AFPS Nord Pas-de-Calais CSPP |
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Se souvenir de quoi ? Se
souvenir comment ?
Le temps est venu que la mémoire de l’Holocauste
ne soit plus une propriété exclusivement juive mais appartienne à
toute l’Humanité.
C’était une cérémonie impressionnante : le Secrétaire général de l’ONU, des présidents, des ministres, des Premiers ministres et des notables de 40 pays rassemblés à Jérusalem pour inaugurer le nouveau musée de l’Holocauste de Yad Vashem - quelques mois seulement après la réunion des puissants de la terre pour la commémoration de la libération d’Auschwitz. Depuis les paroles bien choisies - comme d’habitude - de Joschka Fisher, le ministre allemand des Affaires étrangères, jusqu’au visage torturé - comme d’habitude - d’Elie Wiesel, le professionnel de l’Holocauste, c’était une commémoration parfaite du crime historique. Mais cette cérémonie a aussi été une grande victoire pour la diplomatie israélienne. Les chefs de notre ministère des Affaires étrangères se sont félicités de ce succès politique. Les hôtes étrangers ont rencontré les dirigeants israéliens, donnant ainsi ouvertement un soutien indirect mais clair à la politique d’Ariel Sharon. En même temps, elle soulignait l’ambiguïté de la commémoration de l’Holocauste précisément à ce moment-là. Un des nazis de premier plan détenus à Nuremberg, lorsqu’il apprit la mesure réelle de l’Holocauste, s’est exclamé : « On ne l’oubliera pas pendant mille ans ! » Il avait raison. L’Holocauste a été véritablement un crime unique dans l’histoire. Il est difficile pour les étrangers de comprendre que, pour nous en Israël, la Shoah n’est pas seulement une chose du passé. Elle fait partie du présent. Un exemple : à l’époque de l’ouverture du musée, je revenais d’Europe. Dans l’avion, j’ai discuté avec un professeur israélien que je ne connaissais pas et il m’a parlé des différentes périodes de sa vie. J’ai remarqué qu’il passait rapidement sur plusieurs années de son enfance. Quand je le lui ai fait remarquer, il m’a dit qu’il avait été à Theresienstadt. Il n’est pas entré dans les détails, alors je ne lui ai pas demandé ce qui était arrivé à sa famille. A partir du camp de concentration de Theresienstadt, la plupart des prisonniers étaient envoyés dans les camps de la mort. Ma tante s’y est suicidée, son mari a été envoyé de là à Auschwitz et on n’en a plus jamais entendu parler. Je me souviens du rire de cet oncle quand mon père a décidé de fuir l’Allemagne en 1933. « Que peut-il nous arriver ici ? » a-t-il demandé, « après tout, l’Allemagne est un pays civilisé ! ». L’impact de l’Holocauste ne se limite pas à la génération des survivants. Un jour, une jeune écrivaine m’a dit que ses deux parents avaient été un certain temps détenus dans les camps de la mort. « Je ne le savais pas », m’a-t-elle dit, « ils ne m’en ont jamais parlé. Mais quand j’étais enfant, je savais qu’il y avait un terrible secret dans notre famille, un secret si terrible qu’il était interdit d’en parler. Mon univers enfantin en a été rempli d’effroi. Même maintenant, je suis encore anxieuse et inquiète. » Presque tous les jours, nous entendons des histoires qui ont un rapport avec la Shoah. On ne peut pas y échapper. On ne devrait pas non plus essayer d’y échapper. Oublier l’Holocauste est une sorte de trahison envers les victimes. La question est : COMMENT se souvenir ? DE QUOI se souvenir ? Après la deuxième guerre mondiale, la Shoah est devenue le centre de la conscience juive. Yeshayahu Leibovitz, le philosophe pratiquant juif orthodoxe, m’a dit un jour : « La religion juive est morte il y a 200 ans. Dorénavant, il n’y plus rien d’autre que l’Holocauste qui unisse les Juifs du monde ». C’est normal, car chaque Juif sait que, s’il était tombé aux mains des nazis, sa vie se serait probablement terminée dans une chambre à gaz. Nous, en Palestine à l’époque, l’avons ressenti quand l’Afrika Corps allemand dirigé par Erwin Rommel s’est approché des portes de notre pays. Il n’y a pas eu besoin d’un conclave des Sages de Sion pour faire de l’Holocauste un instrument central de la lutte pour la création d’Israël. Cela allait de soi. Les sionistes avaient dit dès le début que, dans le monde moderne, les Juifs ne peuvent exister sans avoir un Etat à eux. La Shoah a donné une force irrésistible à cet argument. C’est pourquoi les Juifs de l’Etat d’Israël - qui a été créé dans la guerre et qui a dû combattre pour vivre - ont éprouvé un besoin ardent de totale sécurité. Et c’est ainsi que nous sommes devenus une puissance militaire. Il est impossible de comprendre à la fois ce qui est bien et ce qui est mal en Israël sans prendre en compte l’impact de la Shoah sur notre conscience nationale et personnelle. C’est l’intellectuel palestinien Edward Saïd, aujourd’hui disparu, et personne d’autre, qui l’a dit à ses compatriotes. Le rôle central de l’Holocauste dans la conscience juive a conduit les Juifs à insister sur son caractère absolument unique. Nous sommes choqués et furieux quand quelqu’un essaie de nous rappeler que les nazis ont exterminé également d’autres communautés, comme les Roms, les homosexuels et les malades mentaux. Nous sommes très en colère quand quelqu’un se met à comparer « notre » Holocauste avec d’autres génocides : Arméniens, Cambodgiens, Tutsis au Rwanda, et autres. Vraiment ! Comment peut-on comparer ? L’Holocauste a été réellement unique sous de nombreux aspects. Rien ne peut se comparer avec l’extermination organisée de tout un peuple par des moyens industriels, avec la participation de tous les organes d’un Etat moderne. Il se peut que Staline n’ait pas tué moins, et peut-être même qu’il ait tué plus d’êtres humains qu’Hitler, mais ses victimes venaient de tous les peuples et classes de l’Union soviétique et elles n’étaient pas soumises à un processus d’extermination industrialisé. Mais le concept de caractère unique de l’Holocauste peut conduire à des perversions redoutables. Beaucoup d’entre nous prétendent qu’aucune limite morale ne peut nous être imposée, parce que, « après tout ce qu’il nous ont fait », personne ne peut nous donner de leçons sur ce qui est permis et ce qui ne l’est pas. « Après la Shoah », nous avons le droit de tout faire pour sauver des vies juives, même par des moyens ignobles. Nous avons le droit d’utiliser la mémoire de l’Holocauste comme instrument de notre politique étrangère, puisque Israël est « l’Etat des survivants de l’Holocauste ». Nous avons le droit d’ignorer toutes les critiques sur notre conduite puisqu’il va de soi que toute critique est antisémite. Nous avons le droit de gonfler tout incident insignifiant, tel que le dessin d’une swastika sur une tombe juive, pour prouver que « l’antisémitisme est en plein essor » dans le monde et pour déclencher l’alarme. Je dois dire qu’aujourd’hui, 60 ans après la fin
de l’Holocauste, il est temps de sortir de tout cela. Le temps est
venu que la mémoire de l’Holocauste ne soit plus une propriété
exclusivement juive mais appartienne à toute l’Humanité. Le deuil,
la colère et la honte doivent devenir un message universel contre
toutes les formes de génocide. La lutte contre l’antisémitisme
doit devenir une partie du combat contre toutes les sortes de racisme,
qu’il soit dirigé contre les musulmans en Europe ou les Noirs en Amérique,
les Kurdes en Turquie ou les Palestiniens en Israël, ou les
travailleurs étrangers partout. La longue histoire des Juifs victimes
de persécutions meurtrières ne doit pas nous conduire à nous
enfermer dans un culte d’apitoiement sur nous-mêmes mais devrait
nous inciter à prendre la tête d’une lutte mondiale contre le
racisme, les préjugés et les stéréotypes, qui commencent avec
l’incitation par d’infâmes démagogues et se terminent en génocide.
Un tel peuple serait vraiment « une lumière sur les nations ».
Article publié en hébreu et en anglais sur le site de Gush Shalom le
19 mars 2005 - Traduit de l’anglais « Remember What ?
Remember How ? » : RM/SW
Source : France Palestine |
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Ce texte n'engage que son auteur et ne correspond pas obligatoirement à notre ligne politique. L'AFPS 59/62, parfois en désaccord avec certains d'entre eux, trouve, néanmoins, utile de les présenter pour permettre à chacun d'élaborer son propre point de vue." |
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