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Naplouse : témoignage d'un crime - récit de Mme Salah Cisjordanie. 21 juillet 2004. Ce matin avant d'aller dans les camps d'été, nous avons été visiter la famille du Docteur SALAH à Naplouse . Ci-dessous le témoignage d'un crime . Nous entrons dans une maison où toutes les femmes sont habillées en noir: la femme du Docteur, sa mère, sa fille, et une soeur... La femme du Docteur raconte : Elles appellent la radio, la TV, l'UPMRC (ONG
qui s'occupe de la santé et des urgences médicales), le croissant
rouge,l'ambassade américaine . Mais personne ne peut rien faire, le
quartier est bouclé.
Jérôme, tu vas écrire quelque chose sur ce qui s'est passé à Balata tout à l’heure, n'est-ce pas ? L'ambulance traverse Naplouse endormie, balayant la route de son gyrophare rouge et silencieux. Ecrire quoi. Pour qui. Je n'y avais même pas pensé. L'idée de raconter ne m'avait même pas effleuré. L'écriture est trop loin de moi en ce moment. Firaz fixe la route de son regard noir, de son regard perdu dans le souvenir de cette après-midi à Balata, de son regard noyé dans le souvenir de toutes ces après-midi à Balata ou ailleurs. Jérôme, tu vas écrire quelque chose sur ce qui s'est passé à Balata ? Tu te souviens, c'était la semaine dernière. Nous marchions dans la grande rue de Balata. Deux jeeps bloquaient les deux issues de la grande rue. Autour du camp, la foule turbulente avait laissé place à un désert. Entre les deux jeeps, un tronçon de rue se retrouvait prisonnier. Alors les enfants ont commencé à jeter des pierres. Et les jeeps avaient fait rugir leur moteur. Tu étais resté immobile, fixant la jeep et tu m'avais dit ''Quelle vision pour ses enfants, cette jeep avec ses phares menaçants...''. Puis de la jeep, les soldats avaient tiré une grenade et tu n'avais pas bougé. Je comprends aujourd'hui que ces phares brillant au loin comme des projecteurs de mirador t'effrayaient plus que la grenade. Je crois que tu as raison. Ces yeux jaunes et bruyants doivent hanter toutes les nuits les cauchemars de ces petits des rues, bien plus que tout. Ces yeux de fer, je les ai revu hier, à Balata. Dans la même rue. Au même endroit où nous nous trouvions tout les deux il y a une semaine. A la même heure. Les moteurs ont rugi de la même façon et de la même façon, les jeunes ont commencé à jeter des pierres. Tu avais senti de la gêne à les regarder lancer leurs grenades pour grenadine, leurs bouts de pastèque et leurs cailloux trop lourds pour leurs petits bras. Tu avais dit, partons, le spectacle est terminé. Tu étais gêné d'être spectateur. Je t'avais dit que pour pouvoir raconter plus tard, il fallait passer par cet état déplaisant de spectateur, de voyeur, que nous n'avions pas le choix. La guerre se joue sous nos yeux, sous nos appareils photos. Les vieux ne jettent même plus un oeil sur la rue et restent accroches à leur narguilé ou à leur partie de backgammon. Les enfants aux mains pleines de pierres rient et nous leur rendons leurs sourires un peu gênés. Reste là petit, ne t'approche pas du monstre aux yeux de feu, reste à côté de moi et pose tes pierres, reste avec moi je t'en supplie. L'ambulance fonce dans les rues de Naplouse silencieuse. Des chats jaillissent des poubelles à notre passage. Je vais écrire Firaz, mais comment dire ce que personne ne veut entendre. Toi, tu te moques maintenant que l'on t'entende ou pas. Ce qui est important, c'est de parler, et de parler encore et de raconter inlassablement les corps que tu as transportés dans ton ambulance, jusqu'à ce que les mots ne te viennent plus. Même quand je ne t'écoute plus, Firaz, tu continues à me raconter. Parce qu'il n'y a aucune raison pour que tu me racontes la mort de Taher, sans me parler de celle de Marwan, ni de me parler de la mort de Ghassan sans me raconter celle de Mohammad. Quand tu as fini de raconter, tu ne dis plus rien, pendant un long moment. Parler te vide, je le sens bien. Mais comment reprendre le volant tous les jours sans s'être vidé jusqu'a l'épuisement. Comment continuer à charrier des cadavres en les portant tous sur ses épaules. Je vais écrire, Firaz, je vais écrire. C'était dans la même rue que celle où nous étions la semaine dernière. Les mêmes jeeps, les mêmes pierres, les mêmes enfants. Et Yasser. Une première rafale de mitraillette dans les jambes le jette à terre. De ses mains ouvertes, les pierres roulent sur le sol. Firaz, tu es à trois mètres du jeune homme blessé, les portes de ton ambulance sont grande ouvertes. Le jeune médecin suédois hurle ne tirez plus, ne tirez plus. Les soldats vous ordonnent de reculer. Puis l'un d'entre eux sort de la jeep verte aux yeux jaunes et pointe son fusil sur le blessé à terre. Il tire à quinze reprises. La poitrine est transpercée, la tête vole en éclat. Yasser avait vingt ans. Jérôme |
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