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Jerusalem Post, 29 avril 2005
La doctrine Sharon
par Naomi Hazan (1)
Trad. : Gérard pour La Paix Maintenant
Dans le grand dessein de Sharon qui veut modifier la carte politique de la
région, le désengagement de Gaza est le premier pas. Le deuxième
consistera
à imposer unilatéralement un Etat palestinien aux frontières
provisoires
(EPFP), fait d'enclaves disséminées en Cisjordanie et dans la bande
de Gaza.
La mise en oeuvre de cette stratégie perpétuera le conflit et mettra de
fait
un terme aux promesses de règlement définitif. Cette réinterprétation
malhonnête de la solution à deux Etats doit être rejetée. Elle ne peut
être
évitée que par un retour à la table des négociations et par la création,
après accord, d'un Etat palestinien viable et ayant une continuité
territoriale aux côtés d'Israël.
Le retrait de Gaza effectué par le Premier ministre fait de l'ombre à ce
qu'on aujourd'hui appeler la doctrine Sharon. Son objectif explicite est
de
s'assurer qu'Israël demeure un Etat démocratique à majorité juive, et
ce par
le contrôle de zones largement peuplées par des Juifs, en excluant les
concentrations de populations palestiniennes. Dans la pensée de
Sharon, le
changement majeur a été de remplacer la géographie par la démographie
en
tant que facteur essentiel de la sécurité d'Israël.
L'instrument de la mise en oeuvre de cette stratégie est la promotion
active
d'un Etat palestinien aux frontières provisoires, une notion prévue dans
la
deuxième phase de la Feuille de route. Cependant, l'EPFP version
Sharon
diverge de celle de la Feuille de route sur trois points essentiels.
D'abord, la Feuille de route appelle à la négociation d'un Etat
provisoire,
Sharon cherche à le créer unilatéralement. Ensuite, l'EPFP est considéré
comme une brève étape sur le chemin de la conclusion d'un accord définitif,
alors que Sharon ne montre aucun signe indiquant qu'il dépasse la gestion
du
conflit pour aller à la résolution du conflit. Enfin, l'objectif du
document
initié par le Quartette et signé par les Israéliens et par les
Palestiniens
est la création d'un Etat palestinien viable et continu su le plan
territorial. Sharon n'a jamais accepté cet objectif.
Le raisonnement qui sous-tend cette doctrine, qui est en train de devenir
officielle, est instructif. Le gouvernement dirigé par Sharon n'a jamais
abandonné la conviction que, du côté palestinien, il n'existe pas de
partenaire avec qui négocier. La manière dont il traite le président
Mahmoud
Abbas, et dont il traîne les pieds devant la perspective d'entamer des
discussions avec une Autorité palestinienne reconstituée, confirmant cet
état d'esprit.
Sur le plan intérieur, l'instabilité chronique du système politique
israélien et la faiblesse, pour l'instant criante, du camp de la paix,
permettent de mener une politique qui va à l'encontre des aspirations de
l'immense majorité des Israéliens (les sondages montrent que 80% d'entre
eux
soutiennent une reprise des négociations dès maintenant). Sur le plan
international, le fait que les Américains soient occupés ailleurs, ajouté
à
une frustration et une fatigue générales à l'égard du bourbier
israélo-palestinien, ont permis à une redéfinition révisionniste
de la
Feuille de route de se faire jour, en défiant ses objectifs déclarés.
On pense, dans certains cercles, qu'une action rapide dans un futur proche
pourrait déclencher des processus susceptibles de faire même renaître
la
vieille vision de Sharon selon laquelle "la Palestine, c'est la
Jordanie.
Les mesures prises pour mettre en oeuvre la doctrine Sharon sont d'ores et
déjà visibles sur le terrain : la construction du mur, les plans de
développement du couloir "E1" entre Maale Adoumim et Jérusalem,
et le réseau
serré de routes et de tunnels destiné à relier les blocs de colonies
juives
et à contourner les points de peuplement palestiniens. De même, les
préparations de Tsahal face à la possibilité d'une troisième intifada.
Plus
subtils sont l'attitude envers l'Autorité palestinienne, où l'on
décrédibilise ses dirigeants tout en assurant sa pérennité afin
qu'elle
puisse être tenue pour responsable au lendemain du retrait de Gaza, et
l'émission de l'idée d'un Etat palestinien aux frontières provisoires.
Dans l'esprit de Sharon, la clé pour appliquer sa stratégie dans les
faits
est le soutien actif de l'administration Bush et, avec son aide, la mise
sous le boisseau des inquiétudes de la communauté internationale.
Le soutien fort dont bénéficie l'initiative de Gaza offre un créneau de
six
mois pour mettre le plan en branle.
Il existe un réel danger qu'au moment où la doctrine Sharon se révélera
dans
toute sa dimension, il soit trop tard pour en changer la trajectoire. Une
fois de plus, la gauche israélienne se retrouvera surclassée par un maître
ès manœuvres. La communauté internationale, devant un autre fait
accompli
de Sharon, n'aura plus qu'à décrier ce qu'elle aurait pu éviter. Les
dirigeants palestiniens, qui par le passé avaient envisagé de déclarer
unilatéralement l'indépendance [de l'Etat palestinien], se retrouveront
face
à la perspective, ou bien d'obtenir un mini-Etat ingouvernable, ou bien
d'être accusés de renoncer d'eux-mêmes à leur rêve de souveraineté.
Ce scénario doit et peut être évité. La réponse ne réside ni dans
l'adoption
de la stratégie de l'EPFP de Sharon, ni dans son accélération, mais
dans sa
dénonciation et dans l'activation immédiate de la seule alternative
faisable
: la reprise de négociations contraignantes qui mèneront à la fin de
l'occupation, à la création d'une Palestine viable et à une résolution
définitive du conflit.
La vision de Sharon ne doit pas devenir une réalité qui déstabiliserait
la
région pour les années à venir et menacerait à terme la sécurité
d'Israël.
Pour garantir que cela ne se produise pas, il revient à la majorité des
Israéliens et des Palestiniens de s'assurer, par des négociations sincères,
que leur vision d'une paix juste prévaudra.
(1) Ancienne vice-présidente travailliste de la Knesset, signataire des
Accords de Genève
Source
: La Paix Maintenant
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