La vente secrète d’une parcelle de terre de la Ville Sainte
menace le fragile équilibre entre les religions.
Donald Macintyre a enquêté sur le prêtre de l’Eglise Orthodoxe
Grecque accusé d’avoir vendu un gros paquet de terre
palestinienne contre l’or israélien
Abu Walid Dijani, le propriétaire de l’hôtel New Imperial, vit
des moments difficiles. Cet hôtel arabe, l’un des plus anciens de
Jérusalem malgré son nom, s’est trouvé bien des fois au centre
de l’histoire turbulente de la ville grâce à sa situation stratégique
à l’intérieur même de la Porte de Jaffa.
D’un de ses balcons en décembre 1917, le général Edmund
Allenby a regardé de l’autre côté de la place Omar Ibn al
Khattab après être descendu de son cheval à l'extérieur des murs
et être entré à pied dans la Vieille Ville pour signifier
qu’elle était libérée des Turcs.
Dans les années 1950 à 60, l’hôtel a abrité un petit cinéma
et son élégante salle de bal était le lieu favori des mariages
palestiniens.
En 1967, pendant la guerre des Six Jours, il a été occupé et a
servi de base aux militaires israéliens puis rendu aux Dijani, les
locataires de l’hôtel qui appartient à l’Eglise Grecque
Orthodoxe. Mais pendant plus d’un siècle, le vieil hôtel n’a
jamais été en plus grand danger.
Parce qu’il est au centre d’un scandale international qui a
exaspéré le gouvernement grec et pourrait saboter les chances
d’un accord global sur le conflit Israélo-Palestinien. Il a aussi
alimenté les exigences locales des 200 000 ouailles de l’église
réclamant que la hiérarchie grecque soit remplacée, comme dans
d’autres communautés chrétiennes, par des prélats arabes.
Irineos I, le Patriarche grec orthodoxe en cause – ou
"l’ex-patriarche" comme son évêque le plus haut placé
l’a constamment désigné depuis qu’une réunion sans précédent
du Synode a voté sa déposition vendredi dernier - est accusé d’être
derrière un marché immobilier secret et politiquement explosif.
Selon ce marché, trois buildings importantes du nord de la place
Omar Ibn al Khattab ont fait l’objet de baux de 198 ans -
quasiment vendus – à un groupe d’investisseurs à ce jour
anonyme. Ce qui rend ce marché à ce point politiquement explosif,
c’est qu’il risque de modifier le délicat équilibre ethnique
et religieux de la Vieille Ville.
Les boutiques, l'Imperial et l'Hotel Petra se trouvent juste à
l’intérieur de la Porte de Jaffa au point d’accès le plus fréquenté,
mais aussi à la jonction des quartiers chrétiens, musulmans et arméniens.
Selon les "paramètres Clinton' instaurés à Camp David en
2000, les secteurs Chrétien et Musulman devaient tomber sous le
contrôle palestinien, selon le principe que ce qui était arabe
serait ¨Palestinien et ferait partie de la nouvelle capitale
palestinienne de Jérusalem-Est, et que ce qui était juif serait
Israélien.
Tout accord de paix devra garantir un accès sûr aux Juifs qui
voudront entrer dans le quartier juif et prier au mur des
Lamentations.
Mais l’emprise juive (et on ne doute pas dans la Vieille Ville que
les organisations de colons passionnément attachés à l’idée
d’une Jérusalem « unifiée et éternelle » pour capitale israélienne
soient impliquées dans cet achat, au nord, indiscutablement arabe)
au flanc de la place créera un nouveau et dramatique "fait
accompli sur le terrain" remettant en cause le caractère arabe
du quartier et torpillerait la résolution Clinton en faveur d’une
"continuité maximum" dans les secteurs existant de Jérusalem.
Mr. Diwan, dont le père Mohammed, avait obtenu de l’Eglise
un "bail" protégé pour l’hôtel en 1949 a été, de
son propre aveu, "surpris" quand il a appris, en mars, la
transaction dans "Ma’ariv", un quotidien israélien.
Mais il était au courant depuis longtemps du grand intérêt de
certaines personnalités juives pour le site.
Il y a environ 18 mois, dit-il, un soi disant américain d’environ
70 ans, "Un Juif sans kippa" dit M. Dijani, s’est
présenté sans prévenir et a demandé au propriétaire de lui
donner 10 minutes pour lui faire faire le tour du propriétaire.
Comme ils s’étaient arrêtés au second étage, il m’a regardé
dans les yeux et m’a dit : "Combien souhaiteriez-vous que je
vous donne pour me le vendre ?".
J’ai souri et j’ai dit que je n’avais jamais pensé à ça.
Il a dit : "Comment un homme comme vous pourrait aller dormir
sans penser à un prix ?".
Mais M. Dijani a poliment souligné que son bail n’était pas à
vendre dans ces circonstances et son visiteur est parti.
Quand
cette histoire secrète a explosé dans la presse – elle a
probablement fuité vers une opinion publique "attendrie"
par un marché secret de 130 millions de dollars – M. Dijani a
demandé audience au Patriarche.
Il dit que sa famille entretenait depuis longtemps de chaleureuses
relations avec le Patriarcat.
Mais même au sein d’une Eglise fréquemment déchirée par le
scandale et l’intrigue, Irineos est une figure controversée.
Paradoxalement, Israël a refusé trois ans durant de le reconnaître,
après son élection de 2001, en raison de ce qu’il considérait
comme son alliance avec l’Autorité Palestinienne, et Yasser
Arafat en particulier.
Mais sa décision réticente de le faire en 2004 a été, cette même
année, annulée par un tribunal israélien en raison du fait qu’Irineos
avait gagné son élection avec l’appui de figures criminelles de
Grèce, dont Apostolos Vavilis, trafiquant d’héroïne
condamné.
Vavilis a ausssi été le personnage central d’enquêtes
criminelles en Grèce, comme collaborateur de l’archevêque
Christodoulos, chef de l’Eglise Grecque, qui a lui-même été
englouti dans scandale sur des rapports d’enquête accusant son
clergé de s’être engagé dans des commerces d’objets anciens,
de procès truqué et de délinquance sexuelle.
Dans une interview donnée quand il était encore en fuite, Vavilis
a déclaré qu’Irineos lui avait offert 400 000 dollars pour
lancer une campagne de diffamation contre ses deux principaux rivaux
politiques mais qu’il ne l’avait pas payé.
Dans l’atmosphère qui règne de rumeurs sur l’homosexualité
dans le clergé grec, la diffamation incluait des allégations sans
fondement contre des rivaux et toute l’assertion non démontrée
selon laquelle le principal opposant du Patriarche, l’archevêque
Thimothéos, avait loué un tueur à gages palestinien pour
l’assassiner.
Avant que le Patriarche de Jérusalem n’ait été reconnu par le
cabinet d’Ariel Sharon, il a confié les affaires financières de
l’église au directeur financier du patriarche Nicholas
Papadimas, lui donnant clairement procuration.
M. Papadimas a disparu après que 700 000 dollars se soient
semble-t-il volatilisés des comptes de l’église.
Le Patriarche a déclaré aux responsables du gouvernement grec que
le directeur financier avait fabriqué de faux documents et abusé
de son autorité pour vendre une boutique de la Porte de Jaffa.
M. Papadimas, pas non plus découragé par son statut de fugitif, a
rendu publique sa propre version des faits qui a été reprise dans
la presse grecque et israélienne où il dit que les transactions de
la Porte de Jaffa ont été autorisées par Irineos.
Le quotidien "Ha’aretz" a dit que M. Papadimas avait déclaré
que le Patriarche l’avait fait pour se faire bien voir des autorités
israéliennes.
M. Dijani dit que quand il a rencontré le Patriarche, il lui a
demandé : "Votre Béatitude, pourquoi ne dites-vous pas :
"J’ai fait une faute. Je demande au monde entier de me
soutenir moralement" ?".
Quand le prélat a répété ses démentis, M. Diajani dit qu’il a
répondu : "Mais vous avez donné procuration (à M. Papadimas)".
Irineos n’a pas été aidé quand des enquêteurs envoyés le mois
dernier par un gouvernement grec de plus en plus inquiet n’ont pas
réussi à trouver d’explication convaincante.
"De toutes les pièces à conviction demandées, quelques
unes seulement nous ont été fournies." dit leur rapport
officiel.
"En elles-mêmes, ces pièces n’étaient pas très utiles ni
assez informatives pour notre affaire."
Bien que les tribunaux israéliens n’aient pas toujours fait
respecter les baux protégé, M. Dijani représente toujours un
obstacle potentiel pour une prise de contrôle totale de l’hôtel.
Il suggère qu’il pourrait bien y avoir eu trois scénarios
possibles
"Le premier, c’est que le contrat donne amplement le temps au
Patriarcat de m’acheter au bout d’un moment ;
le second, c’est qu’ils pourraient se montrer patients. Le bail
protégé a une durée de trois générations et ils devraient
attendre que mes petits-fils aient fini de tenir l’hôtel. Mais ce
serait une longue attente.
Et le troisième serait qu’ils exercent sur moi toutes les
pressions possibles pour me faire quitter les lieux."
Ce dernier (scénario) pourrait être particulièrement vrai si,
comme certains commentateurs, avocats israéliens et autres sources
ecclésiastiques l’ont ouvertement supposé, le gouvernement israélien
est, même indirectement, derrière ce marché.
Le montant est certainement plus important que celui
qu’investissent généralement les associations de colons. Les
autorités israéliennes démentent catégoriquement toute
participation à la transaction.
Mais il y a un précédent.
Au début des années 1990, le patriarcat, le propriétaire terrien
religieux le plus important, propriétaire de peut-être 20% de la
Vieille Ville, avait vendu l’Hospice Saint Jean, près de l’église
du Saint Sépulcre, au bénéfice des colons dans un marché qui se
révèla avoir été financé par le Ministère du Logement,
agissant par le biais d’une compagnie étrangère, sur les ordres
du ministère d’alors, David Lévy.
De toute manière, le Patriarcat est maintenant enfermé dans ce qui
est sûrement la crise la plus profonde de ses 16 siècles
d’histoire.
Irineos
a quitté le Patriarcat après la réunion du Synode (que son
groupe de plus en plus mince de supporters affirme qu'elle a pas été
correctement constituée), il est reparti sous la garde de la police
israélienne tôt dimanche matin pour sa résidence, d’où il a
continué à dire qu’il restait patriarche, au mépris du plus
grand nombre de ses anciens collègues.
La nuit dernière, il a été convoqué à Istanbul par le chef
spirituel mondial des Chrétiens Orthodoxes, le patriarche œcuménique
Bartholomew I, pour une discussion urgente.
Mais à la fin, le futur du Patriarche pourrait être moins
important que celui du contrat immobilier signé sous sa
surveillance.
Comme le dit Dimitri Dilani de la Coalition Chrétienne Nationale,
groupe de pression de l’église qui critique aussi l’Autorité
Palestinienne pour n’avoir pas retiré sa confiance à Irineos :
"Nous avons gagné une bataille mais nous sommes encore loin
d’avoir gagné la guerre. Nous voulons que la terre soit restituée
et qu’on sache où est passé l’argent."
Dimanche dernier, dans les bureaux pleins de monde du Patriarcat,
les hauts prélats semblaient euphoriques – presque éblouis
d’avoir eu le courage de l’avoir désavoué le soir précédent.
Mais l’archevêque Alexios de Gaza, par exemple, s’est
montré quelque peu dédaigneux quant au projet de défaire un marché
qui a de telles implications régionales.
"Evidemment, ce qui est arrivé est un moment sombre pour le
Patriarcat," a-t-il dit "mais ça ne peut pas être annulé.".
Un acte officiel s’est installé.
L’archiprêtre Timotheos, largement considéré comme le maître
d’œuvre du coup du palais, vendredi, a dit : "Nos amis israéliens
devraient comprendre que nous n’avons pas voté contre eux mais
contre la conduite du Patriarche qui a tout fait ça dans le
secret."
Quand on lui a demandé si la dissidence essaierait d’annuler
l’affaire, l’archiprêtre a dit qu’il ne pouvait pas discuter
"d’affaires politiques" tant que les élections n’étaient
par terminées, élections pour le remplacement du Patriarche qui
auraient lieu bientôt.
Malgré toutes les protestations d’Israël affirmant qu’il ne se
mêle pas des affaires internes du patriarcat, son pouvoir de donner
ou de refuser sa reconnaissance à un patriarche ne peut pas ne pas
avoir d’influence.
Le mouvement d’acquisition des biens, qui fait monter la peur chez
de nombreux chrétiens de la Vieille Ville craignant que les colons
ne viennent bientôt les occuper, est comparable à tous ces autres
achats, réalisés hors de la Vieille Ville comme à l’intérieur,
et qui ont fait qu’environ 1800 colons habitent maintenant dans
des points stratégiques de quartiers de Jérusalem-Est peuplés de
230.000 arabes .
De même que l’extension de Maale
Adumin qui la reliera à Jérusalem, le tracé du mur de séparation
à l’extérieur de la ville et d’autres installations sont d’évidence
calculés pour contrecarrer le projet d’une Jérusalem devenant
capitale d’un état palestinien viable.
ET de toute évidence, ils se moquent de l’avertissement lancé
cette année par Condoleezza Rice au gouvernement israélien pour
qu’il ne fasse rien faire qui empêcherait les négociations avec
les Palestiniens sur le statut final de la ville.
Daniel Seidemann, l’avocat israélien qui est conseiller et
s’oppose à la colonisation de Jérusalem depuis des années dit
que tout plan de paix pourrait maintenant devoir faire "de la
microchirurgie" pour garantir aux Juifs un passage sûr par le
quartier arménien jusqu’au au sud de la place, par le quartier
Juif et le saint Mur des Lamentations.
Il ajoute : "Soudain la frontière devient mobile. Vous êtes
en présence de colons. Les gens qui ont acheté les propriétés
d’ici n’ont pas fait un coup de pocker."
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