AFPS Nord Pas-de-Calais CSPP

   

 

 

Naplouse : témoignage d'un crime - récit de Mme Salah

Cisjordanie. 21 juillet 2004.

Ce matin avant d'aller dans les camps d'été, nous avons été visiter la famille du Docteur SALAH à Naplouse . Ci-dessous le témoignage d'un crime . Nous entrons dans une maison où toutes les femmes sont habillées en noir: la femme du Docteur, sa mère, sa fille, et une soeur...  

La femme du Docteur raconte :
"Khaled SALAH avait 50 ans, son fils Mohammad 16 ans étudiant ...ils ont été tués en même temps...
Les femmes sont dans une zone sécurisée de la maison et ont comme consigne en cas de problème de ne jamais bouger . Les hommes regardent ce qui peut se passer .
Khaled était docteur en université spécialisée comme ingénieur en informatique . Khaled et sa femme ont une carte de résident permanent américain. Leur fils a un passeport américain . Khaled est un homme reconnu dans Naplouse pour ses connaissances et sa gentillesse .
Jeudi 6 juillet 2004 à 01h45 du matin . Tout le monde dormait après avoir participé la veille à une cérémonie familiale . Ils ont entendu des tirs, Khaled regarde par la fenêtre . Les soldats étaient dans le rue . Ils ont une maison avec de grandes fenêtres . Des tirs, des roquettes, des explosions un peu partout . Les femmes ont crié qu'il y avait des femmes et des enfants dans la maison, mais les soldats ont continué à tirer . Une bombe a atteint la maison .

Elles appellent la radio, la TV, l'UPMRC (ONG qui s'occupe de la santé et des urgences médicales), le croissant rouge,l'ambassade américaine . Mais personne ne peut rien faire, le quartier est bouclé.
Les soldats leur crient : Sortez de la maison ou nous faisons exploser des bombes sur vous . Khaled a essayé d'ouvrir la porte d'entrée mais elle était bloquée par des tirs de roquettes qui avaient déformé la porte .
Il est allé à la fenêtre de la chambre et a crié aux soldats : je suis pacifique , mes enfants sont en danger . Les soldats ont tiré 3 fois . Khaled est tombé sur le sol ,il était mort. Sa femme voit aussi son fils avec du sang alors qu'il était prostré dans un coin en principe à l'abri . Elle crie aux soldats : mon fils est blessé, à l'aide . Mais les soldats ont ri et lui ont dit de se taire .
Elle a essayé de prévenir les voisins et demander un médecin . Les soldats leur ont demandé de sortir un par un les mains levées . Elle a dit : laissez moi sortir mon mari et mon fils, ils ont besoin de secours . Ils ont eu des paroles humiliantes pour elle et sa fille. Les soldats ont pris la famille en interrogation : qui est dans votre maison? Elle répond :mon mari, ma famille et personne d autre ...

C'était un assassinat délibéré de civils non armés, sans appartenance à un parti politique . Personne ne pouvait les aider ni la croix rouge, ni l'UPMRC ... ils n'ont pu accéder aux lieux que 4 heures après . Son fils a saigné jusqu'à la mort .
Les soldats ont tout détruit dans la maison (vêtements, meubles, ordinateur, parfum, bijoux---volés?).

Pouvez-vous vous imaginer vous réveiller dans la nuit, au milieu des tirs, sans savoir pourquoi votre maison est visée ? Pourquoi des civils sont tués ?
J'ai besoin d'explication pourquoi ils ont tué mon fils et mon mari ? Pourquoi et comment mon fils réfugié dans un recoin de la maison a été touché ?
Khaled était un homme de paix qui faisait tout ce qu'il pouvait pour sa famille .
En France, on dit que les familles palestiniennes envoient leurs enfants à la mort . Mais mes fils n'étaient jamais loin de moi et je veillais sur eux comme sur la prunelle de mes yeux .

Je ne dors plus car j'ai peur que tout recommence et que je perde d'autres enfants . Je n'ai plus personne pour protéger ma famille .
Les soldats pendants l'attaque de la maison ont tiré sur le container de gaz, heureusement en été, il était vide, sinon une explosion aurait détruit les maisons des voisins .

Les soldats ont tiré sur les hommes de la maison précisément car les femmes étaient près .
Khaled était un personnage public de Naplouse, reconnu par ses étudiants . Le tuer allait avoir un impact sur la population ."
Mme SALAH

Sans commentaires

Manu du Morvan, à partir des notes de florence et Christine


Hier à Balata ...

Jérôme, tu vas écrire quelque chose sur ce qui s'est passé à Balata tout à l’heure, n'est-ce pas ?

L'ambulance traverse Naplouse endormie, balayant la route de son gyrophare rouge et silencieux.

Ecrire quoi. Pour qui. Je n'y avais même pas pensé. L'idée de raconter ne m'avait même pas effleuré. L'écriture est trop loin de moi en ce moment. Firaz fixe la route de son regard noir, de son regard perdu dans le souvenir de cette après-midi à Balata, de son regard noyé dans le souvenir de toutes ces après-midi à Balata ou ailleurs. Jérôme, tu vas écrire quelque chose sur ce qui s'est passé à Balata ?

Tu te souviens, c'était la semaine dernière. Nous marchions dans la grande rue de Balata. Deux jeeps bloquaient les deux issues de la grande rue. Autour du camp, la foule turbulente avait laissé place à un désert. Entre les deux jeeps, un tronçon de rue se retrouvait prisonnier. Alors les enfants ont commencé à jeter des pierres. Et les jeeps avaient fait rugir leur moteur. Tu étais resté immobile, fixant la jeep et tu m'avais dit ''Quelle vision pour ses enfants, cette jeep avec ses phares menaçants...''. Puis de la jeep, les soldats avaient tiré une grenade et tu n'avais pas bougé. Je comprends aujourd'hui que ces phares brillant au loin comme des projecteurs de mirador t'effrayaient plus que la grenade. Je crois que tu as raison. Ces yeux jaunes et bruyants doivent hanter toutes les nuits les cauchemars de ces petits des rues, bien plus que tout.

Ces yeux de fer, je les ai revu hier, à Balata. Dans la même rue. Au même endroit où nous nous trouvions tout les deux il y a une semaine. A la même heure. Les moteurs ont rugi de la même façon et de la même façon, les jeunes ont commencé à jeter des pierres. Tu avais senti de la gêne à les regarder lancer leurs grenades pour grenadine, leurs bouts de pastèque et leurs cailloux trop lourds pour leurs petits bras. Tu avais dit, partons, le spectacle est terminé. Tu étais gêné d'être spectateur. Je t'avais dit que pour pouvoir raconter plus tard, il fallait passer par cet état déplaisant de spectateur, de voyeur, que nous n'avions pas le choix. La guerre se joue sous nos yeux, sous nos appareils photos. Les vieux ne jettent même plus un oeil sur la rue et restent accroches à leur narguilé ou à leur partie de backgammon. Les enfants aux mains pleines de pierres rient et nous leur rendons leurs sourires un peu gênés. Reste là petit, ne t'approche pas du monstre aux yeux de feu, reste à côté de moi et pose tes pierres, reste avec moi je t'en supplie.

L'ambulance fonce dans les rues de Naplouse silencieuse. Des chats jaillissent des poubelles à notre passage. Je vais écrire Firaz, mais comment dire ce que personne ne veut entendre. Toi, tu te moques maintenant que l'on t'entende ou pas. Ce qui est important, c'est de parler, et de parler encore et de raconter inlassablement les corps que tu as transportés dans ton ambulance, jusqu'à ce que les mots ne te viennent plus. Même quand je ne t'écoute plus, Firaz, tu continues à me raconter. Parce qu'il n'y a aucune raison pour que tu me racontes la mort de Taher, sans me parler de celle de Marwan, ni de me parler de la mort de Ghassan sans me raconter celle de Mohammad. Quand tu as fini de raconter, tu ne dis plus rien, pendant un long moment. Parler te vide, je le sens bien. Mais comment reprendre le volant tous les jours sans s'être vidé jusqu'a l'épuisement. Comment continuer à charrier des cadavres en les portant tous sur ses épaules.

Je vais écrire, Firaz, je vais écrire.

C'était dans la même rue que celle où nous étions la semaine dernière. Les mêmes jeeps, les mêmes pierres, les mêmes enfants.

Et Yasser.

 Une première rafale de mitraillette dans les jambes le jette à terre. De ses mains ouvertes, les pierres roulent sur le sol. Firaz, tu es à trois mètres du jeune homme blessé, les portes de ton ambulance sont grande ouvertes. Le jeune médecin suédois hurle ne tirez plus, ne tirez plus. Les soldats vous ordonnent de reculer. Puis l'un d'entre eux sort de la jeep verte aux yeux jaunes et pointe son fusil sur le blessé à terre. Il tire à quinze reprises. La poitrine est transpercée, la tête vole en éclat. Yasser avait vingt ans. Jérôme

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