AFPS Nord Pas-de-Calais CSPP |
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Interview
d'Avi Mograbi réalisé pendant le festival : Pourquoi
arborez-vous un autocollant où l'on peut lire « Cassons le mur »
sur votre veste ? Avi Mograbi.
C'est un
autocollant contre la construction du mur de séparation. Ce mur ne sépare
pas les Israéliens des Palestiniens, mais les Palestiniens de leurs
terres, de leurs écoles, de leur lieu de travail, de leurs hôpitaux, de
leur famille et de leurs amis. Cette barrière va entraîner une nouvelle
vague de désespoir dans la société palestinienne. Et cela va rejaillir
sur nous puisque, lorsque cela explose, c'est de façon horrible. Ce mur
devrait être démantelé. Si Israël veut construire une séparation
entre lui et les Palestiniens, il peut le faire. Je ne dis pas qu'Israël
ne peut pas avoir de frontière solide avec la Palestine même si elle
n'existe pas encore. Il peut le faire sur sa frontière ou dans ses
propres territoires. Il ne peut pas mordre sur les territoires des autres.
La barrière a entraîné la confiscation de 7 % des terres dans les
territoires occupés. Pourquoi avez-vous mis en parallèle le « mythe » de Massada et le comportement des soldats israéliens avec les Palestiniens ? Avi Mograbi.
Il existe un
lien évident avec la situation actuelle. C'est la décision des zélotes
de Massada de se - suicider. Ils ont préféré mourir plutôt que de
vivre sous le joug des Romains. Au
Moyen-Orient, nous connaissons depuis une dizaine d'années des attentats
suicides. Des gens qui ont perdu tout espoir dans la vie décident de se
tuer. Ces Palestiniens, qui deviennent des bombes humaines, sont évidemment
le lien le plus immédiat. Les zélotes ont été acculés sur la falaise
par les Romains sans aucun espoir de fuite. Ils ont perdu l'espoir de
vivre normalement. C'est donc là le lien immédiat. Massada
est-il très connu en Israël ? Avi Mograbi.
C'est un élément
important de notre conscience en Israël. Tous les adolescents de
quatorze, quinze ou seize ans grimpent à pied jusqu'à Massada. Ils écoutent
l'histoire, la replacent dans le contexte du combat des juifs pour l'indépendance,
de l'Holocauste. Elle devient un élément de leur pensée. Mais
Massada n'est-il pas devenu universel ? Avi Mograbi.
L'histoire
originale racontée dans la Guerre des juifs, de Flavius Joseph, sur
l'occupation romaine dans le Moyen-Orient, est différente de celle
d'aujourd'hui. Maintenant, les zélotes sont présentés comme des
combattants de la liberté, des gens courageux, des héros qui se sont
sacrifiés. J'ai repensé à ce que représentait un suicide collectif. Il
y avait 960 personnes. Des hommes, des femmes et des enfants. Je ne suis
pas sûr que les enfants aient choisi de se tuer eux-mêmes. Et d'après
l'histoire, les parents les ont massacrés. L'histoire vous paraît-elle
toujours héroïque ? Je n'en suis pas si sûr. Mais si on revient à
Flavius Joseph, il ne parle pas seulement des enfants massacrés, il présente
également les zélotes comme des assassins, des voleurs extrêmement
nationalistes. Ils ont même massacré des juifs. Dans l'oasis d'Ein Gadi,
les zélotes en ont massacré 800 avant de s'emparer de tous leurs biens.
Est-ce le genre de personnes avec lesquelles on a envie de s'identifier ?
Quand l'histoire est racontée superficiellement, elle peut apparaître
comme héroïque. Mais si on parle d'une communauté qui décide de
massacrer ses propres enfants, je ne suis pas sûr de vouloir y appartenir Avi Mograbi. Je suis apparu dans trois de mes films avant celui-là. Mais ce film n'aurait pas pu être fait sans mon activisme. Dans plusieurs séquences tournées dans les territoires occupés, je n'étais pas là en tant que réalisateur. J'étais là comme militant même si je venais avec ma caméra. La question de ma présence dans le film ne se pose pas vraiment puisqu'il n'y a pas de séparation entre moi, la personne, et le militant, le politique et le cinéaste. Ce sont plusieurs facettes d'une seule personnalité. J'ai pensé qu'il était approprié d'apparaître dans le film mais je n'ai pas joué la comédie. Je ne crie pas sur un soldat pour créer un effet dramatique (hors de lui devant un soldat qui refuse de laisser passer des enfants palestiniens à un barrage, Mograbi lui hurle dessus - NDLR). C'était juste une situation où j'ai perdu le contrôle. Elle n'était pas faite pour la caméra même si, au final, c'est une scène très forte et dramatique. Mais tous les gens ne perçoivent pas cette scène de la même façon. Certains s'identifient à moi alors que d'autres pensent que j'ai mal réagi. Même si
elle est magnifique, cette séquence contraste avec le reste du film où
vous restez davantage à distance... Avi Mograbi.
La tension
est montée. Je ne pense pas que crier sur des soldats en constatant une
injustice ou des atrocités soit nécessairement la bonne solution. En général,
on négocie, on aide. Mais la manière dont le film est construit fait que
la tension monte au fur et à mesure. Dans le reste du film, on ne
m'entend pas m'énerver mais, avec mon point de vue, on comprend que la
tension monte et parfois cela explose. Pourquoi
parlez-vous d'Israël comme d'une démocratie à deux vitesses ? Avi Mograbi.
C'est très
simple. C'est une démocratie fantastique si vous êtes israélien et
juif. Israël se présente comme un État juif. C'est une démocratie mais
surtout pour les juifs. Ceux qui ne sont pas juifs sont des citoyens de
seconde zone. Et si vous êtes un Palestinien occupé, vous n'avez pas de
droits du tout. C'est la réalité d'Israël et j'en suis très attristé.
Je ne veux pas avoir plus de droits que les autres. Dans une démocratie,
tout le monde devrait avoir les mêmes droits. Pas forcément la même
richesse, le même travail ou la même maison mais au moins les mêmes
droits. Une
partie du public israélien vous considère-t-il comme un traître ? Avi Mograbi.
Il n’a pas compris que la
proposition démocratique est que la République de Palestine ne soit pas
moins qu’Israël, une démocratie pour les musulmans. Peut-être mais je n'ai jamais été qualifié de la sorte. Mais je ne pense pas que la vraie droite connaisse mon travail sinon peut-être m'aurait-elle traité de traître. Je ne suis pas un traître. Je suis citoyen d'un pays et j'ai le droit de critiquer la politique de l'État. La première semaine de juin nous fêterons la 37e année d'occupation des territoires. Imaginez que vous ayez vécu toute votre vie sous l'occupation sans possibilité de voyager librement et de quitter le pays sans l'accord des autorités israéliennes. Je ne pense pas que quelqu'un souhaite vivre de la sorte. Une séquence
montre un concert de rockers religieux d'extrême droite. Le plus triste,
c'est qu'ils sont bons ! Avi Mograbi.
Ils sont très
bons musicalement. C'est une contradiction horrible. Les gens de gauche
peuvent jouer superbement de la guitare, les fascistes aussi. Comme ils
peuvent écrire des livres merveilleux. Quand j'étais jeune, je croyais
que tous les mecs à cheveux longs étaient sympas parce qu'il croyait à
la paix, à l'amour et à la compréhension mutuelle entre les gens.
Apparemment, c'étaient des conneries ! Il avoue là les limites de son raisonnement , la nécessaire coexistence de 2 démocraties identiques dans leur imperfection, pour juifs, pour musulmans. Pourquoi
avez-vous choisi le documentaire ? Avi Mograbi.
Je ne vois
pas l'intérêt de recréer en fiction ce que j'ai sous la main en réalité.
Dans le film, il y a des situations que je ne me serais pas cru capable
d'imaginer assis devant une feuille blanche. Dans mes autres
documentaires, il y avait une part de fiction. D'ailleurs le projet
d'intention du film comprenait des séquences fictionnelles. Mais j'ai décidé
de ne pas les inclure parce que le documentaire était si fort qu'il se
suffisait à lui-même. Je laisse le film me guider et pas mon projet
guider le film. Pensez-vous
que votre film puisse influencer une partie du peuple israélien ? Avi Mograbi.
À vrai
dire, je ne crois pas que le documentaire puisse changer la réalité. L'évolution
des mentalités est une chose très complexe. Le documentaire peut aider
mais les changements de perception des gens ne se font pas comme ça.
Plusieurs choses s'ajoutent les unes aux autres et on se rend compte qu'il
se passe un truc. Quand je pars faire un film, j'y vais dans l'esprit de
changer le monde. Mais, bien sûr, les choses ne fonctionnent pas comme ça.
C'est peut-être une pierre ajoutée à l'édifice. On peut au moins espérer
que cela a une signification pour les gens mais je doute que cela change
beaucoup leur état d'esprit. Entretien
réalisé par Michaël
Melinard
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