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MAHMOUD ABOU
DRAA",
par Badia BENJELLOUN
Badia Benjelloun nous dit son émoi et son incrédulité en apprenant
que le jeune Mahmoud Abou Draa, 14 ans, en compagnie duquel elle se
trouvait il y a quelques semaines dans le camp de Balata (Naplouse), vient
d'être roué de coups, arrêté et incarcéré par l'armée israélienne
"J'organise mes notes et surtout ma pensée depuis mon retour de
Palestine pour rendre compte de la situation des familles des enfants
prisonniers politiques.
Que pèseront mes mots, face au tintamarre incessant de l'État qui vocifère
sur tous les médias qu'il est l'essence de la démocratie dans un
Moyen-Orient barbare?
Comment dire la détresse habituelle de ces mères et de ces pères
auxquels sont arrachés un ou plusieurs enfants pour être livré aux
tortures, mauvais traitements, à l'humiliation, à l'enfermement, sans
motif et pour des durées indéterminées ?
En faire part sans larmoyer car la prison est un mode de gestion
colonialiste de la population occupée pour en briser la vivacité.
Séparer un enfant de manière brutale et inopinée de sa famille, de son
univers scolaire pour l'exposer à l'injustice et lui démontrer par là-même
que les adultes, ses parents, sont incapables de le protéger de la pure
violence et du pur arbitraire.
Assurément, ce système a été pensé pour anéantir un peuple.
J'en étais là, quand j'ai appris l'arrestation de Mahmoud Abou Draa l'espiègle,
le gracieux qui a eu lieu ce premier lundi d'avril.
Cette immense douleur se comptera-t-elle un jour?
Sur quelle échelle et devant quel juge?
Ce n'est pas Mahmoud que j'imaginais avoir à pleurer tout de suite, ici,
maintenant.
Sa famille a appris son arrestation en regardant les informations sur la
chaîne El Arrabya.
Il était allé se promener en dehors du camp, tout de suite jouxté par
les montagnes, avec un copain, en fin d'après-midi après l'école.
Il fut sauvagement battu, des heures durant par des soldats dont on peut
s'interroger sur leur niveau mental ou d'humanité.
Il est détenu au centre d'interrogatoire de Houarra.
Il a comme terrible antécédent d'avoir un frère déjà détenu, ce qui
pèsera sur son devenir carcéral.
Sa mère a déjà donné plus qu'il ne faut de litres de sang et de livres
de chair à l'ennemi.
Un mari assassiné quasiment sous ses yeux.
Son fils aîné, un enfant de 16 ans incarcéré.
Maintenant on lui arrache son deuxième fils. Il a à peine quatorze ans.
Quand je décidais de remonter à Naplouse nous venions de vivre une
semaine de très vives émotions à Bethléem et Aïda.
Nous y avons rencontré quelques familles d'enfants prisonniers.
En cette fin de janvier 2005, après l'élection du président de
l'Autorité Palestinienne assortie de promesses de trêve de part et
d'autre, j'espérais plus aisé le franchissement du redoutable barrage de
Houarra.
Pour ce jour sans pluie, le gradé parmi l'équipe de jeunes gens en
treillis et armes automatiques en bandoulière, investis par l'État
occupant du pouvoir d'arrêter les Palestiniens qui empruntent cet axe
Nord-Sud de la Cisjordanie, hurlait dans son arabe approximatif mais
impératif que les femmes ce jour-là pouvaient passer sans contrôle
excessif, retenant tous les Palestiniens de sexe masculin au-delà de leur
première adolescence sous le soleil hivernal.
Durant les longues heures qu'il me fut donné d'observer l'aménagement de
ce filtre ou goulot d'étranglement, il me fut loisible de repérer les
secousses musculaires involontaires, l'irritabilité de certains des
soldats manifestement en manque d'une substance addictrice. Le
regard est instable, la parole criée, l'ordre aboyé, pleins
d'oreillettes sur la tête et des téléphones et talkies-walkies aux extrémités
de tous les bras. La sueur rigole sur le front, et en face, les
Palestiniens sont impassibles.
L'attente se faisait vaine, le consulat injoignable, l'un des soldats, un
engagé de Maisons-Alfort (la ligne 8 du métro) m'expliquait combien il
était responsable de ma sécurité et qu'au-delà de ce poste-frontière,
ma vie, toute vie est en danger.
Avec mon amie Fayrouz, nous sommes convenues de contourner ce dispositif
qui est une pure machinerie à humilier, à tuer par inadvertance rarement
par nécessité.
Avec délices, nous plongeâmes dans la randonnée à travers montagnes,
une pure félicité.
Trois monts plus tard, nous joignîmes Balata. Camp construit en 1953 sur
250 dunums, non extensible, sans espace vert, pour 40 000 réfugiés qui
sont aujourd'hui 200 000.
Le manque de surface constructible invite à élever des étages, jusqu'à
quatre.
La maison de Fayrouz est sur l'axe principal qui n'est ni une avenue ni
une rue véritable mais un segment véhiculable, sans trottoir.
Elle porte les signes de l'enfant absent.
Mhammed Abu Draa, le fils aîné de la famille a été arrêté le 9 8
2004, né le 12 3 1988, il avait 16 années à ce moment.
Après un mois et demi d'interrogatoire à Houarra, il fut transféré à
Meggido, cette prison sous tentes en texture inflammable dans laquelle a
eu lieu un incendie en février avec un mort brûlé vif à la clé. Il y
réside pour pas moins de quatre chefs d'accusation: possession d'armes,
tentative d'homicide, préparation de bombes artisanales, échange de
coups de feu avec les soldats de l'occupation. À six reprises au moins,
le jugement fut différé, et la peine encourue avoisine les 10-15 ans.
Les visites sont interdites aux membres de sa famille.
Ce jeune lycéen n'avait aucune activité politique. Il fut blessé à la
cuisse le 16 12 2003 lors d'une des fréquentes incursions de l'armée
alors qu'une accusation lui est portée d'avoir échangé des coups de feu
en 2004.
Il était l'homme de cette famille composée de 6 enfants et de la maman.
Le père est décédé le 21 9 1994 , des suites de blessures par balles
à l'abdomen et au cœur, atteint à une dizaine de mètres de sa maison
par des coups de feu.
Au cours de la soirée, le plus jeune d'une dizaine d'années voulait
m'honorer en me prouvant sa part de bravoure. Il n'a cessé de me faire
des croquis assez précis des chars ennemis, entourés de nuées d'enfants
schématisés sous forme de bâtonnets avec une extrémité supérieure
renflée, la pierre appendue à la main ou faisant main.
Nous plaisantions avec Mahmoud qui, du haut de ses 14 ans, fluet, gracile
jouait au protecteur de ses frères dont il est maintenant l'aîné.
Mahmoud est très fier de sa chevelure qu'il coiffe avec force gel comme
les jeunes garçons de son âge et il a multiplié le nombre de ses
portraits-photos ces derniers mois.
Nous sommes allés tous ensemble visiter le dernier centre culturel du
camp; il a moins d'un an, le précédent fut détruit à trois reprises et
10 ordinateurs perdus. Le
directeur nous en a expliqué les activités assurées avec très peu de
moyens : théâtre et Dabké. Mahmoud se proposait de joindre la troupe de
danse.
Nous n'eûmes qu'une paire d'heures le lendemain, vendredi , pour faire un
tour dans Naplouse encore ensommeillée avec Fayrouz, 18 ans, l'enjouée.
Nous les avons mises à profit pour respirer les vieilles pierres de ce très
ancien centre industrieux et commercial palestinien. Pour deviser de
tradition et modernité et du devoir d'invention de leur harmonieux mélange
pour une jeune fille de 18 ans, en train de poursuivre des études supérieures
à l'université Al Najjah de littérature anglaise.
Devant les résidus d'affiches électorales effilochées par la pluie et
le vent, elle s'interrogea sur le sourire arboré par le très sérieux
Mahmoud Abbas : nous sourit-il ou se rit-il de nous?
LIBÉRATION IMMÉDIATE ET SANS CONDITION POUR TOUS LES PRISONNIERS
POLITIQUES PALESTINIENS"
Badia Benjelloun
Source : CAPJPO
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