signifie nous libérer, une fois pour toutes, de ce cauchemar
qui consiste à être un pays qui occupe, déracine, exploite,
colonise, exproprie, humilie et discrimine.
Pendant plus de 30 années, le rêve des colons a étranglé le rêve
des Israéliens libres. Tous les jours, le rêve de toute la terre
d'Israël et d'un royaume messianique balayait l'espoir d'être un
peuple libre de bâtir une société juste.
Pendant plus de 30 années, le rêve des colons a bafoué les nôtres,
et ceux de mes amis.
Les rêves qui s'effondrent
Mais, à cause de tout cela, je peux comprendre la douleur et le désespoir
des colons qui voient leur rêve s'effondrer sous leurs yeux.
Ils ressentent très exactement ce par quoi mes amis et moi sommes
passés à cause d'eux, pendant tout ce temps. Depuis le début, je
m'étais opposé à leur projet, depuis la première colonie.
Je regarde leurs yeux, et j'y vois un vrai désespoir, une vraie
douleur, et sans la moindre joie, je peux dire ceci : la douleur que
vous ressentez aujourd'hui ressemble beaucoup à celle que vous avez
infligée aux amis d'un Israël libre, pendant plus de 30 années.
Je respecterai votre deuil en me taisant, mais je ne peux pas
partager votre chagrin.
C'est tout ce que nous avons
Et qu'y aura-t-il après tout ce chagrin? Israël, avec tous ses défauts,
est tout ce que nous avons. Il est facile de lui jeter la pierre,
mais ce n'est pas non plus le pays dont nous avions rêvé.
Le sol est bas, le plafond craque, les lumières s'éteignent trois
fois par jour.
Il est facile de proposer des substituts pour cet Israël-là,
facile de bâtir des châteaux en Espagne autour de monarchies
messianiques d'un côté, et de post-israélisme de l'autre.
Mais Israël, avec tous ses défauts, est tout ce que nous avons.
Peut-être, au lieu de l'injurier, le temps est-il venu de se lever
et de commencer un tout petit peu à réparer. De nous libérer de
cette occupation qui continue à nous corrompre. De retrouver une
société solidaire.
Un peu moins d'"amour fraternel" et un peu plus de
responsabilité envers d'autres moins favorisés que nous. Un peu
moins de sacré et un peu plus de justice. Un peu moins de toute la
terre d'Israël, et un Etat d'Israël un peu plus avec lui-même.
Protéger notre frontière la plus vitale
A travers l'épaisse fumée faite de sanglots et de mots poétiques,
on peut parfois apercevoir, en ce moment même, un visage beau et
calme de l'Etat d'Israël : le visage de ces jeunes en uniforme qui
ont choisi, malgré la pression et la violence, malgré les injures,
les fausses accolades et la
manipulation des émotions, de protéger de leur corps le rêve d'être
un peuple libre, qui ne domine pas les Palestiniens et qui ne soit
pas dominé par les rabbins.
Le soldat battu, humilié, giflé, le policier à qui l'on a craché
au visage, sont cette fois-ci les braves défenseurs de l'Etat
d'Israël face à une vague de fanatisme sauvage.
La jeune soldate, des sanglots dans la gorge, d'à peine 09 ans,
porte déjà sur ses épaules le fardeau de 2000 ans d'espérance d'être
une nation libre dans son propre pays.
Pas dans la Gaza palestinienne, dans son propre pays.
Avec fermeté et courage, mais aussi avec retenue, sagesse et
compassion, cette soldate est en train de protéger notre frontière
la plus vitale : la frontière entre ce qui est permis et ce qui ne
l'est pas.
C'est la frontière sans laquelle nous n'aurons pas d'Etat, et sans
laquelle il n'y a pas de liberté, pas de société, rien qu'un
fanatisme féroce, un extrémisme messianique et hystérique, et une
complète destruction. C'est un état de choses que le peuple juif a
connu plus d'une fois dans son histoire.
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