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Ha'aretz, 12 juillet 2005
La seule et unique frontière : la
ligne Verte
par Ran Cohen (1)
Trad. : Gérard pour La Paix Maintenant
Il y a quelques semaines, je participais à un débat sur le désengagement
devant un groupe d'étudiants, dans l'une de nos universités. Quand je
parlai de la nécessité d'évacuer les territoires occupés, une jeune
femme me demanda : "où vous arrêterez-vous? Quelle est la frontière
quand on parle de rendre des territoires? Et si l'on vous demande d'évacuer
votre maison à Mevasseret Zion (2), penserez-vous encore que c'est légitime?"
Dans une interview à la radio, Avi Farhan un habitant d'Elei Sinaï
(colonie au nord de la bande de Gaza), décrivait sa colonie par ces mots
: "nous sommes situés dans la partie nord de la bande de Gaza, très
près des kibboutz Zikkim, Carmia et Yad Mordekhaï" (3).
Pendant près de 40 ans, malgré d'énormes investissements, les Israéliens
ne sont pas précipités en masse pour peupler les colonies et ont préféré,
pour la plupart d'entre eux, rester à l'intérieur des frontières d'Israël.
Mais, bien que l'entreprise de colonisation ait échoué à faire des
territoires
occupés et des colonies une partie légitime de l'Etat d'Israël, elle a
réussi au moins une chose : avec les encouragements ou l'accord tacite de
tous les gouvernements, elle a brouillé la ligne Verte (frontière
d'avant la guerre de 1967), qui constitue de fait la seule et unique
frontière qui puisse être clairement tracée, et la seule frontière sur
la base de laquelle il soit possible de parvenir à un accord acceptable
pour les deux parties, et qui soit internationalement reconnue.
Il est clair qu'aujourd'hui, au moins dans certaines zones de la
Cisjordanie (Maale Adoumim, certains quartiers de Jérusalem et le
"Bloc d'Etzion"), la ligne Verte ne constituera plus une frontière
mutuellement acceptée. Il sera très difficile, sinon impossible, de les
évacuer, et Israël devra donner d'autres territoires en échange. Pour
ce qui concerne le reste de la Cisjordanie, la seule chance de parvenir à
un accord de paix dépend de la distinction que feront les Palestiniens et
les Israéliens entre un territoire israélien souverain et légitime et
un territoire occupé, dont le
statut reste à définir. Imaginons un instant ce qu'il en serait de cette
distinction mentale entre Israël et les territoires si des colonies n'y
avaient pas été érigées. Le retour de l'imaginaire à la réalité révèle
un succès, surprenant et inquiétant, du projet de colonisation : saper
la perception qu'a le public israélien de la ligne Verte en tant que
frontière de paix mutuellement acceptée entre Israël et son voisin
palestinien. Ce n'est pas un hasard si, sur ordre de tous les ministres de
l'Education, la
ligne Verte a disparu des cartes dans les écoles israéliennes.
Il est étrange de constater que le combat politique autour du désengagement
est mené essentiellement par des éléments de l'opposition et non par le
gouvernement d'Israël. Ariel Sharon est entouré de nombreux conseillers,
porte-parole, stratégistes et conseillers en communication, mais il
semble qu'ils soient surtout occupés à le sortir de tel ou tel scandale
ou au bras de fer hebdomadaire avec Benjamin Netanyahou, et non à
expliquer à l'opinion les avantages du désengagement. A gauche non plus,
on ne soutient pas fortement le plan, et l'on privilégie la critique, ou,
malheureusement, les réserves. Or, à la fois l'entourage du Premier
ministre et les gens de gauche font une grave erreur en n'expliquant pas
au peuple le gros avantage du désengagement : l'évacuation des colonies
juives.
Au cours de la décennie durant laquelle se sont déroulées les négociations
entre Israël et les Palestiniens (entre Oslo et Camp David), les
questions dont on a dit qu'elles constituaient un problème ont été les
réfugiés, le droit au retour et le statut de Jérusalem, avec d'autres
problèmes comme la distribution d'eau et les accords de sécurité.
Personne n'a soulevé le problème des colonies, dont la solution
paraissait évidente. Personne n'avait prévu qu'il deviendrait LE problème
qui pourrait empêcher de parvenir à un accord définitif, et qu'une décision
apparemment simple comme l'évacuation de la bande de Gaza de 3% des
colons juifs des territoires (évacuation de surcroît bénéficiant d'un
large consensus) rencontrerait une opposition aussi forte.
Oui, l'étudiante qui m'a demandé "jusqu'où ? Quelle est la frontière
?" a été surprise par ma réponse simple. La frontière, c'est la
ligne Verte, la seule frontière possible et raisonnable entre nous et nos
voisins, même si elle devra subir quelques ajustements mutuellement
acceptés. Et, non, Avi Farhan n'a pas cillé, et sa remarque n'a pas
provoqué de convulsions chez ses auditeurs quand il n'a pas dessiné la
ligne, pourtant profonde et catégorique, qui sépare Elei Sinaï et les
autres colonies de la bande de Gaza des localités qui se trouvent à
l'intérieur des frontières d'Israël. Et il faut que cela s'arrête
avant qu'il soit trop tard.
Nous nous trouvons à une croisée des chemins historique. Jamais
auparavant une seule colonie juive n'a été évacuée. Ce désengagement
est le premier test d'un démantèlement de ces colonies qui sont comme un
os dans la gorge au milieu d'un territoire palestinien étranger. Il faut
donc que le
désengagement s'effectue à la lettre, complètement et à la date prévue,
avant qu'une génération nouvelle n'apparaisse qui n'aura pas connu 1967,
et avant que nos enfants et petits-enfants soient condamnés à vivre par
le glaive pour toujours, sans comprendre même pourquoi.
(1) Ran Cohen est député du Yahad-Meretz (gauche)
(2) Mevasseret Zion : petite ville en contrebas de Jérusalem, à l'intérieur
de la ligne Verte
(3) Zikkim, Carmia et Yad Mordekhaï sont 3 kibboutz proches de la bande
de
Gaza, à l'intérieur de la ligne Verte
Source
: La Paix Maintenant
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