Haaretz,
23 août 2005
www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=615806
Les
médias israéliens ont préféré se focaliser sur les cris et
les embrassades du désengagement plutôt que sur sa signification
globale
Cela
n’a pas été l’heure de gloire des médias israéliens. Au
milieu de l’embrouillamini de mots, de kitsch, de larmes, la
confusion des embrassades et des cris, l’utilisation des
enfants, la fumée et la marée de bavardages déversée les
premiers jours du désengagement, a disparu la voix de celui qui
est le présent-absent dans notre vie : le partenaire
palestinien. En parcourant, pendant ces premiers jours de désengagement,
les chaînes de télévision étrangères, on aurait pu constater
un curieux phénomène : le ou la reporter de la BBC, de CNN ou
d’autres chaînes de télévisions, apparaissent, en sueur,
devant les jeunes gens s’agitant sur les toits, et de quoi
rend-il (ou elle) compte à travers l’écran de fumée et les
cris ? Des ramifications politiques, de la signification
politique et du contexte régional.
Dans
la Bande de Gaza, racontent-ils à leurs spectateurs, vivaient
1600 familles juives qui ont mis la main sur le tiers environ des
terres et le quart de l’eau de toute la Bande de Gaza, la région
du monde la plus peuplée. Et maintenant, à côté du retrait de
la Bande de Gaza, Israël autorisera-t-il aussi les liaisons aériennes
et maritimes des Gazaouis avec le monde extérieur ?
S’attend-on à une croissance économique ? Le Hamas
sortira-t-il affaibli ? L’Autorité Palestinienne renforcée ?
Que se passera-t-il ensuite en Cisjordanie ? Quel est le pas
suivant dans le projet de Sharon et comment réagiront les
Palestiniens ? Toutes ces questions et évaluations qui sont
posées à partir du contexte général du retrait, sont présentées
d’une manière tellement normale qu’on ne peut qu’être étonné
et navré de leur absence dans le regard porté par les médias
israéliens qui ont préféré se focaliser jusqu’à la nausée
sur les cris et les embrassades.
Les
seules questions palestiniennes qui parviennent à retenir l’intérêt
des médias israéliens touchent, presque toujours, aux
ramifications sécuritaires. Mohammed Dahlan rit lorsque,
interviewé par Ben Caspit pour Maariv (17 août), il se voit
interrogé sur la coordination avec les Israéliens. « Nous
posons des questions sur les points de passage et on nous dit
qu’on parlera de ça plus tard… Nous posons des questions sur
l’aéroport et on nous dit qu’on ne peut pas en parler parce
que ça irrite Sharon. Nous posons des questions sur le passage sécurisé
[entre Gaza et la Cisjordanie], alors on nous dit que ça
vient d’Oslo et qu’alors ça irrite vraiment très fort Sharon ».
Des
questions lourdes de conséquences pour notre avenir dans la région
et pour nos relations avec nos voisins palestiniens ne font
absolument pas l’objet de discussions. C’est ainsi qu’avec
des mots simples et une concision limpide, Dahlan parvient à
cerner l’échec de la conscience israélienne, lorsque Caspit
lui demande s’il peut apaiser les habitants de Netiv Ha’asara :
« Cela fait 37 ans que vous nous demandez de vous apaiser.
Comme si c’était nous les occupants et vous qui étiez sous
occupation. Hé ! c’est l’inverse ! Vous êtes gâtés.
Vous êtes concentrés sur les menus détails et ne voyez pas
l’image entière. »
Cette
façon d’ignorer le contexte et cette interdiction faite à
l’histoire palestinienne s’illustrent également dans le
rapport aux journalistes palestiniens. Alors que les grandes chaînes
de radio et télévision arabes comme Al-Arabiya et Al Jazira, ont
eu droit à un accueil dans le faste et que les représentants du
porte-parole de l’armée israélienne leur ont fourni toutes les
autorisations et toutes les commodités associées, leurs
homologues palestiniens n’ont pas reçu l’autorisation
d’entrer dans le Goush Katif pour rendre compte de toute cette
histoire, la plus grande histoire dans la région depuis des
dizaines d’années. Une fois encore s’est manifestée l’étroitesse
d’esprit des décideurs qui ont privé les Palestiniens d’une
occasion exceptionnelle de se faire une idée à la fois de la
douleur des colons et de la lutte réelle qui se déroule dans la
société en Israël. La Fédération Internationale des
Journalistes qui rassemble environ un demi million de journalistes
de 110 pays, s’est plainte de cette décision grotesque. Non
seulement les médias israéliens ne se sont pas plaints, eux, de
cette limitation de la liberté de mouvement imposée à leurs
collègues, mais ils n’en ont même pas parlé.
Mais
la faute des médias israéliens ne se réduit pas au fait de ne
pas avoir présenté le contexte général du retrait de la Bande
de Gaza. Les médias israéliens ont offert une narration
simpliste et unilatérale des événements sanglants des cinq
dernières années et de ceux qui en étaient responsables,
d’une manière qui a permis à l’establishment politique
actuel de forger la philosophie de l’unilatéralisme et de la
distiller avec succès dans l’opinion publique. Nous en paierons
tous le prix.
L’auteur
dirige Keshev, le « Centre pour la défense de la démocratie
en Israël »
[Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys]