APPEL
Aller résolument de l'avant
( Ilan Pappe )
Illan Pappe, professeur d'université à Haïfa, est l'un des rares Israéliens
apportant son soutien au boycott d'Israël. Il explique ici pourquoi.
Je fais appel à vous aujourd'hui pour que vous rejoigniez un mouvement et
un moment historiques qui peuvent permettre de voir la fin de plus d'un siècle
de colonisation, d'occupation et de dépossession des Palestiniens.
Je fais appel à vous en tant que juif israélien qui souhaite depuis des
années, et par divers moyens, mettre un terme à ce mal commis contre les
Palestiniens dans les territoires occupés, à l'intérieur d'Israël
comme dans les camps de réfugiés.
J'ai consacré toute ma vie d'adulte, avec d'autres, à créer un
substantiel mouvement pour la paix à l'intérieur d'Israël et dans
lequel nous souhaitions que les universitaires jouent un rôle prédominant.
Mais après 37 années d'une sévère et brutale oppression du peuple de
Cisjordanie et de Gaza, et après 57 années de colonisation et dépossession
des Palestiniens dans leur ensemble, je pense à présent que ce projet
est irréaliste et que d'autres voies sont à étudier de façon à faire
cesser ce conflit qui, au final, met en danger l'ensemble de la paix dans
le monde.
La violence et la lutte armée ont aussi échoué, et elles ne peuvent être
facilement pardonnées par des gens comme moi qui sont viscéralement
pacifistes. Des exemples historiques comme l'Afrique du Sud et le
mouvement de Ghandi en Inde prouvent qu'il y a des voies pacifiques pour
faire cesser ce qui est la plus longue oppression et violation des droits
humains dans le dernier siècle.
Le boycott et les pressions externes n'ont jamais été réellement expérimentés
dans le cas d'Israël, un pays qui prétend faire partie du monde démocratique
et civilisé.
Israël a cependant joui d'un tel statut depuis sa création en 1948, et
pour cette raison, il prétend maintenant obtenir un statut privilégié
vis-à-vis de l'Europe en surmontant les nombreuses résolutions des
Nations-Unies qui condamnent sa politique.
La position élevée qu'occupent les universités israéliennes dans la
communauté savante internationale est le reflet de ce support de
l'Occident à « la seule démocratie » du Moyen-Orient. Protégés par
ce soutien tout particulier aux universités et autres organismes
culturels, l'armée israélienne et les services de sécurité peuvent
poursuivre leur besogne en démolissant des maisons, en expulsant des
familles, en maltraitant les citoyens et en tuant presque tous les jours
des enfants et des femmes sans avoir à rendre compte de leurs crimes, que
ce soit au niveau de la région ou au niveau mondial.
Le soutien militaire et financier dont bénéficie Israël fonde la
capacité de l'Etat hébreu à poursuivre sa politique. Toute mesure
diminuant cette aide est la bienvenue dans la lutte pour la justice et la
paix au Moyen-Orient. Mais l'image culturelle d'Israël alimente la décision
politique à l'Ouest de soutenir les destructions israéliennes commises
contre la Palestine et les Palestiniens.
Le message qui pourrait être directement envoyé à ces universités qui
se sont particulièrement rendues coupables d'aider l'oppression depuis
1948 et l'occupation depuis 1967, serait le lancement d'une campagne réussie
pour la paix (comme l'avait fait le mouvement anti-apartheid en Afrique du
Sud).
Appeler au boycott contre son propre pays et ses universités n'est pas
chose facile pour un membre des ces universités. Mais j'ai appris combien
les communautés universitaires au niveau mondial peuvent se mobiliser au
bon moment alors que j'étais menacé d'expulsion de l'université d'Haïfa,
en mai 2002.
Une politique très bien ciblée de pressions m'avait laissé, quoiqu'avec
des restrictions et du harcèlement, poursuivre mes cours et mes
recherches, lesquels tendent à démontrer la victimisation des
Palestiniens à travers les années. Ce parcours est tout à fait
particulier, car je suis le seul à le suivre dans mon université, et
l'un des rares à le suivre à l'échelle du pays, mais aussi parce que
l'université a une large composante d'étudiants palestiniens qui sont
empêchés par des règles draconiennes d'exprimer leur colère et leur
frustration par rapport à ce qui a été fait, et est encore fait, contre
leur peuple.
Ces étudiants sont tombés dans l'isolement complet depuis que
l'université a établi des liens étroits avec les appareils de sécurité
dans le pays. Le fait que l'université ait des liens étroits avec les
services de sécurité - en fournissant des degrés universitaires supérieurs
- n'est pas un crime en soit, mais comme il s'agit dans notre cas des
agences qui participent quotidiennement à l'occupation des zones
palestiniennes, leur présence dans le campus signifie que l'université
est impliquée dans la perpétuation de ce mal.
Comme je l'ai appris par mon propre cas, les pressions extérieures ont de
l'effet sur un pays dont les gens veulent être vus comme partie intégrante
du monde civilisé ; mais leur gouvernement, avec leur aide explicite et
implicite, poursuit une politique qui viole chaque droit humain et civil
connu. Ni les Nations-Unies, ni les gouvernements des Etats-Unis et de
l'Europe et leurs sociétés n'ont envoyé de message en direction d'Israël
disant que sa politique était inacceptable et devait cesser.
Il est temps pour les sociétés civiles, à travers les organisations
comme les vôtres, d'envoyer des messages aux universités israéliennes,
aux hommes d'affaires, aux artistes, aux industriels de haute technologie
et tout autre secteur de cette société, disant que c'est le prix à
payer pour cette politique.
Je vous remercie par avance pour votre soutien. Si vous décidez de suivre
cette campagne que nous vous suggérons, vous nous renforcerez, moi et mes
amis, et nous serons capables, j'en suis convaincu, de construire avec nos
amis Palestiniens une véritable base pour la paix et la réconciliation
en Palestine.
Ilan Pappe,
Maître de conférences au département de sciences politiques de
l'université d'Haïfa. Il est également le président de l'Institut Emil
Touma d'Etudes Palestiniennes à Haïfa.
Mercredi 20 avril 2005
cet article peut être consulté sur :
http://education.guardian.co.uk/hig
Traduction : Claude Zurbach (CCIPPP)
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