AFPS Nord Pas-de-Calais CSPP |
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C’est bon
que tu sois rentré à la maison !
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du vendredi 25 février
2005
[traduit de l'hébreu par Michel Ghys]
Joie contenue, cette semaine, à Jénine, avec la libération d’une poignée de prisonniers dont Jamal Zubeidi, l’oncle de l’homme recherché le plus célèbre.
Les accolades et les embrassades étaient très retenues. Même quand il
embrassait ses enfants, on n’aurait pas pu dire qu’il s’agissait
d’un père rentrant chez lui après de longs mois de prison. Et
lorsque Zakariya, son neveu recherché et pour lequel, en prison, il
s’inquiétait par-dessus tout, est entré dans la pièce, les deux
hommes se sont contentés d’une brève accolade. Il était convaincu
qu’il ne le reverrait pas vivant, mais ici on n’affiche pas ses
sentiments. Dans cette maison qui a déjà tout connu – assassinat,
arrestations, destruction et gêne financière – on renferme tout ce
qu’on éprouve. Son épouse, Sanaa, n’a pas éclaté en pleurs ou en
cris de joie, les enfants se sont approchés de lui l’un après
l’autre pour une courte embrassade, et voilà tout.
Jamal Zubeidi, une des personnes les plus aimées et les plus estimées
du camp de réfugiés de Jénine, membre du comité du camp, est rentré
à la maison. L’homme qui, au cours de l’opération « Muraille de
protection », a enterré de ses mains des dizaines de cadavres
d’habitants dont plusieurs étaient des proches parents, est
maintenant maigre comme il ne l’a jamais été, démontrant par son
apparition comme on peut avoir l’air mal après quelques mois dans une
prison israélienne. Il a déjà connu pas mal d’arrestations et de détentions
dans sa vie mais jamais cela ne lui a été aussi dur. Peut-être est-ce
l’âge, reconnaît-il, à bientôt 49 ans. Et peut-être sont-ce les
conditions qui se sont aggravées, une nourriture pauvre et peu
abondante, la surpopulation dans les cellules et dans les tentes,
l’absence de médicaments adéquats.
Quatre mois en prison, apparemment sans raison : la proximité familiale
avec le célèbre homme recherché, le fait de connaître Tali Fahima,
d’avoir des liens avec deux ou trois journalistes israéliens qui
viennent de temps en temps à Jénine. L’agent des Services de la sécurité
générale [Shabak] ne l’a questionné que là-dessus, lors de
l’interrogatoire qui a duré à peu près trois heures. Après quoi il
a été envoyé pour une nouvelle détention administrative, six mois de
détention, sans accusation, sans procès, sans terme fixé d’avance,
sans savoir jusqu’au dernier moment si sa détention ne sera pas de
nouveau prolongée. Il a été libéré cette semaine, parmi les «
gestes » qu’Israël a fait pleuvoir sur les Palestiniens pour leur
plus grand bien. Lever à deux heures vingt du matin dans la tente de
Ketsiot, comme pour prendre un avion le matin, et une demi journée plus
tard, Zubeidi était déjà assis comme auparavant dans le salon de sa
maison, dans le haut du camp, ce salon détruit par un tir de char lors
de l’incursion de 2002. C’est bon que tu sois rentré à la maison,
Jamal.
A huit heures du matin, un jeune homme était déjà assis dans son
fauteuil roulant électrique face aux jeeps des garde-frontières, au
barrage de Salem, et il attendait. Ce barrage est totalement fermé
depuis quatre ans déjà et ce n’est qu’en l’honneur des
prisonniers libérés que l’armée israélienne a décidé de
l’ouvrir un moment, comme dans une vision. Derrière, près d’un
espace vert à l’avant d’une station essence, attendaient des
centaines de membres des familles. Le garde-frontière maintenait sa
mitrailleuse pointée en permanence vers eux : pas de relâchement pour
lui dans le cadre des allègements. La plupart de ceux qui patientent
sont des hommes : les femmes attendent à la maison. Un jeune
entrepreneur a extrait un réchaud d’une Subaru fatiguée et il a préparé
du café à un shekel. Il n’y a presque personne ici qui n’ait fait
l’expérience de la prison. Le visage de la majorité des gens est
sombre et fatigué. Seuls 136 fils de la ville sont libérés
aujourd’hui, et pourtant il se dessine un petit moment de bonheur, de
légère trêve, si rare, dans la misérable routine. Dans le centre de
la ville, attendent les nombreux hommes en arme ; ils n’osent pas
encore s’approcher d’ici.
L’un après l’autre, les prisonniers sont descendus de l’autobus
du « Transporteur Sud de Zvika » et sont passés à l’autobus des «
Transports Peretz Hananiya » devenu en fin de vie autobus palestinien.
Les libérations antérieures ont rendu familières ces images : l’émotion
des mains qui s’agitent à la vitre de l’autobus, le baiser à la
terre, la première interview (et la dernière) à Al-Jazeera, les
soldats qui, contrairement à leur habitude, se tiennent sur le côté,
s’abstenant de tyranniser et d’aboyer des ordres. Quelques minutes
de gloire qui ne reviendront pas. Le commandant du Fatah dans le camp,
Ala Abou Ramila, lui aussi prisonnier libéré à un tarif de fin de
saison, 14 mois au lieu de 40, dit ce qu’ici tout le monde dit : « La
majorité est restée derrière. Israël se moque de nous ».
Arafat est encore présent, davantage que son successeur, dans les
objets fabriqués par les prisonniers. Dans chaque autobus, il y a au
moins trois mosquées Al Aqsa en allumettes et un Arafat sur un tissu,
aucun Abou Mazen pour se remonter. « Tu restes la conscience de la
nation », a écrit un prisonnier en lettres d’argent sur un tissu
rouge vif, sous la photo d’Arafat. Peut-être l’a-t-il écrit il y a
longtemps. L’officier du service des porte-parole de l’armée israélienne
recommande d’interviewer le commandant local du Front Populaire qui
descend, lui aussi, de l’autobus. La plupart des prisonniers ont les
mains vides, ils ont été arrêtés et ont été libérés sans rien.
Le convoi de la joie s’approche lentement de la ville, accompagné
sans arrêt de coups de klaxon et de coups de feu. Une poignée
d’habitants agitent les mains sur les côtés de la route, mais
seulement une poignée. La quantité de munitions tirées dans le cimetière,
pour les morts de l’Intifada, premier arrêt sur le chemin de la
maison, suffirait à l’entraînement d’un régiment. Mais Jénine
n’a pas pris les parures de fête.
Zubeidi s’est dépêché de descendre de l’autobus et d’aller,
seul, à pied, chez lui, son sac tout râpé à la main. Il a renoncé
à l’agitation au cimetière et à la cérémonie à la mouqata'a de Jénine.
La foule l’en a dissuadé. Il ira sur la tombe de ceux qui lui étaient
chers un autre jour. Plus tard, il a aussi décliné la proposition que
lui ont faite ses amis, de courir au Conseil législatif au nom du camp
de Jénine. Il veut rester un homme simple. Les onze derniers jours de
prison ont été extrêmement durs, à cause de la tension et de
l’incertitude à propos de la liste des prisonniers libérés. Des
noms apparaissaient puis disparaissaient. La dernière nuit, la plupart
des prisonniers n’ont pas fermé l’œil. Au cours de ses quatre mois
de détention, Zubeidi n’a pas eu droit à la moindre visite de
famille. Pendant la première semaine, sa famille n’a pas pu savoir où
il était retenu. Quand les soldats sont venus l’arrêter, il était sûr
qu’ils venaient pour un de ses fils. « Je suis déjà vieux pour ça
», a-t-il dit à ceux qui venaient l’arrêter. Il a été emmené au
centre de détention de Salem et de là au centre de Hawara, puis à la
prison d’Ofer et de là, à la prison de Ketsiot.
C’est à Hawara que c’était le plus dur. C’est à peine si on y
donnait à manger. On leur a un jour apporté une boîte de biscuits
portant 1995 comme date de péremption. A Ketsiot, raconte-t-il, il y a
un nouveau régime : tout s’achète avec de l’argent. Depuis la télévision
jusqu’aux cigarettes, depuis les ustensiles de cuisine jusqu’à la
nourriture ; les familles envoient de l’argent et il y a moyen de tout
acheter. Mais cela crée des statuts différents en prison, des riches
et des pauvres, et essentiellement le Hamas et le Jihad, qui ont de
l’argent à profusion, et les organisations laïques qui n’ont
qu’un maigre budget. Les plus pauvres, ce sont ceux du Front
Populaire. Sanaa envoyait à Jamal, qui n’a pas de source de revenu
fixe, 100 shekels par mois pour les cigarettes. Lors de détentions antérieures,
l’armée israélienne distribuait des cigarettes. « En dehors de
l’eau et de l’électricité, et d’un peu de nourriture, tout a
maintenant un coût à Ketsiot ».
Son état d’esprit est lourd. Même pendant ses premières minutes
chez lui, après tous ces jours et ces nuits en prison, il a bien
de la peine à esquisser un faible sourire, même à la vue de ses
enfants. « Nous avons laissé derrière nous encore 7500 prisonniers.
N’oubliez pas qu’il y a aussi beaucoup de tués. Je pense tout le
temps à ces gens-là. Nous craignons qu’on n’oublie tous les tués.
Il y a 3700 personnes enterrées – s’il y a la paix, c’est
d’accord, mais il faut obtenir un prix qui soit égal à tous ces
morts. Pas qu’à la fin, il n’y ait rien. Qu’est-ce que vous
pouvez dire à la mère d’un shahid, si l’occupation ne prend pas
fin et s’ils ne démolissent pas la clôture et s’ils ne libèrent
pas tous les prisonniers ? S’il y a une vraie paix, alors d’accord.
Vous pouvez aller chez la mère du shahid et lui dire qu’il y a la
paix, pleine et entière. Mais s’il ne s’est rien passé de tel,
alors on peut dire que nous avons vendu le sang de nos shahids. Imaginez
la joie que ça aurait été si tout le monde avait été libéré. Ils
en ont libéré 500 et il en reste 7500. »
Il n’y a pas beaucoup de gens à venir lui rendre visite dans les
premières heures. Seuls les hommes en armes ne sonnent pas avant
d’entrer. La maison n’a pas été décorée. Il n’y a pas de
buffet, simplement du café. On n’est pas à la fête. Pendant sa détention,
Zubeidi a eu le temps de lire beaucoup : l’écrivain algérienne Ahlam
Mosteghanemi et l’égyptien Abdel-Rahman Mounif et la poésie d’Ahmed
Fouad Najam. Cinq livres par mois. « Yediot Aharonot » et « Maariv »,
chaque jour. Il n’y a pas « Haaretz » à Ketsiot. Une antenne
parabolique payée par les détenus. Son hébreu s’est un peu amélioré.
On entend tout le temps des coups de feu qui viennent du centre du camp
et qui se rapprochent.
Durant son interrogatoire, on lui a posé des questions sur ses contacts
avec des journalistes israéliens. C’est interdit ? a-t-il demandé à
son interrogateur. On lui a posé des questions sur le trajet que nous
avons fait un jour ensemble, accompagnés de l’éditeur de Haaretz,
Amos Schocken, jusqu’au camp de Jénine et jusqu’[au village de]
Bourkin, tout proche. Avez-vous téléphoné à votre neveu Ismaïl Abou
Shadouf qui est recherché et lui avez-vous organisé une rencontre avec
ces journalistes ? lui a demandé le type de la Sécurité [Shabak]. «
Je n’ai pas besoin de téléphoner. On est allé là-bas en voiture.
Ils ont fait un article. Qu’y a-t-il d’interdit là-dedans ? »
Zakariya est-il votre hôte ? lui a demandé l’enquêteur et Zubeidi a
répondu : « Vous connaissez la maison de Zakariya ? Je vous dis que
vous ne la connaissez pas. A quelle distance est sa maison de la mienne
? Vous ne savez pas. 90 centimètres. Il va chez lui, pas chez moi. »
Entre temps, l’habitation de Zakariya a été détruite et la voiture
de son voisin Jamal qui était garée en dessous a été complètement
écrasée. Vous l’aidez financièrement, a poursuivi l’enquêteur.
« Zakariya a besoin d’argent de moi ? » La détention de Jamal a été
prolongée de 15 jours. Ensuite on l’a condamné à six mois de détention
administrative.
Avec un revolver dans sa gaine et, à l’épaule, un fusil M-16 avec
viseur télescopique, l’homme recherché numéro un entre dans la pièce.
La nuit dernière, il s’est blessé à la main : à trois heures du
matin, il a pincé un voleur qui s’était introduit dans une épicerie
et il a immédiatement téléphoné à la police de Jénine qui n’a
pas voulu envoyer de patrouille. Alors Zakariya Zubeidi a été
contraint d’entrer dans la ville au milieu de la nuit pour livrer le
voleur à la police. Au cours de l’altercation qui a éclaté entre le
voleur et celui qui l’avait attrapé, l’homme recherché a eu la
main cassée. Quand il aura fini de s’occuper de « trois dossiers »,
comme il dit, il rejoindra l’Autorité palestinienne : le dossier des
familles des tués, le dossier des blessés et le dossier des
prisonniers. Ils ont tous cessé de recevoir leurs allocations de
l’Autorité. « Depuis [l’opération] ‘Muraille de protection’,
personne à Jénine n’a reçu un shekel », dit-il. « Quand j’en
aurai fini avec ces dossiers, j’entrerai ». Pourquoi ne pas entrer
maintenant et s’occuper de ça de l’intérieur ? « Celui qui est
assis dans le fauteuil, oublie. Même Zakariya. C’est vrai ou pas ? »
Se cache-t-il moins actuellement ? Non, il ne se fie pas aux Israéliens.
Il va bientôt avoir une petite fille, une sœur pour Hamoudi qui est âgé
d’un an et demi, et qui s’appuie sur les genoux de son père, entre
le fusil et le revolver. La petite fille s’appellera Samira, d’après
le nom de la mère de Zakariya, que des soldats de l’armée israélienne
ont tuée chez elle.
Un enfant de voisins entre dans la pièce. Son père, Ziad Abou Al Haija,
était sur le point d’être libéré mais ne l’a pas été. Le
visage d’Ahmed, 11 ans, exprime la tristesse. Jamal : « Comme
j’aimerais aider cet enfant. Nous pensions que Ziad allait être libéré
avant moi et qu’il prendrait soin de mes enfants. Maintenant, c’est
moi qui vais les aider eux ». Le portable de Zakariya n’arrête pas
de gazouiller une chanson d’amour arabe en guise de sonnerie. Après
une de ces chansons d’amour, on lui apprend qu’un jeune garçon a été
tué dans la ville par les tirs de fête. Son visage devient grave et il
sort immédiatement. La maison se vide à nouveau et Jamal se replie
dans sa tristesse. « En prison, je ne pensais pas à mes enfants. Je ne
pensais qu’à Zakariya, que je ne le reverrais pas. Tout le temps,
j’étais triste à cause de lui. Les prisonniers me demandaient
pourquoi j’étais triste et je leur disais que c’était à cause de
Zakariya. Que je sortirais et que je ne le verrais pas. »
Un vieux voisin sonne à la porte. Abdel Noursi, dont le fils, Rushdie,
a été blessé dans un incendie qui a éclaté à Ketsiot suite à un
court-circuit. Il est venu demander des nouvelles de son fils. «
J’aime tous les détenus de la prison et pour moi, la libération des
prisonniers est meilleure qu’un Etat palestinien », dit le vieil
homme. Rushdie est censé être libéré dans un mois. Il est marié et
il a une fille. Son père ne l’a pas vu depuis six mois déjà. Et sa
fille, il ne l’a vue qu’une fois. Jamal accompagne ses hôtes dehors
et tout à coup, il aperçoit, collée au mur de la maison d’en face,
la photo d’un homme qui a été tué et son regard reste pris,
refusant de se porter ailleurs.
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Ce texte n'engage que son auteur et ne correspond pas obligatoirement à notre ligne politique. L'AFPS 59/62, parfois en désaccord avec certains d'entre eux, trouve, néanmoins, utile de les présenter pour permettre à chacun d'élaborer son propre point de vue." |
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