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Bitterlemons, 21 avril 2005
La renaissance de l'économie palestinienne en question
par Nigel Roberts et Stefano Mocci (1)
Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant
La Banque Mondiale a consacré beaucoup d'efforts, au cours de l'année
écoulée, à analyser et à débattre avec l'Autorité palestinienne
(AP), le
gouvernement d'Israël (GI) et la communauté internationale, de ce qui
est
nécessaire pour redonner vie à une économie palestinienne dévastée,
et pour
développer de nouvelles relations économiques plus saines entre Israël
et
l'AP. Nous l'avons fait tout en sachant que la croissance économique et
la
prospérité ne sont pas en elles-mêmes une garantie de paix, mais que la
stagnation, le chômage et la pauvreté endémique rendent infiniment plus
difficile toute recherche de réconciliation.
Lorsque le GI a annoncé, en juin 2004, son intention de se retirer de
Gaza
et de certaines parties du nord de la Cisjordanie, l'AP, le GI et les pays
donateurs ont demandé à la Banque Mondiale d'étudier l'impact potentiel
de
cette initiative sur l'économie palestinienne. Dans son rapport
"Stagnation
ou renaissance ? Perspectives sur le désengagement israélien et l'économie
palestinienne" publié en décembre 2004, la Banque Mondiale
concluait que le
désengagement en lui-même n'aurait pas d'effet notable sur une économie
palestinienne en ruines, et qu'il fallait bien davantage qu'un acte de
désengagement si l'on voulait la faire renaître.
Ce rapport, adopté par la communauté internationale aux récentes conférences
d'Oslo et de Londres, soulignait la nécessité d'un afflux soutenu d'aide
étrangère. Mais il affirmait également que l'aide étrangère ne
constituait
pas le facteur clé dans la perspective d'une renaissance économique
palestinienne. Un survol sommaire de l'histoire de l'aide étrangère de
ces
dernières années permet d'illustrer cette affirmation. Pendant l'intifada,
les pays donateurs ont doublé leurs versements annuels pour atteindre
presque un milliard de dollars par an, soit 300 dollars/habitant/an, ce
qui
en soi constitue un record dans les annales de l'aide étrangère tous
pays
confondus. Et pourtant, sur la même période, le revenu palestinien par
habitant a baissé quasiment de 40% en données réelles. Cela illustre
bien
comment la mauvaise qualité d'un environnement politique l'emporte
largement
sur les bienfaits apportés par une aide étrangère supplémentaire. Ce
n'est
qu'au cas où cet environnement se modifie que l'aide étrangère pourra
être
efficace.
Dans ce cas précis, qu'entendons-nous exactement par "environnement
politique" ? Nous parlons surtout des restrictions de circulation
imposées
aux biens et aux personnes pendant l'intifada. Ces restrictions ont tant
nui
au fonctionnement de l'économie que les retours sur investissements sont
aujourd'hui pour la plupart négligeables. Pour que le désengagement ait
des
effets positifs sur l'économie palestinienne, il doit donc être
accompagné
d'une levée rapide des bouclages. A charge pour l'AP et pour les
Palestiniens de restaurer la loi et l'ordre, et de se conformer à leurs
obligations prévues par la Feuille de route. De plus, pour attirer de
nouveau les investisseurs privés, essentiels à une croissance durable,
l'AP
devra accélérer la mise en ¦uvre de son programme de réformes intérieures,
dans des domaines comme la justice et la lutte contre la corruption.
Ces actions complémentaires peuvent être définies comme des conditions
préalables à la renaissance de l'économie palestinienne. Ce n'est que
lorsque ces changements auront commencé à prendre effet que l'aide étrangère
pourra avoir un quelconque impact positif en termes de transformation (et
non de simplement ralentir le rythme du déclin économique, comme c'est
le
cas actuellement). Pour le dire autrement, l'aide étrangère ne peut
apporter
une croissance durable que si l'environnement politique se modifie. En ce
sens, la Banque Mondiale affirme que des progrès significatifs dans les
domaines des bouclages, de la sécurité et des réformes sont nécessaires
si
l'on veut voir un "saut qualitatif" dans le niveau de l'aide étrangère.
En
suivant cette logique, la communauté des pays donateurs, lors de la réunion
de la commission ad hoc à Oslo, en décembre 2004, a demandé à la
Banque
Mondiale de traduire ses recommandations en une série de mesures concrètes
qui doivent être prises par l'AP et par le GI, et d'étudier les progrès
réalisés dans leur application.
Depuis lors, nous avons travaillé avec des représentants de l'AP et du
GI
pour identifier des manières pratiques possibles de démanteler le système
actuel des bouclages sans mettre en danger la sécurité d'Israël, et
pour
rechercher de nouvelles manières de soutenir les réformes
palestiniennes.
L'un des aspects de ce travail a consisté en un dialogue sur les options
possibles pour améliorer les passages aux frontières et aux différents
terminaux. Israël souhaite transformer ces terminaux et les rendre plus
modernes, plus efficaces et plus sûrs. La Banque Mondiale a proposé une
approche de la gestion des frontières où les flux de cargaisons seraient
régularisés et déterminés principalement par la demande du marché, et
où
seraient adoptés des critères de service aux terminaux
internationalement
acceptés, des techniques modernes de gestion des risques et des mécanismes
de résolution des conflits commerciaux. Ces modifications sont vitales
car
elles mettraient fin au système d'aujourd'hui, extrêmement chaotique,
d'inspection des cargaisons dos-à-dos (2). Pour permettre à cette
nouvelle
philosophie de gestion d'être appliquée sans risque notable, les
terminaux
doivent être équipés des système de contrôle de sécurité les plus
modernes.
Cependant, des terminaux frontaliers efficaces ne suffiront pas à faire
repartir l'économie. Israël devra adopter une approche bien plus
globale de
démantèlement des bouclages, à commencer par l'élimination des
checkpoints
et des barrages routiers mis en place en Cisjordanie pendant l'intifada,
et
l'établissement d'un flux de personnes et de marchandises entre Gaza et
la
Cisjordanie qui maintienne la cohérence économique entre les deux
parties du
territoire palestinien. Il est également important de maintenir un flux
raisonnable et prévisible de main d'œuvre palestinienne vers Israël,
alors
que, de leur côté, les Palestiniens devront chercher à réduire leur
dépendance économique excessive vis-à-vis d'Israël, et à développer
la
compétitivité de leurs exportations chose susceptible de prendre de
nombreuses années, et qui requerrait un soutien de la part d'Israël et
des
pays donateurs, soutien de surcroît multiforme. Il est important
enfin, de
maintenir la relation économique actuelle entre Israël et l'AP, qui équivaut
à une quasi union douanière, et ce au moins jusqu'à ce que l'époque
permette
que de nouveaux accords soient conclus.
La période actuelle porte à un certain optimisme, mais la route vers la
renaissance économique de la Palestine ne sera pas facile, même si les
parties peuvent se mettre d'accord sur les manières de la construire. Le
rapport de décembre [2004] de la Banque Mondiale parle d'une récession
d'une ampleur historique", d'une "perte de dynamisme économique,
et d'une
perte croissante par l'AP de contrôle politique et de soutien populaire.
Même dans l'hypothèse la plus optimiste, l'AP devra faire face à des défis
fantastiques, alors qu'elle doit apporter ses services à une population
qui
croît très rapidement.
A moins qu'un début solide ne soit effectué très rapidement, l'objectif
de
rétablissement et de prospérité à venir pourrait nous échapper, ce
qui
condamnerait les Palestiniens à une pénurie à long terme et Israël à
l'éventualité de devoir cohabiter avec un voisin appauvri et amer. A cet
égard, il faut bien dire que très peu de choses ont changé sur le
terrain
depuis la publication de notre rapport.
(1) Nigel Roberts est depuis avril 2001 directeur de la Banque Mondiale
département Cisjordanie et Gaza. Stefano Mocci est consultant auprès de
la
Banque Mondiale pour la Cisjordanie et Gaza.
(2) le système "dos-à-dos; consiste à contrôler une
cargaison en la
déchargeant d'un camion et en la rechargeant sur un autre, adossé
à lui.
Source
: La Paix Maintenant
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