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Wagner au Mémorial
Les valeurs de l’Allemagne impériale et de
Wagner, qui est mort 13 ans avant qu’Herzl écrive « L’Etat
juif », ont-elles contaminé le caractère de l’Etat d’Israël
qui a été fondé 50 ans après qu’Herzl eut écrit ce livre ?
Que faire « le Jour d’Herzl », anniversaire de la naissance du fondateur du mouvement sioniste, célébré officiellement pour la première fois cette semaine ? Comment honorer la mémoire de cet homme étrange qui a encore un si énorme impact sur nos vies ? Ce jour-là, je me trouvais à Berlin. J’ai jeté un coup d’œil sur ce qu’il y avait à voir dans la ville et j’ai découvert la solution : le Staatsoper, l’Opéra national, donnait le Tannhäuser de Wagner. Quelle relation peut-il y avoir entre Wagner, le compositeur antisémite dont les œuvres n’ont jamais été jouées en Israël jusqu’à ce jour, et l’homme qui est officiellement défini comme « le prophète de l’Etat » ? Dans son autobiographie, Theodor Herzl raconte qu’il a écrit « L’Etat juif », le livre qui a changé l’histoire juive (et arabe), sous l’influence de cet opéra. Comme il le dit, alors qu’il écrivait le livre à Paris, il est allé écouter cet opéra tous les soirs. Si celui-ci ne se jouait pas, Herzl était incapable d’écrire le lendemain. L’opéra lui faisait l’effet, semble-t-il, d’une drogue. Pendant quatre heures, assis parmi les spectateurs allemands - certains vêtus de costumes et de robes du soir, d’autres en vêtements de ville - je me suis concentré sur la musique et sur les paroles (toutes deux écrites par Wagner, bien sûr) et j’ai essayé de comprendre ce qui exactement avait pu avoir un tel impact sur Herzl et comment cela avait pu influencer la révolution mise en mouvement par lui. L’histoire est basée sur plusieurs légendes médiévales allemandes. Tannhäuser lui-même était une personnage historique : un poète populaire qui avait rejoint la Terre Sainte avec la cinquième Croisade (1228) et qui, après son retour en Allemagne, avait participé au concours de chant qui est le centre de l’intrigue. Dans l’opéra, il est écartelé entre Vénus et Jésus, entre l’amour terrestre et sa foi chrétienne. L’opéra est très éloigné des motifs païens germaniques de certaines des autres œuvres de Wagner et il est imprégné d’un profond sentiment chrétien. Alors, qu’est-ce qui attirait tant Herzl ? Le lyrisme pathétique de la musique ? Les confrontations dramatiques ? Le mysticisme allemand qui imprègne toute l’œuvre ? Herzl était un grand admirateur de l’Allemagne impériale. Il était fasciné par l’ordre allemand, par l’armée allemande, par le régime allemand. Il faut se souvenir qu’il s’agissait du second Reich allemand, autoritaire, assoiffé de pouvoir, colonialiste, qui était, à cette époque, en train de commettre le génocide dans le territoire connu aujourd’hui sous le nom de Namibie. Sa classe dirigeante était pétrie d’antisémitisme (un terme inventé dans l’Allemagne de l’époque). L’empereur Guillaume lui-même, rencontrant Herzl aux portes de Jérusalem, s’était exclamé : « Le sionisme est une grande idée, mais vous ne pouvez pas la réaliser avec les Juifs. » Le psychologue Gustave Le Bon a un jour remarqué que la réalisation de toute vision historique arrive trois générations trop tard. Le visionnaire a été influencé par ses maîtres qui appartiennent à la génération d’avant, et les gens qui réalisent cette vision appartiennent à la génération d’après. Pendant ce temps, les circonstances qui ont donné naissance à l’idée visionnaire ont complètement changé. Quand l’idée devient enfin réalité, elle est déjà obsolète. Ceci est-il arrivé à Herzl ? Les valeurs de l’Allemagne impériale et de Wagner, qui est mort 13 ans avant qu’Herzl écrive « L’Etat juif », ont-elles contaminé le caractère de l’Etat d’Israël qui a été fondé 50 ans après qu’Herzl eut écrit ce livre ? Ce matin-là, j’étais allé voir le nouveau Mémorial de l’Holocauste (le terme allemand, Mahnmal, comporte l’idée d’un avertissement aux générations futures) situé dans le centre de Berlin. J’en avais beaucoup entendu parler, en bien et en mal, et je voulais me rendre compte par moi-même. Il y a quelque chose d’ahurissant dans le fait même que cet énorme site ait été installé au cœur de la capitale, près des symboles de l’Allemagne impériale : la Porte de Brandebourg et le bâtiment du Reichstag. Quelques jours après son ouverture officielle, il fait déjà partie de la vie de la cité. Des masses de gens sont attirés par lui, marchent autour de l’édifice labyrinthique, entre les milliers de gros pavés de béton gris de différentes hauteurs, dans les passages étroits au sol raboteux. J’ai vu de nombreux visiteurs plongés dans la méditation, conscients de la signification du site. D’autres semblaient être venus par simple curiosité, se prenant en photo ; ici et là un couple s’embrassait dans un coin à l’écart. Sur un des blocs, des fleurs blanches étaient posées, sur un autre, de jeunes visiteurs avaient mis leur sac à dos. Des enfants sautaient d’un bloc à l’autre ou jouaient à cache-cache. Des personnes seules et des familles entières faisaient la queue depuis une heure, attendant patiemment d’entrer dans le centre d’information situé au-dessous du monument. C’est un site modeste, fonctionnel et écrasant. Cinq grandes salles. Dans la première, la montée et les crimes des nazis, en peu de mots, secs, accompagnés de photos. J’étais rassuré de noter que la description n’omet pas les meurtres de masse commis par les nazis contre des non-Juifs - Roms et Tsiganes, malades mentaux, homosexuels, « sous-hommes » slaves, prisonniers de guerre et opposants allemands au régime. Dans une autre salle, des clips filmés sur les communautés juives en Europe passent en boucle, montrant le sort de chaque communauté dans l’Holocauste. Dans une autre salle, le nom de chaque victime et le sort qu’elle a subi sont affichés et récités ; noter que lire la liste entière prendra des semaines et des mois. Dans une autre salle encore, on peut utiliser des ordinateurs pour rechercher ses parents décédés (j’ai ainsi trouvé ma tante). Mais la salle la plus émouvante et la plus déprimante est celle qui montre des familles identifiées. Familles de différents pays et de différentes classes sociales - photos de famille du début du siècle dernier : des réunions de famille, des mariages, des groupes de travailleurs, des enfants en costumes de fête, grand-père et grand’mère au milieu, tous regardant solennellement l’appareil photo - et après cela, une description détaillée de ce qui est arrivé à chacun des membres de la famille sur la photo - qui assassiné, qui disparu sans laisser de trace, qui ayant réussi à émigrer en Palestine ou en Australie. Si intime, si personnel, si engageant à la comparaison : celui-ci a mon âge, celui-là l’âge de mon père ou de ma mère, celui-là encore aurait pu être mon fils ou ma fille. Si on m’avait demandé mon avis, j’aurais consacré une salle spéciale à des gros plans de visages d’Allemands - soldats, policiers, citoyens ordinaires - qui sont facilement reconnaissables sur les photos de l’anéantissement dans toutes ses phases : en train de crier, de maltraiter, de rire, de faire leur travail, qui finalement va devenir un meurtre. Dans les salles, silence total. Même les enfants sont tranquilles. J’ai regardé le visage des Allemands quand ils sortaient des salles souterraines. Ils paraissaient secoués, parlant en murmurant. Certains ont exprimé leurs sentiments dans le livre d’or : « choquant », « impossible à concevoir », « comment cela a-t-il pu arriver ? », « nous devons tout faire pour que cela ne se reproduise jamais ». J’ai écrit quelques mots d’appréciation pour l’auteur de l’initiative, la journaliste de télévision Lea Rosh, qui a dû remuer ciel et terre pour réaliser son projet. Ces images étaient encore devant mes yeux quand je suis entré, quelques heures plus tard, dans l’impressionnant bâtiment du Staatsoper sur le boulevard Unter den Linden. Jusqu’à quel point Wagner était-il coupable ? Dans quelle mesure a-t-il influencé non seulement Herzl mais aussi l’esprit tordu d’Adolf Hitler, Viennois comme lui, qui s’est suicidé dans son bunker, à quelques mètres de l’emplacement du Mémorial ? (Le film sur ses derniers jours est maintenant projeté aussi en Israël.) Quand je suis rentré à la maison, j’ai entendu dire qu’un conflit avait éclaté entre une initiative privée d’organiser un voyage de jeunes Israéliens à Auschwitz et le ministère de l’Education. Le ministre veut garder le monopole de l’organisation de ces voyages, qui servent à endoctriner des jeunes avec un nationalisme haineux, dans l’esprit du chant « Tout le monde est contre nous. » Pour équilibrer et compléter le tableau, je voudrais aussi montrer à ces jeunes gens le Mémorial de Berlin.
Publié le 21 mai 2005, en hébreu et en anglais, sur le site de Gush
Shalom - Traduit de l’anglais « Wagner at the Memorial » :
RM/SW
Source : AFPS |
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Ce texte n'engage que son auteur et ne correspond pas obligatoirement à notre ligne politique. L'AFPS 59/62, parfois en désaccord avec certains d'entre eux, trouve, néanmoins, utile de les présenter pour permettre à chacun d'élaborer son propre point de vue." |
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