ISRAËL N'HÉSITERAIT JAMAIS, MAIS NE
PEUT TOUT FAIRE
Par Ameer MAKHOUL
Directeur général de Ittijah
Union des associations civiles arabes -
à Haïfa (Palestine)
Article paru sur www.arabs48.com http://www.arabs48.com/display.xcid=7&sid=25&id=22563
Il n'existe pas un crime qu'Israël s'abstiendrait de commettre,
ouvertement ou discrètement, à travers le pays ou à l'étranger. Il
n'existe pas, non plus, de limites à la décadence morale qui caractérise
cet État, érigé, par un crime, comme entité coloniale ségrégationniste.
Il ne peut en être autrement.
Cela dit, croire Israël capable de tout, voire le considérer comme un
mythe placé au dessus des lois de la nature et de l'Histoire, est une
erreur d'appréciation assez flagrante. Israël convoite notre vaste Monde
arabe et aspire à que ce dernier agisse selon un postulat bien défini :
Israël est un mythe robuste, une entité légendaire, capable de tout, au
courant de tout. C'est cette stratégie défensive, cette équation basée
sur la sécurité nationale israélienne - selon laquelle le Mossad peut
intervenir là où il veut - que cet État a tenté de prétendre au cours
de son histoire.
C'est dans ce contexte que se situent les grandes préoccupations
palestiniennes et arabes quant au diagnostic de l'état de santé du président
Arafat et des raisons de son décès, mais également les affabulations
politiques concernant les causes de cette dégradation puis de cette
disparition. Prétendre qu'Israël l'a empoisonné est plus complexe que
cela. Certes, Israël n'aurait pas hésité à commettre un tel crime,
comme il l'a prouvé de par le passé, en public ou dans le plus grand
secret. En tant qu'entité joignant l'officiel au populaire, Israël a
exprimé ses sentiments vis-à-vis d'Arafat et du peuple palestinien par
cet instinct vindicatif qui ne s'est intéressé exclusivement qu'à
confirmer le décès du leader palestinien. Durant l'attente de son décès
- un décès synonyme de providence pour Israël, dans sa guerre contre
Yasser Arafat et ce que celui-ci représentait - l'État, ses appareils,
ses médias, son opinion publique, ont atteint un nouveau degré de
bassesse et de décadence. À travers cet instinct occupé à guetter la
mort et confirmer le décès, Israël a échoué et il est apparu au grand
jour que ses « experts » ne l'étaient pas en matière de « Yasser
Arafat », que ceux-ci étaient bien loin de comprendre la réaction des
mouvements populaires et notamment celui du peuple palestinien. Les médias
israéliens furent les plus mensongers. Ils apparurent comme dénués de
la moindre analyse sérieuse. En effet, ils agissaient en vertu du
principe suivant : si Yasser Arafat n'est pas décédé lorsqu'ils l'ont
eux-mêmes déclaré, une semaine plus tôt, le problème résidait alors
en Yasser Arafat, aucunement en leur sincérité. Leur libéralisme, dont
le porte-flambeau n'est autre que le fameux ministre de la Justice Tomy
Lapid, s'est manifesté, aux yeux de leur public qui n'hésite pas à
danser sur le sang, de manière arrogante, coloniale, raciste. Les plus
libéraux d'entre eux ne se sont alors distingué en rien de ce soldat
criminel qui, un mois auparavant, dans la bande de Gaza, avait vidé son
chargeur dans le corps de la jeune Imane al-Hams alors qu'elle rentrait d'école,
pour s'assurer, avec ses collègues, qu'elle était bien morte.
Pourtant, prétendre qu'Israël a commandité l'empoisonnement du leader
palestinien est une légende qu'Israël nous invite à adopter. Israël
veut de nous, Palestiniens et Monde arabe, une énième reconnaissance de
sa supériorité hors normes et notre soumission totale. Il peut, éventuellement,
réussir politiquement face à des régimes arabes qui dépendent d'un
soutien américain massif dans le cadre d'un redécoupage géographique
sur le plan régional et d'une hégémonie encore plus prononcée sur le
plan international. L'expérience du peuple palestinien, cependant, réfute
l'argument, d'un point de vue tout aussi politique que local. L'échec de
l'enlèvement de Khaled Mach'al par le Mossad, en Jordanie, hante, encore
à ce jour, les institutions militaires et de renseignement israéliens.
Fort de son hyper puissance militaire et technologique employée pour
surveiller notre terre en Cisjordanie et à Gaza, Israël, en plus de ses
revers politiques, est toujours incapable de réaliser ses objectifs sur
le terrain.
Le plus important, c'est qu'Israël-tout-puissant, en dépit de ses
institutions, son arsenal militaire, son alliance absolue avec toute
administration américaine, a échoué à vaincre la volonté des peuples
qui militent, en Palestine et au Liban. Son mythe, auquel il a voulu nous
faire croire à défaut d'y croire lui-même, s'est en cela brisé.
Qu'Israël renonce à la liquidation d'un Yasser Arafat assiégé au cours
des dernières années dans sa Mouqata'a n'était pas le fruit du hasard
ni signe de bonne foi de sa part. Il l'a voulu mort et craignait de le
tuer. Il savait que Yasser Arafat était le protégé d'un peuple
palestinien, que celui-ci soutienne son chef historique ou s'oppose à
lui, qu'il soit présent à ses côtés à Ramallah ou ailleurs, à
travers le pays et la diaspora. Tous le protégeaient, non seulement pour
défendre sa personne mais pour défendre, à travers lui, l'existence
palestinienne, ses revendications inaliénables, le mouvement de libération
nationale, la résistance à l'occupation. Israël a tenté de prendre
toutes les précautions face aux foules militantes dont Arafat avait
exprimé les souffrances, les rêves de liberté, les désirs de mettre un
terme à l'injustice historique. Ce sont ces mêmes foules qui ont
accueilli et honoré sa dépouille mortelle, en nom et place des millions
de nos autres concitoyennes et concitoyens que les différentes
occupations, depuis 1948, ont empêché de rentrer à leur pays, et, plus
récemment, d'accéder à Ramallah. Ce sont ces foules, souveraines, qui
effraient un Israël qui pensait les avoir démuni, pour l'éternité, de
toute volonté ou souveraineté. L'imaginaire colonial et arrogant d'un éventuel
enlèvement de la dépouille pour tenter de l'inhumer à Jérusalem s'est
désagrégé ; Israël a cru à sa propre propagande et à sa stupidité.
Tel un gang de criminels, il a redouté les retombées de son crime et a
mal mesuré la place que gardait le peuple palestinien pour son chef
historique - un peuple résolu à mettre en ouvre un testament d'enterrer
son raïs défunt à al-Aqsa, de plein jour, avec les honneurs qu'il se
doit, si longue l'attente soit-elle.
Le rapport médical, qui comporte les causes du décès, concerne seuls
les spécialistes. Ce ne peut être une affaire de pronostics sur
lesquelles les théories solides sont à construire. Il est tout à fait
naturel, et humain, de douter de l'attitude d'Israël : Israël n'aurait
pas hésité à empoisonner Yasser Arafat. Toutefois, nous ne devons pas
entretenir le mythe d'Israël en créant un « mythe Arafat », ni considérer
ce leader, l'enfant et chef historique du peuple palestinien, comme
a-historique ou supra-humain.
Le mythe de la personnalité d'Arafat est celui de la lutte nationale
palestinienne de libération, qui a tenu tête à l'arsenal militaire le
plus imposant face à une population démunie. Le parcours de Yasser
Arafat est le parcours de tout le peuple palestinien. C'est une lutte
devenue un symbole mondial, axe principal des mouvements de solidarité et
des défenseurs de la liberté aux quatre coins du globe.
La simplicité du débat palestinien portant sur la prédisposition d'Israël
à empoisonner le président Arafat est en contradiction avec le
militantisme du peuple palestinien. Une différence existe entre faire
porter à Israël la responsabilité du décès de Yasser Arafat en raison
du siège auquel il a été soumis, d'une part, et affirmer qu'il est
capable de l'empoisonner en dépit du fait que les cercles populaires et
officiels israélien l'aient souhaité, d'autre part.
Ce qui est déroutant ici, ce sont les conséquences possibles de telles
allégations sur la scène palestinienne, et notamment de persister à prétendre
que le poison a été versé par des mains palestiniennes corrompues,
proches de l'Autorité, ainsi de suite. S'adonner à ce genre d'appréciations
ne peut que mettre le feu à la maison palestinienne et, au lieu de s'en
tenir à un désaccord dans le cadre de la pluralité politique, enfoncera
notre peuple dans un conflit interne sanguinaire. Si tel est le cas, ce
sera une grande victoire pour Israël, lui qui jamais n'hésite à verser
son poison dans les veines du peuple palestinien. Nous nous devons d'empêcher
de tels actes. Notre peuple est suffisamment capable de mettre en déroute
cette politique suicidaire et réaliser ses aspirations de lutte pour la
libération.
Haïfa, le 16 novembre 2004.
Traduit de l'arabe par El-Almawi.
Source : Liste Assawra
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