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L'accès à l'eau est d'abord une question de volonté politique Ancien professeur à la Faculté des Sciences de Tunis et ancien directeur de recherche associé au CNRS, Mohamed Larbi Bouguerra est l’auteur du livre « Les batailles de l’eau » (1)dans lequel il détaille l’immense enjeu que représente « l ’or bleu » pour le XXI e siècle et ouvre quelques pistes de réflexion. Ancien militant du Mrap,le spécialiste de l’eau, de retour du Forum Social Mondial de Porto Allegre, a accepté de répondre à nos questions. Différences :« En 2000,les Nations Unies se sont engagées à diminuer de moitié le nombre d’humains privés d ’eau potable d’ici à 2015. Cinq ans plus tard, où en est-on ?» Mohamed Larbi Bougerra : Je n’ai pas constaté personnellement d’avancée particulière. Rappelons d’abord la modicité des objectifs. Les sommes qui ont été prévues pour les atteindre correspondent à environ 1% du budget militaire des Etats-Unis. Le problème de l’eau dans le monde, c’est d’abord un problème de volonté politique. Différences :« De la part des pays du Nord ou des pays du Sud ?» L.B.: Les pays en voie de développement, où la question de l’eau est la plus sensible, n’en sortent pas d’une situation que l’on peut qualifier de dramatique. Les femmes passent une bonne partie de la journée à aller chercher l’eau au puits, nles petites filles ne vont donc pas à l’école, il y a les maladies hydriques qui font des ravages...Tout n ’est pas sombre cependant. Quelques Etats font des efforts certains comme l’Iran ou le Guatemala, souvent sous la pression populaire. En Iran, par exemple, il y aussi une réelle volonté politique. Le pays est riche en pétrole et le gouvernement veut montrer à son propre peuple qu’il est un Etat fort. Et un Etat fort et indépendant digne de ce nom doit d’abord être capable d’apporter l’eau aux gens, de créer des réseaux d’assainissement, etc.Différences :« Pensez-vous que l ’accès à l’eau potable pour tous en 2025 soit possible comme l’affirme l’ancien directeur de la Banque Mondiale, Michel Camdessus ? » L.B.: Oui, c’est un objectif réalisable. Là encore c’est un problème de volonté politique. On estime que pour organiser l’accès à l’eau potable dans le monde entier, il faudrait entre trente et cinquante milliards de dollars. Par exemple, le Pentagone dépense un milliard de dollars par jour ! L’argent bien sûr ne fait pas tout. Pour que cela marche, il faut que les populations s’impliquent et fassent entendre leur voix. Sinon on s’achemine vers des solutions d’ingénieurs, de techniciens qui ne prennent pas en compte les cultures et les modes de vie. J ’ai lu le livre de Michel Camdessus (2)qui est très réaliste mais dans lequel il y a des non-dits qui révèlent un certain parti pris. Et puis M.Camdessus est pour la vérité des prix en agriculture qui fait payer entièrement le coût des installations par les utilisateurs. Et là je ne suis pas d ’accord.Différences :« Dans certains pays du tiers-monde comme l ’Afrique du Sud, des collectifs de citoyens refusent de payer l’eau. Etes-vous pour la gratuité de ce service ?» L.B.: Absolument pas. Cela dévalorise ce produit à nul autre pareil et pousse à la consommation. De plus, il faut bien payer les installations et le coût de l’eau, même symbolique, reste un garde-fou contre le gaspillage. En Tunisie, par exemple, les gens payent ce qu’ils consomment. Ceux qui ont une piscine doivent donc débourser beaucoup. En fait, il faut recourir à une gestion écologique de l’eau, dans un esprit de développement durable. L’Afrique du Sud est un pays pionnier car le pays a inscrit dans sa constitution la livraison par l’Etat d’un minimum de 40 litres d’eau par jour et par personne. Le problème, c’est que l’Etat sud-africain n’a pas les moyens financiers d ’appliquer cette décision.Différences : « Ce qui pose la question de l’aide internationale, notamment en provenance des pays riches.» L.B.: Tout à fait. Des aides doivent être apportées par les gouvernements des pays les plus riches pour les plus pauvres. Pourquoi ne pas mettre en place un programme d’aide comme ce qui a été fait pour le sida ? Le problème de l’eau n’est pas moins crucial en Afrique. Cela pose aussi la question de la dette des pays en voie de développement.Différences :« La privatisation à tout prix prônée par le FMI et la Banque Mondiale a eu des effets désastreux dans beaucoup de pays. Pensez-vous que la privatisation est plus un danger qu ’une solution ?» L.B.: Il y a des compétences dans le public comme dans le privé. Encore faut-il que les choses soient faites dans un cadre éthique et de transparence, en luttant contre la corruption. Il faut éviter les mots d ’ordre simplistes comme « non aux privatisations !». Il faut laisser les gens s’exprimer car la gestion de l’eau ne peut se faire qu’au niveau local dans un premier temps puis au niveau régional, national et enfin international. Par exemple à Paris nous utilisons l ’eau de la Seine, nous la gérons localement. Mais nous ne sommes pas les seuls à utiliser cette eau, il faut donc travailler avec les autres régions pour une meilleure gestion.Différences :« On assiste depuis quelques semaines à un réchauffement des relations entre Palestiniens et Israéliens. Dans ce contexte, la question de l’eau est-elle susceptible de diviser plus encore ou d’inciter les deux parties à un rapprochement ?» L.B.: Je rappellerais d ’abord que la question de l’eau est au cœur du conflit israélo-palestinien. L ’eau des Palestiniens est sous le contrôle des Israéliens et avant d’engager la moindre construction hydraulique, les Palestiniens doivent demander l ’autorisation de Tsahal, qui en général refuse. Dans les territoires occupés, les colons israéliens peuvent par contre installer des pompes à forte capacité qui assèchent le puits du village. De plus, l’entreprise israélienne qui gère l’eau dans les territoires occupés et qui en a le monopole, vend plus cher aux Palestiniens qu’aux Israéliens. Quand l’armée entre dans un village, il n ’est pas rare de voir les soldats mitrailler les installations d’eau. Le précieux liquide est utilisé ici comme une arme de guerre. Les Palestiniens ont besoin d’eau essentiellement pour l’agriculture, donc pour se nourrir, tandis que les Israéliens l’utilisent beaucoup pour nettoyer leur voiture ou remplir leur piscine. La majeure partie des accords d’Oslo est dévolue à la question de l’eau. Malgré les checkpoints et les attentats, la coopération sur l’eau entre les deux parties n’a jamais cessé. Cela n’est pas spécifique au Proche Orient. L’Inde et le Pakistan, par exemple, n’ont jamais remis en cause le partage des eaux de l’Indus. Sans cette eau, le Pakistan serait un désert. Mais les populations continuent de souffrir. En fait, je suis assez pessimiste sur la situation israélo-palestinienne. En mai dernier, l’Etat hébreu a proposé aux Palestiniens de construire une usine de dessalement financé par les Américains à la condition qu’ils acceptent d’abandonner leurs revendications sur l ’aquifère de Cisjordanie qui représente la source d ’eau la plus importante de la région. Un marché que les Palestiniens ne peuvent pas accepter.Propos recueillis par Laurent-Frédéric Cousin (1)– Mohamed Larbi
Bougerra, Les batailles de l’eau, pour un bien commun de l ’humanité,
éditions Charles Léopold Mayer,2003. (2)– Michel Camdessus, Bertrand
Badré, Yvan Chéret, Pierre-Frédéric Ténière-Buchot, Eau, éditions
Robert Laffont,2004.
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