AFPS Nord Pas-de-Calais CSPP

   


 

L'affaire Ménargues : 
un constat accablant pour la liberté d'expression
 

 
par Philippe Bilger (2004)
(Philippe Bilger est magistrat, avocat général près la Cour d'appel de Paris et responsable de la Délégation juridique de l'UIJPLF - Union internationale des journalistes et de la presse de langue française - il a publié plusieurs livres dont :  Flammarion "Le Guignol et le magistrat", un livre entretien avec Bruno Gaccio (Canal +) publié chez Flammarion, "Plaidoyer pour une presse décriée" aux éditions Filippachi, ou encore "Un avocat général s'est échappé" avec Stéphane Durand-Souffland au Seuil.)
Ainsi, Alain Ménargues, directeur général adjoint chargé des antennes et de l'information de RFI (Radio France Internationale), a été obligé de démissionner de ses fonctions. Lors d'un débat sur LCI le 30 septembre dernier au sujet de son livre « Le mur de Sharon », Ménargues avait affirmé: « Vous dites qu'Israël est un Etat démocratique, permettez-moi de dire, très rapidement, c'est aussi un Etat raciste ».
La Société des Journalistes a aussitôt jugé ces propos « inacceptables », de même que le ministère des Affaires étrangères, principal bailleur de fonds de RFI. Ménargues a tenté de se défendre sur le fond, arguant « qu'encore une fois, les associations de protection d'Israël ou de défense d'Israël pratiquent l'amalgame pour faire passer les commentaires sur la loi politique sioniste comme étant du racisme ou de l'antisémitisme ». Il aura donc suffi d'une polémique créée artificiellement pour qu'une carrière professionnelle soit contrainte de changer son orientation. Ce terme « inacceptables » a été jeté comme un décret de condamnation, sans qu'à aucun moment on ait opposé à Ménargues, qui s'obstinait à se justifier, l'ombre d'une réplique argumentée.
Le ministère des Affaires étrangères, fournissant à RFI un appui financier important, en affichant la même hostilité, a nécessairement contribué à la démission de Ménargues. Certes, on peut comprendre que la double « casquette » de ce dernier, même s'il a bien précisé être intervenu sur LCI en qualité d'auteur et non pas de responsable d'information, ait fait courir le risque à RFI d'être engagé par une opinion strictement personnelle. Il n'empêche que ce problème aurait pu être réglé après coup sans aboutir à l'extrémité d'une démission forcée. Sur le fond, la controverse s'inscrit dans un mouvement général inquiétant qui, ostensiblement ou subtilement, vient réduire la liberté d'expression, mais comme si cette entrave allait de soi et n'avait pas besoin d'être expliquée. En dehors de la loi qui est appelée à régir et, éventuellement, à réprimer les infractions de caractère médiatique - en l'occurrence, personne n'en a brandi la menace -, une infinité d'instances, dans la vie civile, se constituent comme tribunaux et, pour se faciliter la tâche accusatrice, font mécaniquement dégénérer la controverse intellectuelle (qu'ils ne peuvent soutenir) en disqualification morale (qui clôt toute discussion avant même de l'avoir ouverte). « Inacceptables » signifie par conséquent que la vérité d'une expression orale ou écrite d'une pensée n'a pas à être prise en considération, pas davantage que la liberté du locuteur mais que seule doit compter sa légitimation par celui qui écoute ou qui lit - particuliers ou groupes... Les propos de Ménargues, n'ayant pas été « acceptés », n'ont pas lieu d'être et ne méritent même pas qu'on leur oppose une riposte intellectuelle qui risquerait de leur donner force et sens.
Jean-Christophe Ruffin, qui a remis récemment un rapport sur l'antisémitisme, a dénoncé justement un anti-sionisme frénétique qui n'était que le masque d'un profond antisémitisme. Mais l'inverse est aussi vrai, qui conduit trop souvent, pour défendre un Etat, à taxer d'antisémitisme ceux qui prétendent en dénoncer les tares. Le silence assourdissant, à l'extérieur de RFI, qui a accompagné cette affaire Ménargues, est accablant pour les médias et dévastateur pour la sauvegarde de la liberté d'expression.

 

Source : Extrait du Point d'information Palestine, newsletter publiée par La Maison d'Orient, abonnement gratuit sur simple demande : LMOmarseille@wanadoo.fr

 

Ce texte n'engage que son auteur et ne correspond pas obligatoirement à notre ligne politique. L'AFPS 59/62,  parfois en désaccord avec certains d'entre eux, trouve, néanmoins, utile de les présenter pour permettre à chacun d'élaborer son propre point de vue."

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