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Al-Jazeerah, 26.08.2005
Traduit de
l’anglais par Marcel Charbonnier
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la Terre de Canaan – Droits de l’Homme et Conflit israélo-palestinien
[Sharing the Land of Canaan ‹ Human Rights and the
Israeli-Palestinian Struggle], tel est le titre du dernier ouvrage
du militant palestinien et professeur à l’université Yale, le
professeur Mazin B. Qumsiyeh. Il s’agit de l’examen critique des
problèmes fondamentaux posés par le conflit, qui met en évidence
une vision pour une paix durable, basée sur la mise en application
des principes des droits de l’homme pour tous. Mazin B. Qumsiyeh
est le cofondateur de plusieurs associations et groupes, dont le
Triangle Middle East Dialogue, l’Association du Moyen-Orient de la
Caroline, la Fondation pour la Sauvegarde de la Terre sainte [Holy
Land Conservation Foundation], l’Association des Généticiens du
Moyen-Orient, la Coalition pour le Droit au Retour des Réfugiés
Palestiniens, et Universitaires pour la Justice.
Andrea
Bistrich [AB] : Le conflit au Moyen-Orient est-il avant tout
religieux ou s’agit-il d’une guerre pour un territoire, des
ressources en eau, ou de toute autre nature ?
Mazin Qumsiyeh [MQ] : Ce conflit est essentiellement une lutte
d’un peuple indigène pour demeurer sur sa terre, face à une
campagne impitoyable et incessante de « nettoyage »
(terme introduit par le programme sioniste au début du vingtième
siècle). Après près d’un siècle, les deux tiers des membres du
peuple autochtone sont devenus des réfugié sou des personnes déplacées.
Quant aux autres, ils vivent dans des régions qui rétrécissent
comme peau de chagrin et ils sont de plus en plus pauvres et ghettoïsés.
AB:
Qui tire profit de l’instabilité de la situation, au Moyen-Orient ?
MQ :
Plusieurs groupes : 1) l’industrie de l’armement. Les
Etats-Unis sont le premier exportateur d’armes au monde, et 60 %
des armes que nous exportons vont au Moyen-Orient. 2) L’industrie
pétrolière. A moins que le l’engagement américain ne puisse
mettre un terme à la dépendance des Etats-Unis en matière de pétrole,
développer des sources d’énergies alternatives et réaliser des
économies d’énergie. 3) Les boîtes à idées [think tanks] et
leurs employés à Washington. Ce sont pas moins de vingt-quatre de
ces organismes qui perçoivent un financement substantiel d’intérêts
privés allant des industries pétrolières et militaires
jusqu’aux différents lobbies pro-israéliens. 4) Beaucoup de
dirigeants sionistes. Certains s’attirent la célébrité, des
tarifs de conférence confortables et l’adulation de certains
admirateurs. Collectivement ils peuvent maintenir le caractère juif
d’Israël et éviter les réformes démocratiques nécessaires, la
séparation entre la religion et l’Etat, et un développement économique
incontrôlé. 5) Des zélotes religieux (qu’ils soient chrétiens,
juifs ou musulmans), qui croient en des scénarios de fin du monde.
Ces zélotes ignorent des admonitions pourtant claires, dans leurs
religions, qui exhortent à la miséricorde, à l’amour et au
respect du prochain. Les colons / pionniers fanatiques juifs d’Hébron
en sont un bon exemple, ou encore Oussama ben Laden. 6) Beaucoup de
dirigeants arabes. Une résolution pourrait éliminer le seul pilier
encore debout de leurs pouvoirs dictatoriaux, qui bénéficient
immensément de la vente lucrative du pétrole et des ventes
d’armes, et qui détournent leurs populations des problèmes
locaux. 7) Beaucoup de responsables de l’exécutif américain, qui
perçoivent des millions de dollars de dons en vue des campagnes électorales
d’organisations pro-sionistes et autres, qui tirent profit du
statu quo. La fin du conflit au Moyen-Orient risquerait de les
priver de l’argent provenant de certains secteurs de leur électorat.
AB :
Pouvez-vous nous parler du rôle et de l’histoire du phénomène
sioniste dans l’ensemble de ce conflit ?
MQ :
Un programme politique sioniste avait été esquissé par l’Empire
britannique à l’époque où il s’était attaché les services
du Lieutenant Colonel George Gawler (chargé des colonies pénitentiaires
britanniques en Australie). Gawler s’est vu confier la tâche d’étudier
la faisabilité de la « création de colonies juives en
Palestine » au service des intérêts impériaux et géostratégiques
britanniques. Son rapport, publié en 1845, fut contesté par
beaucoup de détracteurs, dont un parlementaire juif, mais il fut néanmoins
adopté et son projet fut financé. La première de ces colonies de
juifs européens en Palestine fut créée en 1880. Le programme fut
un échec, jusqu’au moment où la Grande-Bretagne commença à
exercer un contrôle physique de la région, à la suite de la Première
guerre mondiale. Depuis lors, les indigènes palestiniens (de
diverses confessions) ont souffert considérablement et continuent
à souffrir. La grande puissance qui permet cette souffrance, ce
sont de nos jours les Etats-Unis, qui ont succédé à la
Grande-Bretagne en tant que principal mentor du sionisme, après la
Seconde guerre mondiale.
AB :
Quelle est la relation entre sionisme et antisémitisme ?
MQ :
Dans mon livre, j’explique cette problématique en détail.
Fondamentalement, le phénomène de la haine des juifs (« antisémitisme »
n’est pas le meilleur des termes, étant donné que la plupart des
juifs européens ne sont pas des Sémites et que tous les
arabophones sont des Sémites au sens strict de ce terme) est un phénomène
européen. Cette haine fut alimentée par le développement, en
Europe, du nationalisme ethnocentrique, au dix-neuvième siècle et
au début du vingtième. En réaction à ces phénomènes, la
plupart des êtres humains rationnels (juifs et non-juifs) ont développé
une résistance fondée sur
des idéologies de tolérance, allant du socialisme à
l’humanisme. Mais une minorité a réagi, en adoptant le
nationalisme chauvin d’inspiration britannique, incarné par le
sionisme politique, qui bénéficia dans une grande mesure de son
jumelage avec d’autres formes de nationalisme ethnocentrique, avec
beaucoup de fécondations croisées. A ce sujet, voir par exemple le
livre de Lenni Brenner : Cinquante et un documents :
Histoire de la collaboration entre les nazis et les sionistes [51
Documents: History of Nazi Zionist Collaboration].
AB:
Jusqu’ici, Israël n’a pas fait montre de sa volonté de mettre
en application le « droit au retour » [des réfugiés
palestiniens, chez eux, ndt]. Existe-t-il un quelconque discours
recevable, dans la société politique ou civile israélienne, sur
cette question ?
MQ :
A l’instar de la situation qui prévalait en Afrique du Sud du
temps de l’apartheid, il y a [en Israël] un système enkysté
dans son rejet des droits humains fondamentaux des non-juifs (les
chrétiens, les musulmans, etc…). Des individualités juives et
quelques organisations courageuses travaillent d’arrache-pied afin
d’éduquer leurs concitoyens. Toutefois, comme en Afrique du Sud,
ce ne sont que des pressions extérieures et intérieurs (tels que
des boycotts, des désinvestissements, la résistance, etc.) qui
feront que les gens au pouvoir finiront par renoncer à leurs rêves
impossibles de séparation et de haine envers « ceux qui ne
sont pas eux ».
AB :
Israël a violé plus de 65 résolution du conseil de sécurité de
l’ONU et a bénéficié du véto des Etats-Unis qui en a écarté
37 autres. Cela n’empêche pourtant pas Israël de percevoir des
milliards d’aides imputées sur le budget américain. Qu’y
a-t-il derrière cette relation israélo-américaine évidente ?
MQ :
La revue Fortune a classé le lobby sioniste en Amérique au quatrième
rang en terme de puissance, et il est assurément le premier lobby
en ce qui concerne les questions internationales. Mais je pense
aussi que d’autres facteurs sont importants, que j’ai mentionnés
précédemment en énumérant les gens qui tirent profit de la
continuation d’un conflit à bas bruit au Moyen-Orient (comme, par
exemple, les industries militaires, les intérêts pétroliers).
AB:
En l’absence du soutien des Etats-Unis, combien de temps Israël
serait-il en mesure de maintenir son occupation illégale de la
Palestine ?
MQ:
D’après le commentateur israélien Nehemia Stessler, du quotidien
Ha’aretz, sans le soutien américain Israël aurait été soumis
à un embargo commercial et « chassé à coups de pied au c.l
de toute instance internationale, pour ne pas parler de l’Onu ».
Israël n’aurait pas pu perdurer très longtemps, car il est extrêmement
dépendant de l’importation de matières premières et de
l’exportation des armes qu’il produit (de technologie
principalement américaine).
AB :
Quelles mesures pourraient, selon vous, aboutir à de premiers
signes de paix et de démocratie au Moyen-Orient ?
MQ:
Il faudrait couper l’aide tant militaire qu’économique à Israël
et le soumettre à des campagnes de boycott et de désinvestissement
analogues à celles qui ont mis à bas le régime d’apartheid en
Afrique du Sud. C’est absolument essentiel, si on veut apporter
une paix durable et juste.
AB:
Quotidiennement, nous voyons des atrocités israéliennes contre des
Palestiniens, à la télévision, mais nous n’entendons
pratiquement jamais parler des mouvements de protestations en Israël.
Vu de l’extérieur, il semble que les Israéliens, dans leur
ensemble, soutiennent leur gouvernement. La plupart des opposants
ont-ils quitté leur patrie ?
MQ:
De fait, des centaines de milliers d’Israéliens ont voté avec
leurs pieds, en quittant le pays. Comme je l’ai indiqué plus
avant, il y a encore des Israéliens courageux qui mènent ces
combats-là. Mais je pense qu’il est erroné de prétendre qu’il
faille attendre la constitution d’une majorité juive israélienne
opposée aux injustices et au racisme inhérents à l’idéologie
politique sioniste. En Afrique du Sud, il n’y a jamais eu une
majorité de Blancs qui eussent été en faveur de la disparition de
l’apartheid.
AB:
Le terrorisme et la violence (comme par exemple les attentats
suicides palestiniens) sont souvent cités comme principaux
obstacles à la négociation d’une solution viable au conflit israélo/palestinien.
Pouvez-vous nous parler des racines du terrorisme et de la violence
et de la manière dont ce problème de la violence pourrait éventuellement
être réglé ?
MQ:
Au lieu de la métaphore agronomique des « racines », je
préfère la métaphore médicale : la violence est le symptôme
d’une maladie sous-jacente. En Afrique du Sud, la violence (qui
prit des formes horribles, des personnes ayant été brûlées
vives) était un symptôme de cette étiologie sous-jacente qu’était
l’apartheid. L’apartheid une fois éliminé, la violence ne
continua pas à flamber très longtemps (je parle tant de la
violence des populations indigènes que de celle, bien plus répandue
et systématique, de l’Etat). La même chose s’est produite dans
les luttes contre le colonialisme et l’oppression, dans des pays
comme le Vietnam (sous domination française, puis américaine),
l’Algérie (sous la domination de l’impérialisme français), ou
encore dans les luttes menées par les indigènes amérindiens
contre les colonisateurs européens.
AB:
La principale affirmation, et le principal objectif aussi, de votre
livre, c’est de donner la vision d’une paix durable, fondée sur
les droits de l’homme, soutenus par le droit international. Quel rôle
la communauté internationale a-t-elle à tenir, dans ce processus ?
MQ:
Simplement, ceci : si l’on veut une « feuille de route »
vers la paix qui soit durable et juste, alors la Déclaration
universelle des Droits de l’Homme est le document le plus indiqué.
Amnesty [International] a dit que la raison pour laquelle les
accords d’Oslo ont échoué tient au fait que les droits de
l’homme avaient été ignorés. La « feuille de route »
de l’administration Bush [soutenue par le « quartette »
(Onu, Union européenne, Etats-Unis et Russie) comporte 2 218 mots.
Mais il y manque quatre termes, fondamentaux : droits humains
(2 mots) + droit international (2 mots) = 4 mots.
AB:
La fin du conflit palestino-israélien semble dépendre aussi,
jusqu’à un certain point, de ce que l’on décidera au sujet de
la ville de Jérusalem. A qui Jérusalem appartient-il ?
MQ:
Jérusalem n’appartient à aucune entité politique, il appartient
à sa propre population (y inclus les dépossédés). Si on met les
droits humains fondamentaux (dont les droits à posséder des terres
et son domicile) avant tout, les questions gagnent en clarté et
deviennent plus faciles à résoudre. A l’évidence, trois
religions monothéistes considèrent que Jérusalem est une ville
sainte. Mais il serait extrêmement réducteur de prétendre que Jérusalem
serait une ville « juive », « musulmane » ou
encore « chrétienne »…
AB:
Qu’en est-il des mouvements de base, en Palestine et en Israël ?
Sont-ils assez puissants pour apporter un changement significatif ?
MQ:
Les mouvements de base sont les seules forces qui soient à même
d’initialiser des changement dans les sociétés, où que ce soit
dans le monde. Le changement ne provient jamais du sommet. C’est
toujours des gens ordinaires, agissant ensemble, qu’il provient.
AB:
Dans le cas du démantèlement de l’apartheid en Afrique du sud,
des sanctions ont été le moyen qui a pu contraindre le
gouvernement sud-africain à adhérer au droit international. Des
sanctions sont-elles aussi un moyen convenable, dans le cas d’Israël,
jusqu’à ce qu’il admette qu’il doit se conformer à ses
obligations ?
MQ:
Oui. La transformation, l’évolution vers un discours
post-sioniste, se produira, inéluctablement. La question est de
savoir si cela se passera pacifiquement, comme en Afrique du Sud, grâce
à des campagnes de désinvestissement et de boycott ? La
transformation d’Israël, cela ne signifie aucunement l’ « anéantissement d’Israël ».
De fait, c’est plutôt l’inverse qui est vrai, car tout le monde
reconnaît que la direction prise au cours des décennies passées
(fondée sur une idéologie raciste d’injustice, de haine et de
« séparation ») ne pourrait que conduire à un
redoublement des violences et du bain de sang. Si l’apartheid était
le problème de l’Afrique du Sud, il n’a aucune chance de représenter
la solution, en Israël / Palestine !
AB:
La Déclaration universelle des Droits de l’Homme, considérée
comme une condition sine qua non de la paix, a été ratifiée par
la plupart des pays, dont Israël et les Etats-Unis. Pourtant, les
violations systématiques des droits de l’homme par l’Etat d’Israël
apportent la démonstration du contraire. Comment résoudre ce problème ?
MQ:
En éduquant les peuples sur ces questions, et en expliquant les
faits, indéniables : voilà la composante essentielle qui
permettra de construire le soutien pour des boycotts, des désinvestissements
et d’autres méthodes permettant d’encourager un changement. La
plupart des gens deviennent acteurs quand ils prennent conscience
qu’on leur a menti. L’hypocrisie et les deux poids deux mesures
du gouvernement [israélien] en matière de soutien au racisme et à
l’oppression sont particulièrement insupportables aux gens
particulièrement honnêtes.
AB:
Que vise Israël, en persistant à construire à grand prix sa
muraille, qu’il préfère appeler « barrière de sécurité » ?
MQ:
Le mur serpente dans les territoires [palestiniens], parachevant le
confinement des Palestiniens dans des villes surpeuplées, tout en
expropriant leurs terres, leurs sources d’eau et les autres
ressources naturelles dont ils vivaient. Ce mur vise à
s’accaparer le maximum de terres, avec le nombre minimal de
Palestiniens. Il coupe les Palestiniens de leur poumon économique :
Jérusalem (dont l’économie de la Cisjordanie dépend à 40 %).
Il est conçu de manière à augmenter leur pauvreté, leur désespérance
et finalement à accroître l’émigration des indigènes
palestiniens hors de leurs terres. Il ne s’agit que d’une énième
méthode permettant de procéder à leur épuration ethnique. Le
revers de la même médaille, c’est le développement des activités
de colonisation sur les terres palestiniennes ; à l’heure
actuelle, ce sont plus de 450 000 colons juifs qui vivent sur la
terre palestinienne en Cisjordanie et à Gaza [ceci n’est plus le
cas depuis quelques semaines, ndt], contrôlant la plupart des
ressources naturelles.
AB:
Neuf millions de Palestiniens n’ont pas de pays en propre, la
plupart sont appauvris et dépossédés de leurs terres et de leurs
biens. Que veulent les Palestiniens, en termes de justice, d’égalité
de droits et d’autodétermination ?
MQ:
Les Palestiniens ont un pays, leur pays : c’est la Palestine !
Le fait que la plupart d’entre eux soient aujourd’hui dépossédés
et qu’ils soient très nombreux à vivre dans des camps de réfugiés,
ou confinés dans des cantonnements de plus en plus exigus n’a
rien d’une situation définitive. Autant de temps qu’il faudra,
les Palestiniens continueront à se battre et à résister, jusqu’à
ce que leurs droits humains fondamentaux seront restaurés (en
particulier le droit à retourner chez eux et à recouvrer leurs
terres). De tels droits fondamentaux sont clairement définis dans
les conventions internationales relatives aux droits de l’Homme
(je précise toutefois qu’il s’agit de droits inaliénables, qui
ne tirent pas leur validité desdites conventions ni d’ailleurs
d’un quelconque document). Je pense qu’obtenir le droit à
retourner chez soi ainsi que celui à être traité sur un pied d’égalité,
quelle que soit sa religion, sont des droits fondamentaux.
AB:
L’application du « droit au retour » est-elle une
condition sine qua non d’un futur processus de paix ?
MQ:
Le programme sioniste, consistant à créer un Etat juif sur une
terre palestinienne impliquait, et il continue à impliquer, l’épuration
ethnique des indigènes palestiniens. Dans le passé, c’est-à-dire
durant et immédiatement après la création d’Israël, plus de
800 000 Palestiniens ont été les victimes d’une épuration
ethnique, qui a consisté à les chasser de leurs maisons et de
leurs terres. Ces réfugiés et leurs descendance forment la
population réfugiée la plus importante et la plus permanente au
monde. La communauté internationale a ressenti un profond sentiment
de responsabilité dans leur tragédie. Le Comte Folke Bernadotte, médiateur
de l’ONU, avait déclaré : « Ce serait faire
offense aux principes de la justice la plus élémentaire si les
innocentes victimes de ce conflit se voyaient dénier le droit à
retourner chez eux, au moment même où des immigrants juifs
affluent en Palestine » [Document UN Al 648, 1948]. Cela reste
vrai encore aujourd’hui, puisque toute personne juive est de facto
éligible à la nationalité [israélienne] automatique, alors que
les réfugiés palestiniens ne peuvent retourner chez eux. Le droit
au retour a un fondement juridique solide. La résolution 194 de
l’Onu, adoptée le 11 décembre 1948, stipule dans son paragraphe
11 : « les réfugiés désireux de retourner chez eux et
de vivre en paix avec leurs voisins seront autorisés à le faire dès
que cela sera matériellement possible… une compensation devra être
versée pour les propriétés de ceux qui choisiraient de ne pas
retourner chez eux. » La résolution 194 a été confirmée,
pratiquement chaque année, avec un consensus universel, excepté
les voix d’Israël et des Etats-Unis. Cette résolution fut
ensuite clarifiée par la résolution 3236 de l’Assemblée générale
de l’ONU, qui réaffirme, dans sa sous-section 2 « le droit
inaliénable des Palestiniens à retourner chez eux et de retrouver
leurs propriétés d’où ils ont été chassés et déracinés, et
(elle) appelle à leur retour ».Empêcher le retour des réfugiés
est un acte d’agression, qui mérite des sanctions du Conseil de Sécurité.
L’admission d’Israël à l’ONU était conditionné par son
acceptation des résolutions de l’ONU le concernant, dont la 194.
Le droit au retour ne tire pas sa validité simplement des résolutions
de l’ONU. La Déclaration universelle des Droits de l’Homme, en
son article 13, réaffirme le droit de toute personne à vivre et à
retourner dans son pays. De plus, le principe de l’autodétermination
garantit, entre autres, le droit à la propriété et à
l’habitation dans son propre pays. L’ONU a adopté ce principe
en 1947. En 1949, et par la suite, ce droit a été explicitement
appliqué au peuple palestinien, affirmant notamment la légalité
« de la lutte des peuples en vue de leur autodétermination et
de leur libération ».
AB:
Croyez-vous en la possibilité d’un monde « post-sioniste » ?
MQ:
Le monde post-sioniste est déjà une réalité. Le problème, en
Israël / Palestine, ce n’est pas simplement la continuation de
l’épuration ethnique ; il y a un problème de
discrimination, concernant notamment les non-juifs restés sur
place. Amnesty International a indiqué : « En Israël,
par exemple, plusieurs lois sont explicitement discriminatoires. Ces
lois remontent à la fondation d’Israël, en 1948, Etat fondé sur
la notion d’un Etat juif destiné au peuple juif, à la suite du génocide
raciste dont les juifs furent les victimes en Europe, durant la
Seconde guerre mondiale. Certaines lois israéliennes reflètent ce
principe, et elles exercent une discrimination envers les non-juifs,
en particulier les Palestiniens qui vivaient sur ce territoire,
depuis des générations et des générations. Israël est le seul
pays, au monde, à reconnaître pour ses « nationaux »
des adeptes d’une religion particulière, où qu’ils vivent, la
citoyenneté étant automatiquement offerte à tous ceux d’entre
eux (y compris des convertis) qui veulent venir vivre sur des terres
qui appartiennent à des indigènes palestiniens. Pendant ce temps,
les réfugiés palestiniens (chrétiens et musulmans) se voient dénier
le droit de retourner chez eux, au seul motif qu’ils en sont pas
juifs. En Israël, c’est tout un arsenal juridique qui s’est, de
fait, constitué au fil du temps, qui favorise les juifs par rapport
aux non-juifs. Ceci n’est pas acceptable et ne saurait perdurer
(beaucoup de juifs de tendance laïque rejettent cette
discrimination).
AB:
Après la fin de l’occupation et l’autorisation donnée aux réfugiés
palestiniens de rentrer chez eux, beaucoup d’efforts de réconciliation
et de reconstruction seraient encore nécessaires. Quels devraient
être les étapes à venir, pour les Israéliens, pour les
Palestiniens, et pour la communauté internationale ?
MQ:
En Afrique du Sud, les problèmes n’ont pas pris fin
miraculeusement avec la disparition du système d’apartheid.
Beaucoup de travail reste à faire dans ce pays, et les
Sud-Africains ont d’énormes obstacles à surmonter devant eux. Si
le plus gros fardeau a été dépassé avec la fin de l’apartheid,
les défis et les dangers qui menacent le progrès de ce pays
demeurent. La question de savoir si une égalité pleine et entière
et les droits de l’homme pourront être instaurés en Afrique du
Sud reste pendante. Pour reprendre mon analogie médicale, nous
savons que plus le problème sous-jacent (la « maladie »
sous-jacente) perdurera, plus la convalescence sera longue. Le
ressaisissement et la réhabilitation peuvent ne pas se dérouler
comme on le souhaiterait, et il peut même y avoir une rechute.
C’est pourquoi un bon diagnostic est indispensable, afin de
prescrire les traitement adaptés.
AB:
Vous affirmez, plein d’optimisme, que « la paix au
Moyen-Orient est possible ». Dans combien de temps ?
MQ:
Cela pourrait intervenir avant même dix ans, si suffisamment de
personnes sont impliquées, ou bien cela risque d’attendre vingt,
voire trente ans. J’ai été surpris par la rapidité du démantèlement
de l’apartheid en Afrique du Sud, et aussi par celle de la chute
du mur de Berlin. Rétrospectivement, il aurait été difficile de
faire des prédictions sur telle ou telle lutte historique (c’est
notamment le cas du retrait américain du Vietnam). Comme toujours,
personne n’a de boule de cristal, et nous risquons d’être
confrontés à plus d’une surprise.
[Cette
interview a été publiée également dans la revue Share
International, vol. 24, n° 6, juillet/août 2005 et vol. 24, n° 7,
septembre 2005. Site : http://www.share-international.org
]
Bibliographie :
Mazin B. Qumsiyeh, Sharing the Land of Canaan – Human Rights and
the Israeli-Palestinian Struggle. Pluto
Press, 2004.
Pour plus d’information : http://www.qumsiyeh.org ;
http://www.al-awda.org ]
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