http://www.ynetnews.com/articles/0,7340,L-3126150,00.html
Ynet, 12 août 2005
Trad. : Gérard pour La Paix Maintenant
Quand les historiens se pencheront sur l'été troublé de l'année
2005, "l'Eté du Désengagement", ils se trouveront face
à un fait troublant : la communauté ultra-orthodoxe, forte
d'environ 600.000 personnes, aura été à la pointe de la campagne
anti-désengagement. Malgré la présence dans la coalition Sharon
du parti ultra-orthodoxe (Degel Hatorah), l'opinion et les
leaders communautaires s'opposent avec force au désengagement.
Il ne fait aucun doute que la communauté ultra-orthodoxe dans son
ensemble s'est alignée sur les positions de ses cousins idéologiques
(les religieux nationalistes favorables aux colonies) pour mener
avec eux un combat de résistance au processus, puissant et sans
concessions.
Quels processus sont-ils à l'oeuvre derrière ce phénomène?
Quelles forces mystérieuses unissent le rabbin Obadia Yossef, une
colombe qui a soutenu les accords d'Oslo, le rabbin Yossef Elyashiv,
l'un des grands juges de la communauté ultra-orthodoxe, et le
rabbin Mordekhaï Eliyahou, le rabbin des colons?
Cet étonnant unanimisme n'est pas nécessairement l'expression
d'une croyance inébranlable en une Terre d'Israël indivisible.
Contrairement aux idéesreçues, la forte opposition au retrait des
communautés religieuses et ultra-orthodoxes ne se fonde pas sur les
écrits messianiques du rabbin Tzvi Yehouda Kook (2).
Les sondages effectués à Jérusalem et à Bnei Brak (3) indiquent,
de façon surprenante, qu'une partie importante de la communauté
ultra-orthodoxe est prête à rendre des territoires dans le cadre
d'un accord de paix. Concernant le débat sur les futures frontières
de l'Etat d'Israël, l'opinion y est segmentée de la même manière
que la population israélienne en général.
Les véritables forces à l'œuvre dans le changement d'attitude de
la communauté ultra-orthodoxe vis-à-vis du désengagement sont de
deux natures. L'une est à rapporter au débat public de façon générale,
l'autre tient au plan de désengagement.
L'Alliance des Victimes"
La première n'est pas nouvelle. Elle tient essentiellement à l'idée
que, dans un Israël tribal et en pleine confusion, on est considéré
comme étant de droite même si l'on ne pense pas que la Terre
d'Israël s'étend sur les deux rives du Jourdain.
Si l'on est religieux, de quelque manière que ce soit, et si l'on
appartient à une couche socio-économique défavorisée, on est de
droite. La classification de "droite" et de
"gauche" repose sur quatre facteurs : la couche socio-économique,
la religion, l'origine ethnique et l'affiliation politique, dans cet
ordre. A gauche, il y a les riches, les ashkénazes, les laïques et
les modérés ; à droite, les religieux, les orientaux, les pauvres
et ceux qui sont politiquement à droite.
Si vous appartenez à trois de ces quatre groupes qui caractérisent
la droite, il ne vous sera pas possible de participer à une
manifestation pour la paix.
Les conflits idéologiques entre experts ès sécurité de droite et
de gauche sur les avantages et les inconvénients du désengagement
passent loin au-dessus de la tête de l'individu ultra-orthodoxe de
base : il ne peut ni ne veut faire la distinction entre les
arguments tous aussi complexes, rationnels et sûrs d'eux-mêmes,
d'un Amos Giladi (représentant du ministère de la Défense) ou
d'un Effie Eitam (député du Parti national religieux).
Ainsi, instinctivement, les ultra-orthodoxes sont entraînés vers
le tribalisme : par exemple, si c'est Yossi Sarid (Meretz),
clairement anti-religieux, qui représente la volonté de paix, je
serai, moi, dans l'autre camp ; et si j'ai à choisir comme voisin
entre Uri Avnery (célèbre pacifiste) et Bentzi Lieberman (représentant
des colons), je choisirai d'habiter près de ce dernier, même si je
ne suis pas d'accord avec lui politiquement, car, au moins, il ne
menace ni ma foi ni ma manière de vivre.
Cette identification totale avec les colons est le résultat d'une
alliance entre minorités culturelles en Israël, l'"Alliance
des Victimes" (4). Dans la réalité israélienne
d'aujourd'hui, un Juif qui sent que sa foi, son foyer ou sa
conception du monde sont menacés, trouve une niche à droite et,
inconsciemment, commence à répéter les formules de Lieberman.
Sans même savoir si Atzmona est le nom d'une colonie ou celui d'une
guerre.
Ce qui se passe actuellement renforce le lien entre foi et terre. La
"rue" ultra-orthodoxe considère l'évacuation du Goush
Katif comme un pas supplémentaire dans le "désengagement"
du peuple vis-à-vis de son héritage. Le shabbat, le Talmud et la
Bible sont abandonnés. L'éducation juive est déconsidérée. Et
aujourd'hui, c'est la terre elle-même qui est désertée et des
Juifs qui sont déracinés de leurs maisons.
Prolégomène à une guerre des cultures
Au-delà de cette "alliance des victimes", il existe un
autre facteur, plus spécifique, qui explique mieux l'attitude
faucon adoptée par les ultra-orthodoxes. Ce facteur est
lié à l'actuelle crise sociale qui touche le camp
religieux-national. Les ultra-orthodoxes sont choqués par l'indifférence
des bourgeois israéliens face aux souffrances des colons.
Les règles qui cimentent une société doivent être respectées à
tout prix, et quand le monde de quelques-uns s'effondre, leurs frères
doivent leur tendre la main. Au lieu de quoi, une Tel-Aviv repue
exulte.
Cette incompréhension, teintée de mélancolie, est encore renforcée
lorsqu'on pense aux cibles : le consensus dit que c'est dans le
secteur national-religieux que grandissent les futures stars d'Israël
(5). Israël ne pourra pas se passer de ces jeunes gens dévoués
pour la prochaine guerre. Qui les remplacera? Ce ne seront pas ces
journalistes et ces députés qui seront prêts à renoncer aux
services des jeunes sionistes religieux. On peut ne pas aimer le
nationalisme extrême de ces jeunes gens, on peut être en désaccord
avec les priorités et les valeurs du mouvement sioniste
nationaliste. Mais, aujourd'hui, quel jeune est prêt à renoncer à
une nuit
confortable au nom d'un idéal?
Les ultra-orthodoxes observent la manière dont sont traités les
colons, et se demande ce qui leur arrivera le jour où le conflit
israélo-palestinien ne sera plus à l'ordre du jour, et où
s'ensuivra une bataille autour de l'identité juive. Dans ce scénario,
la minorité ultra-orthodoxe affrontera la nation tout entière.
Il semble que le conflit actuel ne fasse qu'annoncer un futur proche
: un face-à-face entre la minorité ultra-orthodoxe et le
gouvernement. Alors, on demandera aux Israéliens de décider des
poids relatifs du judaïsme et de la démocratie, et Bnei Brak et
Tel-Aviv s'affronteront. Dans ce cas de figure, les traces de
sympathie que le gouvernement arrive encore à adresser aux colons
auront disparu.
(1) Yossi Elituv est rédacteur en chef du magazine ultra-orthodoxe
"Lamishpakha" (littéralement : "pour la
famille")
(2) le rabbin Tzvi Yehouda Kook est considéré comme le père
spirituel du sionisme religieux nationaliste et a inspiré, par
exemple, le Goush Emounim qui a fondé les premières colonies en
Cisjordanie. Il considérait la création de l'Etat d'Israël (et la
conquête des territoires palestiniens en, 1967) comme un événement
d'ordre messianique.
(3) Bnei Brak (située entre Jérusalem et Tel-Aviv) est la deuxième
ville ultra-orthodoxe par sa population après Jérusalem.
(4) En novembre 2002 Hannah Kim faisait un constat approchant (sans
rapport avec les ultra-orthodoxes néanmoins) et parlait de la
"tragique alliance entre les colons et les pauvres" :
http://www.lapaixmaintenant.org/article256
(5) On ne sait pas bien d'où l'auteur tire ce "consensus"
(ndt qui s'excuse)
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