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Edward Saïd Qui est-ce qui commande ? La marche implacable et unilatérale de l'administration Bush vers la guerre est profondément dérangeante pour de nombreuses raisons, mais en ce qui concerne les citoyens américains, ce show grotesque représente un énorme échec pour la démocratie. Une république immensément riche et puissante a été détournée
par une petite clique d'individus, tous non-élus et donc se moquant de la
pression publique, et a tout simplement été mise la tête à l'envers.
Dire que cette guerre est la plus impopulaire de l'histoire moderne n'est
pas exagéré. Avant même qu'elle ne commence , il y a eu plus de
protestataires dans les rues aux USA-même qu'on en compta au temps des
manifestations les plus nombreuses du mouvement contre la guerre au
Vietnam dans les années 60 et 70 . J'ai récemment été critiqué pour mes positions contre
la guerre par des illettrés qui prétendent que ce que je dis implique
une défense de Saddam Hussein et de son horrible régime. On m'a alors dit que le Koweït était fier d'avoir engagé
des milliards de dollars pour la guerre de Saddam contre les
"Perses",comme on les appelait alors avec mépris, et que cette
lutte était trop importante pour que quelqu'un comme moi puisse la
comprendre . On prête peu d'attention au fait qu'à peine une semaine après avoir loué l'engagement du président Bush envers la démocratie, le professeur Makiya dénonce maintenant les USA et leurs plans pour un gouvernement irakien post-Saddam-militaire-Baath. Quand des individus prennent l'habitude de changer de dieu politique, le nombre de changements qu'ils opèrent avant de finalement s'arrêter dans la honte totale et l'oubli mérité, est sans limite. Mais revenons aux USA et à ses actions présentes. Dans tous mes voyages et rencontres, je n'ai pas encore rencontré un seul tenant de la guerre. Bien pire, la plupart des américains pensent maintenant que cette mobilisation est allée trop loin pour s'arrêter, et que nous sommes à deux doigts d'une catastrophe nationale. Considérons avant tout que le Parti Démocrate, avec peu d'exceptions, est simplement passé dans le camp du président , dans un élan peureux de patriotisme. Dans tous les rangs du Congrès on trouve les signes révélateurs,
soit du lobby sioniste, des chrétiens d'extrême droite, ou du complexe
militaro-industriel, trois groupes minoritaires à l'influence indue, qui
sont tous hostiles au monde arabe; on voit un soutien sans faille au
sionisme extrémiste et une conviction insensée d'être dans le camp des
anges . Les médias sont simplement devenus une branche de l'effort de guerre. Tout ce qui de près ou de loin à une voix discordante a entièrement disparu du petit écran. Toutes les grandes chaînes ont embauché des généraux à la retraite, d'anciens agents de la CIA , des experts en terrorisme, et des néo-conservateurs connus, en tant que "consultants" qui emploient un jargon écœurant pour se donner un air d'autorité en la matière, et tous soutiennent ce qui est fait par les USA, de l'ONU aux sables d'Arabie. Un seul journal important (de Baltimore ) à publié
quelque chose sur l'espionnage américain, les écoutes téléphoniques et
l'interception de messages des six petits pays membres du Conseil de Sécurité
dont les votes sont indécis. L'énorme souffrance du peuple irakien n'est pas mentionnée non plus. Quoique Saddam ait fait, Israël et Sharon l'ont fait aussi, avec le soutien des USA , et cependant personne ne dit rien de ces derniers, tout en fulminant contre le premier. Les sarcasmes de Bush et d'autres impliquant que l'Onu devrait imposer le respect de ses propres résolutions sont une moquerie complète. On a ainsi délibérément menti au peuple américain,
leurs intérêts ont été mal représentés et mal expliqués, et les
buts et intentions réels de cette guerre privée de Bush fils et de sa
junte sont dissimulés avec une arrogance complète. Peu importe que l'on n'ait entendu aucune voix arabe ou musulmane critique dans les médias américains, de gauche, modérés, ou réactionnaires, avec la moindre régularité depuis que les préparatifs de guerre sont entrés dans leur phase finale. Considérons aussi le fait qu'aucun des principaux planificateurs de cette guerre, certainement pas les soit-disant experts comme Bernard Lewis et Fouad Ajami, ni l'un ni l'autre n'ayant seulement vécu dans ou même approché le monde arabe depuis des décennies, et que ni les militaires, ni les politiciens comme Powell, Rice, Cheney, ou le grand dieu Bush lui-même ne sachent quoique ce soit sur les mondes musulmans au-delà de ce qu'ils voient par les yeux des israéliens, ceux des compagnies pétrolières, ou ceux des militaires, et n'ont donc aucune idée des conséquences d'une guerre de cette envergure sur les gens qui vivent en Irak. Et considérons aussi le simple orgueil démesuré d'hommes comme Wolfowitz et ses aides. Quand on leur a demandé de témoigner devant un Congrès largement somnolant sur les coûts et les conséquences de la guerre, ils ont pu s'en tirer sans donner de réponses concrètes, ce qui renvoie dans l'ombre le témoignage du chef d'Etat Major, qui a parlé d'une force d'occupation de 400 000 hommes pour 10 ans à un coût de presque un trillion de dollars. La démocratie travestie et trahie, la démocratie fêtée,
mais en fait humiliée et piétinée par un tout petit groupes d'hommes
qui ont tout simplement pris le contrôle de cette république comme si
elle n'était rien de plus que, quoi, un pays arabe ? Quant aux démagogues et aux intellectuels serviles qui parlent de guerre depuis leur petit monde imaginaire, qui leur a donné le droit de comploter pour précipiter dans le malheur des millions de gens dont le crime principal semble être qu'ils sont musulmans et arabes ? Quel américain, sauf ce petit groupe non-représentatif, voudrait sérieusement augmenter les stocks déjà bien fournis d'anti-américanisme à travers le monde ? Aucun, je présume. Jonathan Swift (*), tu devrais être parmi nous en ce
moment. Edward Saïd http://www.protection-palestine.org/Informations/Analyses/ESaid_09.php |
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