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Yediot Aharonot, 17 août 2005
Trad. : Gérard pour La Paix Maintenant
Ma femme et moi nous disputons sur tout et sur n'importe quoi. Mais
là où nous avons vraiment été en compétition, c'est quand nous
avons voulu, apprendre à notre fils Aron à parler. Chacun voulait
que son premier mot vienne de lui et pas de l'autre.
Alison, en bonne Juive, voulait qu'il dise "shalom".
Moi, en bon Palestinien, je voulais lui enseigner quelque chose de
simple, comme "la Palestine est une terre arabe - Longue vie à
la Révolution. - A bas le Shah - El pue-blo uni-do jamas sera
venci-do".
J'ai fini par un compromis avec moi-même, comme le font
souvent les Palestiniens. Je me suis contenté de lui enseigner le
mot "salam".
Dès qu'Alison avait le dos tourné, je chuchotais à mon fils dans
l'oreille : "salam! salam! salam!" Comme il n'avait pas
deux ans, il me regardait comme si j'étais dingue.
Je suis sûr qu'Alison faisait de même dès que j'avais le dos
tourné et lui répétait "shalom". Je l'ai même entendue
chantonner la haTikva en entier, lentement et en rythme, dans la
chambre du bébé.
Mais Aron semblait ne rien vouloir entendre.
A la vérité, on ne peut pas forcer des êtres humains, quel que
soit leur âge, à faire ou dire quelque chose, à moins qu'ils en
aient envie. Les enfants, en particulier, n'apprennent jamais ce
qu'on veut qu'ils apprennent. Ils apprennent ce qu'ils veulent,
quand ils le veulent.
Les premiers mots que notre fils prononça nous prirent par
surprise, évidemment.
Faites attention à ce que vous dites devant les enfants.
J'étais dans ma voiture, pris dans les encombrements. Quels que
soient les efforts qu'on fait pour ne pas dire de gros mots devant
les enfants, il y en a forcément qui vous échappent. Excédé par
les bouchons, je lâchai une bordée de noms d'oiseaux.
Non, ce n'étaient ni des mots qu'on prononce à des funérailles,
ni de ceux qu'on jette en quittant sa colonie de la bande de Gaza.
Non, c'étaient de vrais gros mots. A la fin de la bordée, je lançai
mon préféré : "connard!"
Alors, à l'arrière de la voiture, j'entendis distinctement mon
fils, attaché à son siège de bébé, prononcer son premier mot :
"cooooonnaaaaard!"
Il est clair que cela déclencha la conversation la plus tendue que
j'aie eue avec ma femme, à part une "toi, UNE Juive? Je
pensais que tu étais seulement juive?" (2)
- "Chérie", commençai-je à regret, "tu ne
devineras jamais".
- "Arrête", dit ma femme. "Aron a dit son premier
mot et je n'étais pas là. C'est quoi?"
- "Eh bien, il y a une bonne et une mauvaise nouvelle".
- "Tu veux dire que son premier mot n'était pas seulement un
mot? C'était une phrase, c'est ça?"
- "Euh, pas exactement une phrase. En tout cas, ma chérie, la
bonne nouvelle, c'est qu'Aron a dit son premier mot".
-"Et la mauvaise nouvelle?"
Comme vous l'imaginez, nous travaillâmes dur pour réparer les dégâts
et pour lui enseigner un autre "premier" mot.
Tous les deux, nous continuions avec nos messages de paix. "Shalom",
disait Alison. "Salam", me pressais-je d'ajouter.
Jusqu'à ce qu'un jour, de lui-même, Aron nous prit par surprise
alors que nous étions à table.
Ce fut un mot très simple. Mais il le dit si distinctement, avec un
sourire si clair, que cela nous fit soupirer, de soulagement et
d'espoir.
Aron avait dit tout simplement : "shalam".
(1) Ray Hanania est un Américain d¹origine palestinienne (sa
famille est originaire de Jérusalem et de Bethléem). Humoriste et
satiriste, il présente son spectacle "Si on peut rire
ensemble, on peut vivre ensemble", soit seul, soit avec Aaron
Freeman, un Juif noir américain. Son site internet est à http://www.hanania.com
(2) L'anglais fait la différence entre le substantif (Jew) et
l'adjectif
(jewish).
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