AFPS Nord Pas-de-Calais CSPP |
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La question de l’eau en
Palestine-Israël
Dès le début du 20ème siècle, la question de
l’eau se pose de manière cruciale dans cette région du monde.
Au lendemain de la déclaration Balfour du 2 novembre 1917 qui promet
aux juifs l’établissement d’un foyer national juif en Palestine, le
président de l’organisation Sioniste Mondiale, Chaïm Weizmann, écrit
une lettre au Premier ministre britannique, en 1919, lui demandant d’étendre
la frontière nord de la Palestine de manière à englober toutes les
sources d’eau, prenant ainsi en compte, au-delà des considérations
religieuses ou historiques, les considérations hydrauliques. "
Tout l’avenir économique de la Palestine dépend de son
approvisionnement en eau pour l’irrigation et pour la production d’électricité ;
et l’alimentation en eau doit essentiellement provenir des pentes du
Mont Hermon, des sources du Jourdain et du fleuve Litani (au Liban) ?
Nous considérons qu’il est essentiel que la frontière nord de la
Palestine englobe la vallée du Litani sur une distance de près de 25
miles (40,2 km environ) en amont du coude, ainsi que les flancs ouest et
sud du Mont Hermon ? " Les frontières proposées englobent
non seulement tout Israël, mais aussi Gaza, la Cisjordanie, les
hauteurs du Golan, des portions du Liban, de la Syrie et de la Jordanie.
C’est aussi dans ce contexte qu’un hydrologue grand précurseur du développement hydraulique des Etats-Unis, Elwood Mead sera invité par les sionistes à venir en Palestine, ce qu’il fera en 1923 et en 1927 " Lors de ses deux voyages il ne visitera que des colonies juives et fera une sorte d’Etat des lieux de la situation de l’eau et des projets futurs à prévoir par les sionistes. Il fait notamment une critique pertinente sur la manière dont les juifs venus d’Europe utilisent l’eau en ne tenant pas vraiment compte des réalités du terrain, mais se gardera de les rendre publiques. En fait, il sera assez visionnaire puisqu’une des raisons des manques d’eau aujourd’hui en Israël tient à la manière de consommer celle-ci. Elwood Mead donnera des indications notamment pour irriguer le Néguev, aride, en prélevant de l’eau du Jourdain pour alimenter cette partie de la Palestine. Ces propositions de travaux seront confirmées par le Plan Hayes, du nom d’un ingénieur américain qui préconisera " l’irrigation des terres de la vallée du Jourdain, la dérivation des eaux du Jourdain et du Yarmouk pour la création d’énergie hydroélectrique, le détournement des eaux du nord de la Palestine vers le désert du Néguev au sud et l’utilisation de l’eau du Litani au Liban. En fait, on sait aujourd’hui par les recherches effectuées par les Nouveaux Historiens israéliens, que l’acceptation du plan de partage n’était qu’une première étape, mais que les sionistes comptaient aller au-delà notamment pour s’accaparer les ressources en eau mais aussi les terres les plus riches. Dès 1953 Israël va mettre en application notamment les directives du plan Hayes et commencer à détourner l’eau du Jourdain, ce qui sera critiqué par les Nations Unies suite à des plaintes notamment de la Syrie. Car pour les Jordaniens et les Syriens les conséquences sont aussi importantes pour leur pays et leur utilisation. C’est ainsi que le président des Etats-Unis Eisenhower décide d’envoyer un envoyé spécial Eric Johnston pour proposer un plan de répartition des ressources hydrauliques. Les négociations vont avoir lieu en 1954 et 1955, jusqu’en octobre 1955 date de son dernier voyage, et où il fait une proposition finale, qui sera en réalité la plus favorable à Israël, sa part augmentant et celle de la Jordanie diminuant. Les Etats arabes et Israël vont formellement accepter ce plan mais le rejetteront politiquement. En réalité il y avait aussi un problème car il ne tenait pas compte des ressources des nappes souterraines. Israël va donc poursuivre ses projets dont la première phase sera achevée en 1964, ce qui poussera les Etats arabes à adopter un plan de construction de deux réservoirs artificiels sur le Yarmouk, principal affluent du Jourdain, ainsi que le détournement de la rivière Banias vers la Syrie et la Jordanie. Israël va accuser les Etats arabes de l’agresser et ne cessera de bombarder les travaux tout au long de cette période jusqu’en 1967. La Guerre des Six Jours, qui eut lieu du 5 au 10 Juin 1967, fut en réalité la guerre pour l’eau. Cette guerre va permettre à Israël d’étendre son emprise territoriale et d’achever la mise en ?uvre de ses plans hydrauliques. Elle accapare le désert du Sinaï, non pour les ressources mais pour forcer l’Egypte à la laisser passer par le Canal de Suez, ce qui donnera lieu à l’accord de paix dit les accords de Camp David et qui permettront en 1982 à Israël de rendre le Sinaï. Israël occupe toute la Cisjordanie, Gaza et les hauteurs du Golan, lui donnant accès ainsi par son occupation aux ressources en eau. En 1978 elle occupera le sud Liban pour achever en quelque sorte cet approvisionnement, avec notamment l’usage et le détournement d’une partie du fleuve Litani par un système de pompage, sud Liban qu’elle ne libérera qu’en 2000, suite à une résistance acharnée du Hezbollah installé dans cette région. La Guerre des Six Jours sera suivie d’une politique de colonisation c’est-à-dire d’implantations de juifs dans ces territoires conquis par la force, cette colonisation permettant de contrôler directement sur le terrain le niveau d’utilisation de l’eau par les populations locales (en effet dès cette date Israël impose des interdictions notamment pour l’agriculture, le forage de puits etc.), mais également de développer la politique du fait accompli, c’est-à-dire faire en sorte que rendre ces territoires devienne impossible par la présence de villes entières juives. Le Golan sera même illégalement annexé et la majorité de sa population expulsée afin de diminuer la consommation locale (100 000 personnes), et va permettre à Israël de contrôler en amont du Jourdain les ressources hydrauliques vitales. Le contrôle du bassin du Jourdain est important car le Jourdain possède des eaux de surface et des eaux souterraines. Le Jourdain prend sa source sur les pentes du Mont Hermon, les eaux des trois principales rivières qui alimentent le haut Jourdain se réunissant dans le lac Huleh : il y a la Rivière Dan, plus large affluent du Jourdain, dont le débit s’élève à 245 millions de mètres cubes par an, soit environ 50% du débit du haut Jourdain. Ensuite il y a le Hasbani qui a un débit de 138 millions de mètres cubes par an. Ces eaux traversent 50 km avant d’entrer en territoire israélien. Enfin le Banias, qui a un débit de 121 millions de mètres cubes par an. Mais le débit total du Jourdain varie de 1200 à 1800 millions de mètres cubes par an, soit 2% du débit annuel du Nil soit très peu. Les eaux souterraines ont été surexploitées. Depuis l’occupation en Cisjordanie et à Gaza, 70 à 80% des villes et villages palestiniens ne reçoivent que quelques heures d’eau par semaine, obligeant la population à faire des réserves dans des bidons soit dans des conditions d’hygiène hasardeuses. Tandis que les postes militaires israéliens et les colonies sont alimentées 24 heures sur 24. Ces populations vivent comme si elles étaient dans un pays européen, alors que la population palestinienne a toujours géré son eau en connaissant l’aridité de la région. De plus le développement agricole israélien se fait aussi en contradiction avec les ressources en eau disponibles. Les Palestiniens n’ont pas le doit de forer des puits, alors que les colons le peuvent et sur de grandes profondeurs (300 à 500 mètres). Dans la bande de Gaza la situation est encore plus catastrophique puisque les nappes phréatiques sont pompées pour alimenter les colonies (soit 6000 habitants) ce qui laisse 1200 000 h. avec de l’eau devenue saumâtre par l’arrivée de l’eau de mer dans les nappes phréatiques. De nouvelles maladies font leur apparition notamment des cas de plus en plus fréquents chez les Palestiniens d’hépatites, ce qui n’était pas le cas auparavant. Au niveau international les normes n’avaient jamais vraiment été établies pour trouver des solutions aux conflits relatifs à l’utilisation de l’eau. Mais de 1992 à mai 1997 différentes commissions ont travaillé sur des mesures à prendre et cela a donné l’adoption par les Nations Unies le 14 mai 1997 d’une " Convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau à des fins autres que la navigation " A/51/869. Cette convention reconnaît la nécessité de procéder à des ajustements qui permettent de préserver l’égalité des droits de tous les Etats riverains, et à ne pas causer de dommages significatifs sur les ressources naturelles. C’est dans ce cadre juridique naissant, et à la faveur des accords survenus au lendemain de la signature des accords de paix dits accords d’Oslo et signés en 1993, que de nombreuses réunions vont avoir lieu entre Israël et ses voisins. Le 26 octobre 1994 Israël et la Jordanie signent un traité de paix qui comporte un volet sur l’utilisation de l’eau et leur partage. Mais, malgré le fait que la Jordanie a dans un premier temps pensé avoir fait valoir ses droits, il s’avère qu’elle a été désavantagée, et notamment elle est contrainte de prélever ses ressources sur le Yarmouk en été et Israël en hiver. Or l’été, en raison du réchauffement et du manque de pluies ces dernières années, elle a été dans l’obligation d’acheter de l’eau à Israël jusqu’en l’an 2000 où une crise est apparue car Israël lui a vendu pour de l’eau potable de l’eau impropre à la consommation, ce qui a impliqué une épidémie de maladies. Mais cela a été vu comme une étape dans un processus de paix qui devait devenir plus global. En ce qui concerne les discussions entre Israéliens et Palestiniens, en vertu des accords d’Oslo cette question était renvoyée à d’autres négociations qui n’aboutiront pas en raison de l’échec du processus de paix et donc de l’arrivée de la deuxième Intifada en septembre 2000. Le développement des colonies est à lui seul contraire à toute solution négociée (les colons consomment sept fois plus d’eau que les Palestiniens) car ce développement implique une croissance du nombre de colons et donc de leurs besoins en eau en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Israël se trouve elle aussi dans une période difficile pour l’eau, puisque sa consommation grandissante et à l’européenne la pousse à puiser de plus en plus dans les nappes phréatiques et par conséquent à mettre en péril ses propres ressources, ce qui la pousse encore plus à ne pas vouloir conclure d’accord dans le cadre international de la Convention de 1997, qui l’obligerait à prendre des mesures, y compris d’éducation, quant à la manière dont les Israéliens utilisent ces ressources en eau. Elle doit notamment lutter contre le gaspillage, mais aussi réorienter ses besoins, car elle emploie déjà 70% de son eau à l’agriculture, pour le développement d’une agriculture d’exportation qui a laissé de côté l’agriculture traditionnelle qui existait avant son existence. L’utilisation de l’eau est, d’après les derniers chiffres relevés par les associations hydrauliques, de 260 mètres cubes par an pour les Palestiniens, et de 1760 mètres cubes par an pour les Israéliens. En Palestine l’usage est de 80m3 par personne par an, soit trois fois moins que pour les Israéliens. En ce qui concerne les négociations entre la Syrie et Israël, elles ont bien eu lieu et les Syriens étaient prêts à céder une grande partie du Golan sous réserve qu’ils aient un accès sécurisé à l’eau, mais malgré les progrès auxquels étaient arrivés les négociateurs des deux côtés, Ehud Barak a tout annulé du jour au lendemain, reportant la réussite d’un accord juste et définitif aux calendes grecques. Depuis la deuxième Intifada, la situation s’est encore dégradée puisque l’armée israélienne et les colons attaquent de manière presque systématique les puits, empêchent les Palestiniens d’accéder à l’eau et à terme essaient de les pousser à partir. De ce fait le coût de l’achat de tanks d’eau à considérablement augmenté passant de 2,5 $ par mètre cube à 7,5 $. Les hélicoptères israéliens bombardent les tanks sur les toits des maisons ainsi que les puits importants comme ce fut le cas cette année à Rafah, dans la bande de Gaza. Comme vous le voyez, le cas de cette région du monde est un symbole fort pour le monde entier puisque la question de l’eau est un des enjeux majeurs pour le siècle à venir. Dans le cas de Palestine/Israël toute négociation de paix est tributaire de l’établissement d’un accord juste et équitable, conforme à la Convention du 14 mai 1997 et ce ne peut être que dans un cadre global (avec la Syrie, le Liban et la Jordanie) que la paix pourra se construire entre Israéliens et Palestiniens. Les derniers évènements nous poussent au pessimisme, tant les destructions opérées par l’armée israélienne risquent de rendre toute solution tardive et coûteuse. En effet, toutes les infrastructures administratives de l’Etat palestinien naissant, financées par la Communauté européenne principalement, ont été détruites et pour le moment Israël, soutenu par les Etats-Unis refuse d’en endosser le prix à payer soit des milliards d’euros. Sources : L’eau du Bassin du Jourdain, Maghfour El Hassane, in REP n*18, hiver 1999. Questions sur les Palestiniens, Jocelyne Grange, Guillemette de Véricourt, Les essentiels Milan, Janvier 2002. An American in Palestine : Elwood Mead and Zionist water resource planning, 1923-1936, in Arab Studies Quarterly, Winter 2000, Volume 22. Le pillage de l’eau dans les territoires occupés, Jeffrey D. Dillman, in REP n*35, printemps 1990. La question de l’eau au Moyen-Orient. Discours et réalités. Monde arabe. Maghreb-Machrek. N*138, octobre-décembre 1992. Israël/Palestine demain. Atlas prospectif. Philippe Lemarchand et Lamia Radi, Editions Complexe. 1996. Sandrine Mansour - Printemps 2003 - Nantes voir aussi sur le site L’eau, un enjeu majeur du conflit israélo-palestinien
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