Ha'aretz, 22 août 2005
Ramallah Deux autocars à plaque
diplomatique sont arrivés à Ramallah ces deux derniers jours. Les
jeunes passagers ne détachaient pas leurs yeux de la fenêtre,
excités par ce qu'ils voyaient pour la première fois. Leur
destination finale était le nouveau centre culturel que la ville de
Ramallah a créé l'année dernière. Leur mission : un concerto de
Mozart et la 5ème symphonie de Beethoven. Dernière étape d'une
tournée de concerts qui avait commencé l'année dernière en
Espagne, et les a conduits au Brésil, en Argentine, en Ecosse, à
Londres et à Berlin.
Samedi, le premier autocar transportait de jeunes musiciens venus de
Syrie, du Liban, de Jordanie et d'Egypte. Hier matin, ce sont
les Israéliens qui sont arrivés, depuis Jérusalem Est. Tous se
sont rencontrés pour une dernière répétition, avant le concert
retransmis hier par Arte au monde entier. Le concert, par
l'orchestre "orientalo-occidental" Diwan, composé de
musiciens venus des quatre coins du Moyen-Orient, était dirigé par
Daniel Barenboim.
Ces dernières années, Barenboim a créé une certain nombre de précédents
dans la région : un premier concert par l'orchestre de Ramallah,
une oeuvre de Richard Wagner dans l'auditorium de Tel-Aviv suivi
d'un discours cinglant devant la Knesset, et la création pour
l'Autorité palestinienne d'un premier programme d'éducation
musicale, avec entre autres une cours pour les tout petits qui
emploie des professeurs venus de camps de réfugiés de Cisjordanie.
Pourtant, on peut tout à fait qualifier ce dernier concert d'"événement
historique" : des dizaines de jeunes Israéliens se déplacent
à Ramallah pour jouer de la musique, de jeunes Syriens et Libanais
traversent la frontière pour se joindre à eux, avec des
autorisations venus de très haut, dont celles d'Assad et de Mahmoud
Abbas.
Peurs et soupçons
Le soupçon était partout, alors que les jeunes montaient sur scène.
"Du point de vue musical, ce concert est comme tous les autres,
mais on pourrait écrire un livre entier sur les problèmes
logistiques qui se sont posés", dit Barenboim.
Des messages contradictoires en provenance du leadership syrien ont
fait peur aux musiciens locaux. La peur des Israéliens, ajoutée à
l'opposition déterminée de leurs parents, avait fait craindre pour
leur participation. Le manque de confiance des Libanais envers une
autorisation émise par leur propre gouvernement, bien précaire,
avait conduit un certain nombre d'entre eux à annuler leur
participation. Et la promesse non tenue du gouvernement espagnol
d'accorder pour une semaine des passeports diplomatiques aux
musiciens, pour faciliter leur entrée en Israël et dans les
territoires de l'Autorité palestinienne, avait menacé toute
l'entreprise. Jusqu'il y a
quatre jours.
Jeudi, tout était résolu : les Syriens avaient organisé un vote
entre eux, et décidé de venir, les Israéliens avaient surmonté
leurs peurs, et les médias du monde entier ont pu couvrir l'événement,
à la dernière minute.
Lors de la répétition, en sus de la fatigue, les musiciens
exprimaient joie et enthousiasme. Barenboim, lui, tenait à la précision
et donnait ses dernières instructions : "celui qui est fatigué
peut rentrer chez lui!", rugit-il à l'intention de
l'orchestre, qui traînait derrière le tempo galopant de la
symphonie de Beethoven.
Pendant une pause, un violoniste syrien remarquait : "pour
nous, la Palestine est un pays imaginaire. Je ne croyais pas pouvoir
la voir un jour".
Un autre violoniste, réfugié palestinien dont la famille est
originaire d'Akko (St Jean d'Acre) : "je suis ému jusqu'aux
larmes. Je me suis réveillé la nuit dernière et j'ai regardé par
la fenêtre. Je ne pouvais pas croire à ce que je voyais, à tout
ce dont mes parents m'avaient parlé".
"Quand est-ce qu'on visite la ville?", demanda un musicien
israélien impatient, alors qu'il menait une conversation animée
avec deux musiciens syriens sur la visite et sur les occasions
qu'ils auraient de jouer de la musique ensemble. Seule la
haute clôture de séparation, qui s'est interposée pendant leur
voyage, a déclenché peur et étonnement.
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