Pourquoi les Israéliens dans leur ensemble collaborent-t-ils à
l’Occupation ?
Pour la plupart, la colonisation ne les enthousiasme pas.
On entend souvent dire : "Je ne supporte pas les
colons"…
"J’aimerais bien qu’on lâche les territoires et qu’on
obtienne la paix".
Et s’il y a bien un battage nationaliste en Israël, c’est limité.
Pendant les deux premières années de la dernière Intifada,
j’accompagnais des Palestiniens dans le besoin dans des hôpitaux
israéliens. Quand ils finissent par y arriver, un très grand
nombre d’israéliens font de leur mieux pour les aider. Dans la
situation de tous les jours on rencontre beaucoup de courtoisie, de
générosité, de tolérance et de chaleur humaine, en Israël.
Et pourtant les fils de ces mêmes personnes sont dans l’armée,
mettent leurs vies en danger dans les territoires occupés et tirent
sur les Palestiniens chaque fois qu’ils en reçoivent l’ordre.
Par exemple : depuis le début de l’Intifada, l’armée israélienne
s’est impliquée dans le saccage systématique de Gaza.
Pas seulement en réponse à la dernière attaque de Sderot – les
Qassams sont un phénomène relativement nouveau.
Pendant deux ans, avant les Qassams, l’activité de l’armée
dans la Bande de Gaza a pu être considérée comme purement
offensive ;
Les incursions de l’armée avaient lieu à des semaines
d’intervalle : par des séries d’attaques sur des quartiers
palestiniens surpeuplés pendant lesquelles les habitants ne peuvent
se cacher nulle part et ne peuvent trouver refuge nulle part.
On a entrepris la destruction des champs : plus de la moitié des
terres arables de Gaza ont été rasées aux bulldozers.
On a mis en place la destruction massive des maisons : des dizaines
de milliers de gens sont devenus des SDF. Tout ça dans le but avoué
de maintenir quelques milliers de colons sur des biens mobiliers
gazaouites de choix.
(Ces colons de Gaza qu’on est supposé évacuer en juillet. Mais
jusqu’à présent personne n’a reçu l’autorisation de partir
même quand ils le désirent).
Pourquoi ces soldats israéliens sont-ils partant pour contribuer à
cette infamie ?
Les mêmes questions se posent pour les problèmes économiques récents
qui ont touché la plupart des Israéliens.
Pourquoi n’y a-t-il pas d’opposition significative à cette
politique économique ?
Israël est insolvable, les fonds de l’état sont détournés pour
renforcer l’occupation et pour un grandiose projet d’extension
des colonies, le Mur, un système fou de routes et de tunnels pour
rendre la vie des colons confortable, et celle des Palestiniens
impossible.
Dans tous les autres secteurs publics – santé et services
sociaux, éducation – ont été opérées des coupes sombres dans
les budgets.
Récemment, on a annoncé des compressions importantes dans le
budget des universités. La réponse de mes collègues s’est faite
humble – et dans le passé ces mêmes collègues prenaient moins
de gants pour organiser des grèves à la moindre atteinte à leur
salaire.
Nulle part on ne rencontre d’opposition sérieuse à ce
gouvernement.
Sharon est généralement perçu comme un opposant des colons et un
faiseur de paix, et non comme le chef des colons.
Lors d’une récente manifestation des Women-in-Black (Femmes en
Noir) j’ai entendu des femmes très cultivées se demander
"Pouvons-nous croire que Sharon ait changé à ce point
?".
Pourquoi, pour l’amour de Dieu, est-ce que des gens intelligents
sont prêts à croire, une fois encore, les bonnes intentions d’un
vieil homme dont la vie est n’est qu’un long tissu de racisme,
de violence, de mensonges éhontés, et de mépris total de la vie
humaine ?
Evidemment, il n’y a rien d’extraordinaire à ce que des gens
ordinaires élisent des leaders pourris et exécutent leurs plans,
au XXIè siècle comme à n’importe quelle autre époque de
l’histoire, ici et ailleurs.
Pourquoi les citoyens des Etats-Unis réélisent-ils Bush ?
Pourquoi les Italiens ont-ils choisi pour leader un parfait escroc ?
Pourquoi les américains et les anglais veulent-ils tuer et mourir
en Irak, et les Russes en Tchétchénie ?
Ne voient-ils pas que c’est le moyen parfait pour encourager la
terreur, et non pour la combattre, et que, dans cettte histoire, ils
commettent eux-mêmes des actes terroristes ?
La question du pourquoi reste intéressante, et je vais essayer de
la poser à propos de mon pays puisque c’est le seul que je
connaisse et dont j’ai le plus de souci.
Le socialisme sioniste des débuts avait un slogan optimiste : « Un
peuple sans terre pour une terre sans peuple ».
Le fait inconfortable que les arabes habitaient déjà cette terre
que nous avions à apprendre à partager cette terre avec eux n’a
généralement pas été assimilé.
Le citoyen israélien moyen est encouragé à «imaginer de mettre
les arabes dehors» et il ou elle y arrive, généralement.
Le principal courant israélien ne discute pas avec des gens comme
nous, qui sommes capables d’utiliser le gros mot «d’occupation»
dans une conversation bien-élevée.
Nous ne sommes pas «dans la course» nous sommes «des gens de
mauvais goût» nous n’avons pas des «opinions équilibrées» et
par conséquent on ne doit pas faire attention à nous.
Quand on aborde les faits liés à cette abominable occupation, ils
estiment que c’est une opinion déplacée, ou qu’on exagère .
«Nos braves gars juifs ne font pas ce genre de choses».
Maintenant des soldats cherchent à briser la barrière du déni en
racontant tout ce qu’on leur a ordonné de faire (via Briser
le Silence). Le message ne passe pas. Le récent sondage
d’un journal a montré qu’une vaste majorité de juifs israéliens
ont confiance dans leur armée.
Les responsables israéliens ont fait plus que simplement imaginer
de les mettre dehors (i-e les Arabes), ils ont inventé des
politiques pour confisquer la terre arabe, oppresser et expulser -
la fin évidente objective étant de se débarrasser du plus d’Arabes
que possible.
Mais nos chefs ont parfaitement compris le besoin qu’ont les
bourgeois israéliens de se sentir en accord avec eux-mêmes.
Ainsi un "Mur de séparation" mental fait d’axiomes et
de slogans a été construit tout autour de la psyché collective.
Le mur est si haut, que la plupart des gens sont incapables de voir
à l’extérieur.
Ce mur est fait de différents étages de dogmes (qui sont pris pour
argent comptant et qu’importe s’ils sont grotesques) si bien que
si un citoyen arrive à passer outre le premier étage, il en reste
bien d’autres.
Le mur leur permet de se sentir à l’aise intérieurement et les
protège des pensées déplaisantes, ce qui a pour revers de servir
les colons et l’occupation.
Pendant des années les partis nationaux religieux ont exigé de
tenir le ministère de l’éducation dans tous les gouvernements
dont ils ont fait partie, ce n’est pas par hasard.
Un aspect majeur du système de propagande israélien, consiste à
renommer.
Donnez à une chose abominable – dans le cas précis, une sale
guerre coloniale - un nom qui sonne bien, comme « guerre contre le
terrorisme » ou « combat pour l’existence » et on vous obéira.
Quatre ex-chefs du Shabak (Service Général de la Sécurité Israélienne)
ont déclaré dans un article largement diffusé que l’actuelle
politique d’extension des colonies avec fermeture-aux-arabes met
en danger l’existence même de l’état d’Israël.
Ces déclarations n’entrent pas dans la tête des soldats israéliens
ou de leurs parents, dont la plupart continuent de croire pieusement
qu’ils Luttent contre le Terrorisme.
Leur besoin de vivre eux-mêmes comme les braves types des livres de
contes (de fée) est écrasant.
Dans l’esprit de la plupart des citoyens juifs israéliens, leur
armée est invulnérable.
Pendant des années, on a appris aux enfants qu’être un «idéaliste»
c’est synonyme d’être un «soldat dans une unité d’élite».
Récemment, je parlais avec un homme très instruit qui, des années
durant, a fait son devoir de réserviste au Liban.
Son fils fait le sien maintenant à Gaza.
L’homme est fier de son passé militaire et qu’aujourd’hui son
fils soit soldat. Je n’ai même pas essayé de le toucher dans sa
fierté, j’ai seulement essayé de lui expliquer les abominables réalités
des Territoires Occupés.
Son visage est devenu livide, comme s’il avait brusquement entendu
parler chinois. Il n’est pas devenu hostile, il a seulement changé
de sujet de conversation.
Sur le plan personnel, cet homme est respectable, il est pourvu de
sens moral, c’est un homme bien.
C’était comme si j’avais essayé d’expliquer à un vrai chrétien
qu’on ne peut pas avoir d’enfant sans sexe. – la virginité de
l’état d’Israël est inattaquable.
Les mots "Sécurité de l‘Etat" met les Israéliens dans
un état mental qui vaut un «garde à vous». Ensuite, l’esprit
d’un homme est vierge et on peut lui ordonner de faire n’importe
quoi, y compris des actes hautement dangereux pour la Sécurité de
ce même Etat.
Il arrive qu’on rencontre des gens nettement de gauche dont les
fils servent dans les Territoires. Ces parents ne s’inquiètent
pas seulement pour la sécurité de leurs fils, mais ils souffrent
aussi moralement, quoique silencieusement.
Une préoccupation primordiale semble être que les parents veulent
que leurs enfants soient «dans» (la course).
Et dans ce pays, le moyen traditionnel de rester «dans la course»,
c’est le service militaire.
Les gens veulent pouvoir dire fièrement : «Mon garçon est dans
une unité parachutiste». Et ils sont incapables de dire à leur
jeune homme, tout fier dans son nouvel uniforme : «Mon fils, tu
participes à une sale guerre coloniale, aussi dangereuse pour l’Etat
d’Israël – quitte l’armée ».
De plus, la plupart des Israéliens se consolent en se disant que
tout ça n’est que temporaire.
"Le Mur pourra être détruit en fonction de la conduite des
Palestiniens. On pourra détruire les colonies, mais elles représentent
une carte dans de futures négociations pour un accord de paix
permanent.
En même temps nous devons protéger les colons, car ce sont des
citoyens israéliens. Mais on peut avoir bon espoir. Il existe
toujours des développements positifs en faveur de la paix, soutenus
par des hommes d’état comme de Gaulle, comme Ariel Sharon".
On a du mal à croire qu’il y ait des gens capables de gober cette
foutaise, et pourtant si. C’est ce qu’ils ont compris de ce
gouvernement que les medias protègent.
Au niveau du texte sur le « mur de séparation » mental, cela fait
partie d’une paranoïa victimaire activement cultivée par notre
gouvernement.
Par exemple on dit aux Israéliens que l’Europe est anti-sémite
et qu’on y trouve un grand nombre de gens qui veulent nous détruire.
Il y a certainement des gens qui détestent les juifs en Europe.
Mais le racisme européen est plus dirigé contre les Musulmans et
les Africains que contre les Juifs et dans tous les cas le niveau de
racisme n’y est en rien comparable à celui que pratique Israël
à l’encontre des Palestiniens.
Mais la propagande du gouvernement s’insinue dans l’esprit des
Israéliens – on peut entendre les libéraux, gens apparemment
raisonnables - la reprendre à leur compte. La propagande a différents
objectifs.
La plupart des gens n’essaient même pas de lire les critiques
formulées par les medias européens à propos d’Israël.
Un article critique est immédiatement assimilé à de
"l’antisémitisme".
Et la plupart des gens pensent qu’ils doivent soutenir le
gouvernement "parce que le monde qui nous entoure est
contre nous tous et que nous devons faire corps parce que c’est le
seul pays que nous avons".
L’idée que nous pourrions nous opposer à ce gouvernement qui est
en train de détruire notre seul et unique pays ne traverse
bizarrement l’esprit que d’une poignée d’israéliens. C’est
beaucoup plus gratifiant, sur le plan émotionnel, de pleurer sur
soi-même.
Plus encore, la paranoïa victimaire est cultivée au détriment des
Palestiniens. On enseigne aux soldats que "Chaque Palestinien
est un Terroriste en Puissance dont les enfants de Tel Aviv doivent
être sauvés".
Les coups fourrés de Sharon sont simples : rendez la vie des
Palestiniens aussi désespérée et aussi dénuée d’avenir que
possible et vous obtiendrez le terrorisme.
Racontez aux soldats israéliens que chaque Palestinien est suspect
de terrorisme - et vous obtiendrez la déshumanisation.
Faites stationner les soldats dans ou près des colonies, et vous
obtenez la solidarité (« J’ai rencontré des gens si gentils
dans les colonies»° .
Et quand il est rendu à la vie civile – un jeune homme peut
obtenir une maison familiale bon marché - mais seulement dans une
colonie. Pas surprenant alors qu’un soldat considère comme un
devoir de protéger un colon, qu’importe la violence, et le harcèlement
des Palestiniens, qu’importe comment on arrivera à la paix.
Avez-vous vu la pièce de Tom Stoppard « Rosenkrantz et Gilderstern
sont morts » ?
Dans cette pièce, deux types ordinaires ( adaptation d’Hamlet) déboulent
dans un spectacle fabuleux avec rois, reines et princes, et ne
parviennent pas à s’en échapper bien qu’une fin tragique soit
visiblement proche. Sortir de cette pièce et ne pas y avoir de
place, c’est pire que de mourir.
La même chose risque d’arriver à mes compatriotes israéliens.
Dans la mentalité collective, on vit dans un merveilleux état juif
démocratique, qui lutte pour son existence. Ils ne connaissent pas
d’autre scénario.
Peut-être même est-ce encore plus simple. La plupart des Israéliens
sont accaparés par leur vie quotidienne, ne connaissent pas
personnellement d’Arabes et ne connaissent de l’occupation que
les informations israéliennes "passées à la
moulinette".
La plupart des Israéliens ne comprennent rien à ce qu’est devenu
leur pays.
Beaucoup sont des gens charmants et inoffensifs.
Est-ce une démocratie pour vous ?…
|
|