Il y a un bon nombre d'autres
histoires que je ferais mieux de couvrir, reportages qu'Israel
aurait plus de mal à aseptiser.
Je pourrais regarder comment Israel espère employer l'aide de
2 milliards de dollars qu'il compte recevoir d'Amérique en
tant que "compensation" pour le désengagement afin
de confisquer encore plus de terres aux citoyens arabes dans
les centres arabes d'Israel, la Galilee (Jaleel) et le Negev
(Naqab) de sorte que les colons armés extrémistes de Gaza
puissent y être installés.
Lettre qu'un journaliste en Israel aimerait pouvoir envoyer
aux rédacteurs en chef qui lui demandent de couvrir le désengagement:
Cher éditeur,
Merci beaucoup de votre email me demandant de couvrir le désengagement
de Gaza pour votre publication.
J'ai été surpris d'apprendre que vous aviez besoin de
quelqu'un "déjà sur le terrain en Israel", comme
vous le notiez, et que vous ne serez pas parmi les
publications qui envoyent un correspondant pour couvrir le désengagement
de Gaza.
Je sais qu'environ 3.000 journalistes étrangers sont attendus
à descendre en Israel dans les prochains jours.
Je devrai, cependant, refuser votre offre. La raison en est en
partie pratique. Israel ne donne pas aux journalistes étrangers
le libre accès à la bande de Gaza, ou même aux colonies,
pendant le désengagement.
Apparemment, le seul moyen "d'être témoin" du désengagement
sera de faire la demande auprès du service de presse israélien
d'une place dans un certain nombre d'autocars de l'armée qui
transporteront les journalistes vers différentes colonies.
Je suis opposé en principe à l'idée d'être gardé par
l'armée pour couvrir cet événement.
N'est-ce pas seulement une autre forme
d'"incorporation"?
Mais de toute façon, on m'a dit que les sièges dans les
autocars seront extrêmement limités, peut-être seulement
une petite dizaine, et qu'ils seront accaparés par les médias
à forte audience. Les journalistes indépendants tels que
moi, en particulier ceux qui n'ont pas suscités par le passé
la faveur des autorités israéliennes, sont presque sûrs d'être
laissés en dehors du coup.
Je suspecte, pourtant, qu'un "journaliste mondain"
plus apprécié par Israel sera sûr de trouver un siège et
offrira sans aucun doute une copie aux médias non représentés
par leur propre correspondant.
Je m'étais interrogé sur une tentative d'éluder ces
restrictions au reportage en partant furtivement dans une
colonie et en vivant parmi les colons pendant la période précédant
le désengagement - si j'arrive à passer au travers de l'armée,
qui isole Gaza pour la période.
Pourtant, apparemment, le logement serait un problème
important.
Les colons facturent aux organismes d'informations des
centaines, voire des milliers de dollars par jour pour louer
une chambre à l'intérieur de leurs communautés et je n'ai
pas les moyens pour de telles sommes.
À moins que votre publication soit préparée à casquer la
note pour des dépenses presque illimitées pendant mon séjour
dans Gaza, je pense que ceci justifiera un obstacle
insurmontable.
En outre, je dois admettre avoir des scrupules à payer
d'importantes sommes d'argent aux colons pour couvrir le désengagement.
Non seulement les colons vivent sur la terre volée de leurs
voisins palestiniens, mais bon nombre d'entre eux ont profité
de ce vol pendant des décennies, ont fait pousser des
cultures pour les marchés européens dans leurs serres
fortement subventionnées par l'Etat et ont épuisé
l'approvisionnement en eau limité de la Bande.
Leur payer un loyer de dernière minute semble être un peu
plus qu'un vol en plein jour.
Est-ce une hyperbole que d'appeler cela du journalisme de
carnet de chèques ?
En plus de ces questions, je suis également gêné par la
nature des thèmes que vous suggérez.
Selon vos termes, vous voulez que mes reportages se
concentrent sur le côté humain des colons, qu'ils décrivent
la confrontation traumatisante entre un colon et un soldat -
ou "un Juif combattant un Juif" comme vous le notez
- et qu'ils aident le lecteur "à comprendre l'immense
sentiment de perte des colons qui sont expulsés de leurs
maisons".
Bien que j'essaye, je ne peux pas voir cela comme une véritable
catastrophe.
Il n'y a aucune signification religieuse ou historique à Gaza
pour le peuple Juif.
Au lieu de cela, les colons ont été placés là en tant qu'élément
d'une campagne de colonisation organisée par l'Etat dont eux
et leurs leaders connaissaient l'illégalité en vertu du
droit international.
Leurs maisons et leurs serres n'ont-elles pas déplacé
nombreux des plus d'un million de Palestiniens de Gaza, un
nombre substantiel de personnes déjà réfugiées suite à
l'agression militaire israélienne au cours des guerres de
1948 et de 1967?
Et, en prenant 40% de la terre de Gaza, ces quelque milliers
de colons n'ont-ils pas également pris la majeure partie de
l'eau des Palestiniens?
N'oublions pas qu'Israel avait parlé de négociations de
terre contre paix pendant des décennies.
De quelle terre les colons de Gaza imaginaient-ils que l'on
parlait si ce n'était de la leur?
Pendant le processus d'Oslo, Israel a également parlé de
concessions douloureuses qui devraient être faites dans un
accord de statut final.
Où auraient pû commencer ces concessions si ce n'est à
Gaza?
Donc, les colons ont toujours su que ce jour viendrait.
Pendant ce temps, les colons s'en sont bien sortis de leurs
années à Gaza.
Ils ont tiré bénéfice de la terre et des maisons extrêmement
bon marché, des subventions d'état pour leurs grandes
entreprises agricoles, de l'eau bon marché et abondante, et
du travail de forçat virtuel des Palestiniens et des ouvriers
étrangers dans leurs serres.
De l'état, ils ont apprécié des décennies de crédits
d'impôts, d'hypothèques réduites, et des privilèges pédagogiques
pour leurs enfants.
Et maintenant, quand ils sont ramenés en Israel, ils
obtiennent de nouveau tous ces avantages et plus, y compris
une compensation financière substantielle et de jolies
nouvelles maisons à proximité dans le Negev.
Je ne vois pas ce qu'est leur grande perte.
Suggérer que j'examine la nature du traumatisme des colons ne
me semble pas plus raisonnable que lorsqu'un rédacteur m'a
demandé il y a 15 ans d'écrire au sujet de la
"douleur" des Sud-Africains blancs pendant qu'ils
affrontaient la mort imminente de l'Apartheid.
"Ecrivez sur tous ces Sud-Africains désespérés qui
devront creuser bien plus profond pour payer le nettoyage de
leurs piscines. Trouvez-nous un cadre moyen blanc qui redoute
le jour où il devra prendre ses ordres d'un patron noir. Et
qu'en sera-t'il de la baisse des valeurs immobilières quand
la première famille noire viendra habiter la porte d'à côté
? Parlez-nous de la détresse de ces familles blanches."
Il y a un bon nombre d'autres histoires que je ferais mieux de
couvrir, reportages qu'Israel aurait plus de mal à aseptiser.
Je pourrais visiter la nouvelle luxueuse colonie où une
partie des familles de Gaza sera déplacée, qui est en train
de bétonner l'une des dernières réserves naturelles du
Negev.
Je pourrais regarder comment Israel espère employer l'aide de
2 milliards de dollars qu'il compte recevoir d'Amérique en
tant que "compensation" pour le désengagement afin
de confisquer encore plus de terres aux citoyens arabes dans
les centres arabes d'Israel, la Galilee (Jaleel) et le Negev
(Naqab) de sorte que les colons armés extrémistes de
Gaza puissent y être installés.
Et naturellement, je pourrais regarder la confiscation
implacable des terres, la destruction des maisons et la
construction du Mur qui continuent bien loin de Gaza en
Cisjordanie et à Jérusalem, qui passent inaperçus alors que
ces milliers de journalistes sont distraits par le
"traumatisme" du désengagement.
J'espère que je ne donne pas l'impression d'être devenu blasé
après quatre ans de reportages en Israel et en Palestine.
Un collègue plus âgé m'a dit par le passé que que la
plupart des principaux organismes d'informations refusent
d'avoir un correspondant en place pendant plus de deux ans
parce qu'il est probable qu'il "deviendra
autochtone".
Alors que j'écris ceci, je me rends compte que c'est
exactement ce à quoi je ressemble.
Peut-être feriez-vous mieux de demander à l'un de ces 3.000
journalistes-visiteurs d'expliquer à vos lecteurs la douleur
juive et le désengagement.
Sincères salutations,
Jonathan Cook
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