La Palestine à Porto Alegre : avancée
importante...mais fragile !
Par
Nahla Chahal
coordinatrice de la CCIPPP
“Stratégisation”
n’est pas un mot français ! il semble qu’il faudrait le
remplacer par “action stratégique” ! Et pourtant, ce que nous
entreprenons pour
la Palestine est tellement en mouvement, en devenir, que stratégisation
lui
convient parfaitement !
L’approche de la question palestinienne par le mouvement d’opposition
au
néolibéralisme et à la guerre a été totalement modifiée en
l’espace de trois ou
quatre années. C’est le fruit d’un travail systématique, réfléchi,
cohérent et
continu, auquel la CCIPPP a pleinement participé, en étant parfois dans
une
position d’initiative.
LES ESPACES DES FSE/FSM*
Voici ce que dit le communiqué de l’Assemblée Générale des
Mouvements Sociaux
du dernier FSM tenu en janvier 2005 à Porto Alegre :
“ Nous soutenons la lutte du peuple palestinien pour ses droits
fondamentaux
et nationaux, y compris le droit au retour, et ce sur la base du Droit
international et des résolutions des NU.
- Nous appelons la communauté internationale et les gouvernements
à imposer
des sanctions politiques et économiques sur Israël, qui comportent un
embargo
sur les armes. Nous appelons le mouvement social à se mobiliser aussi
pour des
campagnes de désinvestissement et de boycotts. Ces efforts visent à
obliger Israël à appliquer les résolutions internationales et à respecter la décision
de la Cour Internationale de Justice qui demande l’arrêt immédiat de la
construction du mur illégal d’apartheid, le démantelèment des parties
achevées, et la
fin de l’occupation.
- nous soutenons les militants israéliens pour la paix et les Refusnik
dans
leur lutte contre l’occupation”.
Pour mesurer le chemin parcouru, revenons au point de commencement.
- La Palestine apparaîtra dans le FSM pour la première fois en 2002, à
Porto
Alegre II, dans l’Appel des mouvements sociaux : (...) “5 - la
déstabilisation du Moyen-Orient (après le 11 septembre et la “guerre
contre le terrorisme”,
évoqués dans le paragraphe précèdent ) s’en est trouvée accrue,
fournissant
un prétexte à une répression redoublée contre le peuple palestinien.
Nous
considérons qu’il y a urgence à nous mobiliser en solidarité avec le
peuple
palestinien et son combat pour l’autodetermination alors qu’il subit
une occupation
brutale par l’Etat d’Israël. cette question est vitale pour la sécurité
collective de tous les peuples de la région”.
- Le Forum Social Mondial suivant, tenu sous l’ombre de la guerre contre
l’Irak sur le point d’éclater, consacre une phrase encore plus floue
à la
Palestine qui dit : “Nous nous élevons contre le projet de guerre en
Irak, contre les
attaques que subissent les peuples palestiniens, tchéchènes et kurdes,
contre
les guerres en Afghanistan, en Colombie, en Afrique...”
- Le 4ème FSM se tient à Mumbaï en Inde en janvier 2004. Toutes les
conditions sont réunies pour marquer une avancée dans la position :
“Nous appelons à
soutenir avec force la mobilisation en faveur du peuple palestinien et
tout
spécialement le 30 mars, journée de la Terre en Palestine, pour
revendiquer le
droit des réfugiés au retour et manifester notre opposition à la
construction du
mur”. C’est déjà un peu mieux !
LE BESOIN DE STRATEGISATION
Mais ce qu’il nous fallait, c’était arriver dans notre approche à
compenser
l’énorme brèche qui existe entre la forte (l’immense) présence de
la
Palestine dans les consciences, la conviction générale, si profonde,
dans la justesse
de la cause du peuple palestinien et les résultats politiques. Il nous
fallait
mettre toutes nos capacités dans le sillon d’une action politique
commune qui
puisse influer sur le rapport de force, qui puisse s’ajouter concrètement
aux
résultats de la lutte.
Ce besoin exprime le sens de notre combat. En deçà, ou en dehors, ce
serait
de l’humanisme, de la charité et plein de louables intentions, tout à
fait
utiles, mais l’énergie déployée ne s’inscrira pas dans le champs
politique. Or,
la lutte du peuple palestinien pour ses droits nationaux ne peut
s’accomplir
uniquement grâce à ses propres forces. L’entrée en jeu du mouvement
international d’opposition au néolibéralisme et à la guerre est décisive
pour équilibrer un rapport de force totalement - et de plus en plus - détérioré.
C´est une
évidence sur laquelle nous n´avons pas besoin de nous étendre.
Il est également évident que la reconnaissance des principes est une
chose,
la stratégisation en est une autre. Non pas que principes et stratégies
soient
en contradiction, au contraire, mais ils ne répondent pas des mêmes
mécanismes. Il nous fallait installer la plate-forme politique des
principes et imaginer
l´action stratégique qui lui soit fidèle d´une part, et qui, d´autre
part,
la traduise en points cumulables dans le conflit. Il y avait tâtonnement
et
recherche de cette efficacité, la campagne en France pour la suspension
des
accords d´association euro-israéliens en est un exemple. Cette campagne,
lancée
depuis déjà plusieurs années, prend dans cette configuration et aussi
grâce au
vote du Parlement européen d´avril 2002, une toute autre dimension.
LA TOILE DE FOND.
Depuis avril 2002, l´offensive israélienne n´a cessé de s´amplifier.
Au
déni
total des droits nationaux du peuple palestinien, affiché sans retenu et
pleinement assumé par Ariel Sharon - qui n´a cessé de parler de "l´erreur
historique" que représentaient à ses yeux les accords d´Oslo - s´ajoute
la mise en
application du plan de cantonisation de tout le territoire palestinien,
dont la
construction du mur est à la fois un des outils et le symbole. Israël
continue aussi l´élargissement des colonies, la confiscation des propriétés
palestiniennes, surtout autour de Jérusalem accélérée par la
réactivation d´anciennes
lois. L´offensive israélienne est planifiée, minutée, réfléchie,
soutenue par
un dispositif entier idéologique, politique et médiatique. Elle est systématique et elle correspond totalement au système colonialiste
israélien. Mais il y
a plus : Pour la première fois de l´histoire d´Israël, celui-ci est
libéré
des contraintes des règles de jeu de la guerre froide où s´effectuait
une
redéfinition permanente de l´équilibre des forces. En résulte une
pleine superposition avec les objectifs, l´orientation politique et les
méthodes du président Bush et de son équipe.
Alors que les "négociations pour la paix" se déclinent en
plans et
propositions purement sécuritaires, s´installe sur le terrain une
situation qui semble
irréversible. Et demain s´établiront des camps de travail à côté des
enclaves
encerclées par le mur, les grilles électriques et autres miradors. Des
petites brèches, tout à fait contrôlées, portails, tunnels, ponts etc
... mèneront
à ces camps de travails, pire que les Mikaleros *_._* Pour les
palestiniens, il
s´agirait de ne pas crever de faim, alors que les autres
(Israël, des
multinationales et même des partenaires européens ) exploiteront à fond
une main
d´oeuvre entièrement disponible. C´est cela le traitement dévolu à
une
population en trop : l´obstruction d´horizon et l´absence de choix.
SUR BATTRE SUR TOUS LES PLANS, VISER L´EFFICACITE.
Le peuple palestinien mène un combat obstiné et diversifié contre cette
réalité. Il a démontré sa détermination et sa capacité
à résister dans les pires
moments, quand tout semblait l´inviter à se rendre, quand il semblait
dépourvu d´alliés et de soutien, quand l´espace dans lequel il se mouvait
traditionnellement se refermait face à lui. Les dernières années sont
entièrement dominées
par les effets du 11 septembre et la prétendue "guerre globale
contre le
terrorisme, l´occupation de l´Irak, le projet étatsunien nommé la réforme du
grand Moyen Orient qui pousse les régimes arabes à une soumission
sans failles à l´égard de Washington...
Et pourtant, tout n´est pas noir. Un des moments importants du combat
palestinien a été la saisie de la Cour Internationale de Justice à La
Haye qui, en
juillet 2004, a rendu son avis consultatif, condamnant vigoureusement la
construction du mur, le qualifiant d´"illégal", demandant à
Israël
d´arrêter cette
construction, de détruire ce qui existe déjà, de dédommager les
palestiniens
des préjudices causés et de mettre fin à l´occupation, considérant le
mur comme
un des outils de cette occupation. Enfin la CIJ invite les Nations Unies
à veiller à l´application de cet avis. Cette position devrait dynamiser le
soutien international à la lutte du peuple palestinien.
Sur la scène internationale, l´Europe porte une lourde responsabilité
historique à l´égard de la question palestinienne et possède, par
ailleurs, des capacités d´intervention non négligeables. L´importance de l´espace
européen structure le rôle de notre mouvement.
Comment attaquer l´impunité d´Israël et imposer à sa politique des
défaites, comment gagner des batailles, concrétisant ainsi réellement notre
inscription dans la lutte du peuple palestinien pour ses droits,
influant sur le résultat ? Il fallait une vision construite, aucune erreur politique ne
nous étant tolérée. Il fallait aussi s´organiser, choisir des priorités, élargir
la base de nos alliances, proposer des objectifs clairs et concrets, adopter des
outils appropriés...
De ces exigences est né le concept de "triangle d´action dont la base est
le mouvement palestinien dans son ensemble, auquel se joint le mouvement
international et le mouvement anticolonialiste israélien. Cette
coordination est
indispensable pour accéder à l´efficacité. Un des objectifs majeurs de
la politique israélienne consiste à isoler la lutte du peuple palestinien.
L´isolement se fait par le biais de deux procédés, celui de la défiguration de la
nature de cette lutte et celui de la dispersion de la solidarité avec cette lutte.
De ces objectifs est né également notre plan d´action, cette fameuse
stratégisation à laquelle nous aspirons et qui a orienté nos efforts
dans les FSE et FSM. Nous considérons l´importance de ces espaces qui regroupent des
courants politiques, des syndicats, des associations etc... formant
ainsi une majeure partie du mouvement contre le néolibéralisme et la guerre. Ceci
est vrai autant quantitativement que dans l´aspiration à formuler une dynamique
de contestation et d´opposition à l´hégémonie du néolibéralisme
guerrier et répressif et les différentes tentatives qui lui sont liées. Ceci à aussi ses
limites, ses difficultés et ses failles, nous y reviendrons dans un prochain
article.
Au premier FSE, à Florence, les réseaux qui militent en Europe pour les
droits du peuple palestinien ont décidé de construire une coordination
qui les lie
et permettra d´améliorer leurs actions et la présence de la Palestine
aux FSE/FSM.
On pourra dresser le même bilan d´évolution des positions des FSE que
celui des FSM. Le communiqué de l´AG des mouvements sociaux à Londres en
octobre 2004 l´atteste. Pour la première fois, la revendication de sanctions sur
Israël y apparaît. Le degré avancé de coordination entre les mouvements
appartenant au triangle, tel que présents à ce 3ème FSE, a permis cet
acquis. Il fallait
impérativement le consolider sur le niveau international ( FSM ) et en même
temps développer une conception détaillée et un plan d´action qui
rendraient
l´énoncé concret, c´est à dire défini, compréhensible, et aussi
traduisible, car
il serait inconcevable de demander aux partis politiques, aux syndicats,
aux diverses associations, d´inscrire réellement cette position dans leurs
agendas sans cet effort. Toute la coordination européenne a donc démarré des
contacts avec ces organisations, chacun selon ses capacités, et nous avons
travaillé un brouillon de texte** sur les sanctions que nous avons proposé à la
discussion générale.
LES AXES
- La campagne pour des sanctions sur Israël installe son argumentaire
sur les
principes du droit international et sur toutes les résolutions des
instances
internationales. C´est un point de force et ça permet un élargissement
qui ne
trahit pas notre cadre politique.
- Il ne s´agit pas d´opposer cette campagne aux autres formes de
mobilisation: la solidarité "traditionnelle", le travail
multiple et
minutieux
qu´entreprennent des milliers de groupes de par le monde, et aussi des
campagnes déjà
en cours ou proposées, celles d´appel au boycotts ou au désinvestissement.
Mais si ces formes d´action ne sont pas contradictoires, elles ne
peuvent pas se
contenter de se juxtaposer, et doivent trouver l´articulation qui les
lient
toutes. Sinon l´efficacité sera à nouveau dissipée. Nous pensons
justement que
cette articulation se trouve autour de l´exigence de sanctions sur
Israël. Les
autres démarches doivent être réfléchies, construites et, s´il le
faut,
modifiées pour servir cet objectif.
- Contrairement à ce qui se dit, c´est quand l´Autorité palestinienne
se trouve acculée à négocier des dispositifs sécuritaires et non pas des
solutions politiques que la campagne de sanctions double d´intérêt. Face aux
pressions sur l´Autorité et sur la société palestinienne, il s´agit de créer
cette marge vitale où la revendication politique garde sa teneur.*
*
- La campagne de sanction n´est pas du lobbying ! C´est avant tout une
campagne de mobilisation générale qui vise à exprimer clairement la
force du
soutien politique à la lutte du peuple palestinien. C´est également le
moyen
d´organiser l´exercice d´une immense pression populaire sur les
instances
nationales, régionales et internationales. C´est de construction de
rapport de force
qu´il s´agit.. Par ailleurs, il n´est pas honteux d´interpeller
ces instances pour exiger l´adoption de sanctions ou leur application. Tout-e
militant-e a
sa place dans cette campagne et son rôle y est déterminant. Les modalités
pratiques de la campagne sont évidemment diverses, selon les acteurs,
les pays et
le degré de développement des mouvements, selon le contexte aussi. En
France,
la campagne de signature de pétitions pour l´application de la
résolution du
PE d´avril 2002 a recueilli 200 000 signatures. Ce n´est pas négligeable
mais
c´est peu par rapport à l´ampleur de la sympathie dont bénéficie le
peuple
palestinien.
- Il n´est pas évident que les différentes structures adoptent avec
enthousiasme cette campagne. Des réticences de différentes sortes sont
perceptibles,
certaines liées à des craintes de dérapages ( justifiées ou
illusoires,
cela n´a
pas d´importance ! ) d´autres à des calculs purement opportunistes. Il
faut
faire avec. Patience et clarté, en plus de la fermeté, aideront à
surmonter ces
difficultés.
- Dans l´Assemblée Préparatoire du prochain FSE qui se tiendra à Athènes
en 2006, nous avons fait un pas supplémentaire dans la même direction. La
proposition adoptée*** constitue désormais un document de travail du
mouvement.
- L´espace européen est déterminant dans cette campagne. La cohérence
dans
l´action que nous construisons ici aura un impact majeur sur l´avancée
de notre
objectif. Des positions plus évoluées, plus radicales, pourraient
exister
dans différents endroits de la planète. Mais leur effet restera
éparpillé et
moins significatif que si nous réussissons à lancer et à mener cette
campagne en
Europe. Pour de multiples raisons, nous sommes à l´endroit le plus
difficile à faire bouger, mais aussi le plus efficace sur les différents
plans.
- Les FSE/FSM ne sont évidemment pas les seuls espaces qui nous
intéressent.
Encore une fois, ils sont suffisamment importants pour ne pas les
négliger, ce
sont des lieux de rencontre, de contacts, de structuration, d´organisation,
de visibilité, d´unification etc...Mais d´énormes problèmes les
traversent et
les secouent, qui justifieraient de parler d´une crise du
mouvement
Aussi
ces espaces ne sont pas exclusifs, et il faudrait ne pas négliger tous
les autres milieux dans lesquels nous pouvons agir.
Voilà donc sur quoi nous nous sommes engagés. Un pas conséquent a été
réalisé, mais tout reste à faire. Ce programme a besoin de s´étoffer,
de se décliner
en propositions multiples, de s´articuler avec les autres champs
d´action, de convaincre... Et ceci dépendra de chacun-e de nous !
Annexes et notes:
- A Porto Alegre, nous étions 5 membres de la CCIPPP à nous battre pour
obtenir l’affirmation de cette orientation. Nous avons organisé avec
des partenaires 2 conférences très réussies, entrepris ou consolidé
des contacts, participé à des séminaires, guidé l’assemblée
quotidienne pour la Palestine, réunion de travail qui préparait
l’ensemble de cette action. C’était intense, parfois tendu, mais très
instructif. Nous reviendrons sur cela dans le rapport sur les FSM/FSE.
* pour consulter les textes des FSE/FSM, aller sur le site http://www.fse-esf.org
et http://Www.movsoc.org
** “The European campaign for political and economical sanctions on
Israel”. Ce texte a été soumis à la discussion dans les réseaux et a
été définitivement adopté à la dernière réunion de la coordination
européeene des réseaux actifs sur la Palestine, tenue à Bruxelles le 12
mars 2005.
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