AFPS Nord Pas-de-Calais CSPP |
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Voyager sous occupation
21 septembre 2004
C’est une chose bien connue : entrer et sortir de Gaza n’est pas fait pour les cœurs fragiles. Mais qui aurait pu savoir que cela nécessiterait 5 taxis, quatre autobus, une charrette à âne et un total de 35 heures ? Si le mot tortueux est celui qui correspond le mieux à la route, alors tortueux est le mot qui décrit le mieux le trajet. Je devais faire renouveler mon visa USA, mais les Américains comme beaucoup d’autres pays occidentaux, ont fermé leurs bureaux à Gaza. Tel Aviv est hors limites pour tous les Palestiniens et le consulat le plus proche est en Egypte, au Caire. Les forces israéliennes ont détruit au début de la présente Intifada, le seul aéroport de la Palestine au sud de la Bande de Gaza et n’ont pas donné aux Palestiniens d’autres accès à des installations. Le point de passage de Rafah entre l’Egypte et Israël est actuellement le seul point de sortie de Gaza. Alors comme des milliers d’autres Palestiniens, nous avons dû faire l’éreintant voyage de 18 heures pour atteindre le Caire par la terre, après être passés par une série de check- points israéliens et les procédures humiliantes et sans fin qui les accompagnent. L’idée de faire ce voyage en traversant le point de passage redouté de Rafah ne m’enthousiasmait pas mais je me suis néanmoins préparée. A l’aube, les bagages prêts, mon fils de six mois, ma mère et moi-même nous nous sommes préparés pour le voyage qui nous attendait.
Un voyage avec vue Nous avions à peine commencé notre voyage que nous découvrions que la route côtière qui connecte la ville de Gaza au centre et au sud de la Bande de Gaza avait été fermée à tous les véhicules par les troupes israéliennes. Des bulldozers israéliens blindés soutenus par des tanks Merkava grondaient au loin après avoir juste terminé leur travail. A l’ est d’où nous étions se trouve la colonie illégale de Netzarim, avec ses 400 habitants vivant dans une bulle. Un peu plus de 8.000 colons occupent environ 40% des terres dans la Bande de Gaza ; environ 1.3 million de Palestiniens vivent sur les 60% restant. Devant nous, se trouvait un fossé de 3 mètres de profondeur avec derrière de hauts monceaux de sable. Perplexes, nous sommes restés debout avec les autres voyageurs, nous demandant quoi faire. Quelques uns, sans valises, ont pris le risque de d’escalader les monticules sous les tirs des israéliens. D’autres ont attendu une meilleure alternative – une charrette tirée par un âne, la dernière mode pour voyager à Gaza. Nous avons attendu l’arrivée de la première charrette. Ayant appris la fermeture de la route côtière, beaucoup de fermiers locaux avaient profité du marché de l’offre et la demande pour gagner quelques shekels supplémentaires. Accompagnés d’un couple âgé et de nos bagages, nous nous sommes accrochés (et mon fils à moi) tandis que le chauffeur dirigeait le véhicule de bois branlant en descendant les collines de Gaza pour se diriger vers la côte. En tout trois kilomètres à travers l’eau, le sable et des graviers. La plupart des voyageurs sont allés à pied, incapables de se payer le luxe relatif d’un voyage de 2$ sur une charrette tirée par un âne.
Les soldats invisibles Dix minutes et plusieurs bleus plus tard, nous étions retournés sur la route principale, un peu plus mouillés et un peu plus sages (j’ai réalisé que porter des pantalons blancs pour faire le trajet avec un âne n’est pas très intelligent). Nous avons fait signe à notre deuxième taxi qui nous a transportés un kilomètre au sud de notre prochain obstacle : le check -point d’Abu Huli qui divise le sud de Gaza du nord. Ce check- point a été monté au milieu de terres agricoles parmi les plus fertiles de Gaza au début de l’Intifada Al-Aqsa. Plusieurs dizaines d’hectares de terre, certains appartenant à ma propre famille, ont été confisqués et rasés dans ce processus. Des voitures s’étaient arrêtées le long de la route principale et notre chauffeur nous a dit que nous ferions mieux d’attendre sans lui étant donné que cela risquait d’être très long. Nous nous sommes abrités dans une cafétéria de fortune. Nous avons attendu pendant quatre heures au milieu d’un troupeau de chèvres errantes et avec des centaines d’autres Palestiniens. A Gaza, nos occupants ne sont que très rarement visibles. Ils se cachent derrière des engins militaires et des tours de snipers lourdement fortifiées. Ils sont dans le cocon de leurs tanks, derrière des blockhaus massifs ou bien ils planent loin au-dessus de nous dans des hélicoptères Apaches américains. Ils dirigent leurs check- points par télécommande et nous crient leurs ordres par mégaphone. Le soldat invisible qui contrôlait le check- point d’Abu Huli, en a profité pour nous railler. « Retournez » cria-t-il en hébreu de derrière une fenêtre noircie, dont seul le bout de son fusil était visible. « Nous n’allons pas ouvrir pour vous aujourd’hui ! »
Impulsif et cruel L’expérience nous a appris à ne jamais faire confiance au soldat invisible derrière les fenêtres noircies. Tout à coup, sans prévenir, la lumière rouge près du check-point a tourné au vert. La foule de Palestiniens qui étaient coincés à Abu Huli s’est précipitée pour trouver un siège dans les voitures surpeuplées qui attendaient pour passer aussi rapidement que possible le check- point. Leçon numéro deux : les soldats derrière les fenêtres noircies sont impulsifs et cruels. « Bougez, bande de vaches » hurle la voix derrière la fenêtre, cette fois-ci en arabe écorché Nous avons pris notre troisième taxi jusqu’au point de passage de Rafah, et avons appris que nous avions perdu notre place dans la file – les nouvelles règles exigeant que vous ayez « pris une réservation » pour la date de votre voyage. Ils ne prennent pas en compte, bien sûr, les conditions de voyage à travers la Bande de Gaza. Les Israéliens ne permettent qu’un taxi à la fois, taxi remplis de personnes qui doivent traverser la barrière qui nous sépare de la frontière solidement fortifiée. Nous avons été « jetés » de la voiture 1 à la voiture 36. Après avoir réussi à atteindre la voiture 18, nous nous sommes retrouvés dans un environnement sale, sans ombre et sans chaises. Mon fils s’est mis à pleurer hystériquement. Il avait chaud, était fatigué et perturbé. J’ai commencé à craindre qu’il n’ait attrapé un coup de soleil et finalement un gentil passager m’a offert sa place dans la file. Le pire de la première partie du voyage était terminé. Après quelques heures de plus, nous étions en route pour le Caire. Nous
sommes arrivées dans la capitale égyptienne à 23 heures. Retour à Gaza Après avoir réussi à obtenir mon visa délivré quelques jours plus tard, nous n’avons pas perdu de temps et nous sommes repartis vers Gaza. Nous avons traversé rapidement le Sinaï étoilé, un trajet nocturne de 5 heures, pour arriver à temps au point de passage – Israël a des heures d’opérations strictes : de 8 heures à 18 heures. Après avoir rapidement terminé avec les formalités égyptiennes de passeport, on nous a demandé de nous mettre en file et nous avons attendu les deux premiers autobus que nous devions prendre ce jour là pour une distance de moins de 200 mètres. Le premier nous transporterait que pour quelques mètres, faisables à pied, vers le côté israélien. Comme avec les taxis qui quittent la Bande de Gaza, les Israéliens donnent des ordres spécifiques aux Egyptiens : un seul bus plein à la fois peut partir vers eux. Et cet autobus ne doit pas décharger ses passagers de l’autre côté tant que la dernière personne n’est pas sortie de la zone douanière. Ainsi nous avons attendu l’arrivée de notre bus sous le soleil brûlant. Mais le bus n’est pas arrivé. On pouvait voir au loin le premier des deux autobus calé du côté israélien. Une heure s’est transformée en 2 heures, puis 3 puis 5. L’endroit était infesté de mouches qui bourdonnaient autour de nous, prêtes à festoyer sur le flux journalier de voyageurs épuisés et en sueur. Cela faisait 26 heures que je n’avais pas dormi et je sommeillais sans énergie sur des boites en carton. Mon fils faisait de même, utilisant ses pleurs pour s’endormir dans mes bras alors que je le protégeais avec une moustiquaire.
Une foule débordante Quand notre bus est finalement arrivé 5 heures plus tard, nous avons cédé à un moment d’euphorie comme si l’apparition de ce bus pouvait changer de quelque manière que ce soit la réalité qui nous attendait. Environ 100 personnes et des centaines de bagages étaient entassés dans le bus de 60 sièges qui s’est mis à avancer paresseusement vers le côté israélien du point de passage. Nous avons encore attendu. La brise dehors était fraîche mais le chauffeur a transmis les ordres des Israéliens : nous ne vous laisserons pas passer tant qu’il manquera une seule personne dans ce bus. J’étais à moitié assise sur une pile de bagages, ma tête écrasée contre le plafond, mon visage positionné stratégiquement vers la fenêtre – une petite fente d’un pied de long. La femme à côté de moi m’a proposé de tenir mon fils. J’ai bientôt senti que l’air se raréfiait. Nous étions littéralement en train de respirer l’odeur de 24 heures d’épuisement. Une femme a arraché son foulard et a commencé à taper sur la porte du bus. « Ouvrez … s’il vous plait ouvrez la porte ! Je vais m’évanouir ! » Et elle s’est évanouie. Nous avons aspergé de l’eau sur son visage et l’avons ventilée à l’aide une boite de carton. Rapidement une autre femme est tombée au sol. Ma mère, médecin, l’a examinée et a trouvé qu’elle n’avait presque plus de pouls. Tout le bus s’est mis à protester et le chauffeur a finalement ouvert la porte. Nous avons crié aux Egyptiens pour demander de l’aide : « Nous avons deux femmes qui sont tombées ici et il n’y a plus d’eau ». « Qu’auriez vous fait si vous aviez attendu sur la frontière pendant 20 jours ? » a dit l’officier, en faisant allusion aux 3.000 Palestiniens qui avaient été bloqués au point de passage en août. De leur propre aveu, les Egyptiens sont impuissants. Tout ce qui se passe ici, se passe selon les ordres israéliens et les officiers égyptiens sont complices dans l’élaboration et l’orchestration des actes d’humiliation.. Avec nous se trouvent aussi deux enfants, accompagnés de leurs parents. Ces enfants souffrent de paralysie cérébrale. Le père de l’un d’eux a aperçu l’officier égyptien et est sorti du bus en courant vers lui. « Ne pouvez-vous rien faire ? » cria-t-il. « Regardez mon fils, bon dieu ! Ceci est inhumain. S’il vous plait ! » Les passagers ont considéré ses supplications comme une intervention futile et ont lutté avec lui pour le ramener dans le bus. Il s’est effondré en pleurs.
Punition collective Les Israéliens ne semblent pas être dérangés par le fait que des êtres humains empilés dans des bus étaient pratiquement en train de suffoquer à mort devant eux. Au lieu de cela, ils ont laissé passer camion après camion transportant des graviers et du ciment, matériel utilisé pour construire la « zone tampon » de Rafah et le Mur de Séparation de Cisjordanie. Comme si cela avait été calculé pour que la souffrance des voyageurs du bus soit au maximum tout en minimisant les risques d’accidents, les Israéliens ont donné à notre bus le feu vert pour passer neuf heures après notre arrivée. J’ai ressenti une envie inhabituelle de frapper le premier soldat israélien que je verrais. Malheureusement, nous nous sommes retrouvés face à face avec la mitrailleuse d’officiers de la police des frontières en civil. En nous rendant nos passeports tamponnés ils ont joint à ceux-ci la dernière arme de l’arsenal israélien : une publication de propagande titrée « La Vérité ». Arrêtez de lancer des missiles Qassam et nous arrêterons de vous punir collectivement, disait le feuillet. Vous souffrez aux check- points et êtes coincés au point de passage de Rafah à cause de vos propres actions et par effet de vos « organisations terroristes ». Sur le dos de la brochure se trouvait un dessin montrant un arabe à l’air mauvais tirant un missile qui se retourne contre la « société palestinienne ». « Le terrorisme vous tue » disait la légende. J’ai pensé, maintenant cela prend du sens. Nous les forçons à nous punir, à nous humilier, a piéger nos handicapés, nos vieillards et nos jeunes dans des petits bus délabrés dans la chaleur de midi, pendant des heures sans fin jusqu’au moment où ils s’évanouissent et parfois, s’il y a des femmes enceintes, celles-ci font des fausses couches. Maintenant
je comprends clairement la logique israélienne : (pour eux) leur
occupation cruelle et illégale de notre terre est le résultat de nos
actions. |
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