AFPS Nord Pas-de-Calais CSPP

   


Bonjour,

Aujourd'hui, j'envoie 3 textes en une seule fois car c'est ensemble qu'ils
trouvent leur cohérence. Ils émanent des contacts que j'ai pu avoir avec les
Israéliens, en Israël.

Tout cela n'est qu'un carnet de voyage, incomplet et subjectif, mais c'est
la vie au quotidien que je cherche à vous transmettre, sans parti pris,
hormis celui de la défense des droits humains.

Je dois préciser que les amis israéliens qui m'accueillent chez eux et qui
sont à l'origine de cette découverte de «l'autre côté » que je ne
connaissais pas, savent que j'ai écrit ces 3 petits articles. Je les ai lus
à mon amie francophone. Il était convenu entre nous que je les détruisais si
tel était sa volonté. Il n'en a rien été et c'est grâce à son ouverture que
je peux, aujourd'hui, vous les envoyer.

Bien amicalement,

                                    Marie-Jo (IWPS), novembre 2004

-----------------------------------------

UNE MOSAIQUE D'ORIGINES

C'est mon 4ème séjour au Proche-Orient, mais ce voyage est différent. Des
Israéliens, j'en ai toujours croisés, dans les Territoires, militants pour
la paix et solidaires de leurs voisins occupés.

Mais, cette fois-ci, je suis invitée par une famille israélienne. Et
j'oscille ainsi, entre Israël et Palestine, allant chercher chez eux un peu
de détente après quelques semaines, dans les villages, à aider les
Palestiniens à la cueillette des olives.

Elle est francophone ; on parlait français, à la maison, en Egypte, pays
qu'elle a quitté à l'âge de 5 ans pour Israël. Lui ne parle ni français, ni
anglais et seules les traductions de son épouse me permettent de saisir ce
qu'il m'explique. Mais, je n'ai pas besoin de mots pour comprendre combien
il est sincère dans l'amitié qu'il me porte, il est des circonstances où
l'absence de langue commune nous évite tout camouflage et laisse libre champ
à l'essentiel.

Nous passons des heures à discuter. Mon amie est séfarade et le verbe est
assurément une composante importante. Elle me présente à ses voisins et ses
amis et ce sont autant d'occasions de mieux connaître la société israélienne.

Je savais qu'elle était multiple et j'en ai une confirmation impressionnante.

Les origines restent un repère important dans l'identification de la personne.

Le mari est né dans le pays, mais ses parents étant venus d'Europe, il est
décrit comme Ashkénaze par sa femme. Elle, par contre, a pu reconstituer son
arbre généalogique et elle sait que, venant d'Espagne, ses ancêtres se sont
installés dans la région d'Hébron au 15ème siècle, le court intermède
égyptien n'ayant été provoqué que par le désir d'éviter, à son grand père,
le service dans l'armée ottomane, pendant la 1ère guerre mondiale.

Il y a les Marocains, comme cette mère et sa fille avec lesquelles nous
passons la soirée et qui nous expliquent qu'elles avaient un complexe
vis-à-vis des Ashkénazes « réputés plus instruits, plus efficaces ». Les
Tunisiens sont aussi francophones, bien sûr. Quant aux Juifs d'Algérie, ils
ont, parait-il, surtout rejoint la France, leur nationalité française y
ayant facilité leur implantation.

Les Yéménites sont nombreux dans cette ville. Un homme nous raconte son
histoire. 60 familles juives vivaient en Arabie Saoudite, protégées par le
roi. Mais ce dernier ordonne, en 1948, le recensement de tous leurs biens,
préalablement à leur départ vers Israël. Puis, toutes ces richesses étant
chargées sur 10 chameaux, les familles sont accompagnées jusqu'à la
frontière du Yémen. Mais, pendant la nuit, les chameaux et leurs précieux
chargements disparaissent et tous doivent fuir les soldats du roi qui se
font menaçants. Cet homme avait 4 ans, à l'époque. Le transfert vers Israël
prendra, ensuite, plusieurs années et, finalement, après avoir rejoint Aden
à pied, c'est par avion que le périple se termine.

Et, il y a les Ethiopiens qui sont arrivés en masse dans les années 90. « En
3 h d'avion, un saut de 2000 ans » ! Et que l'on reconnaît bien de par leurs
caractéristiques physiques.

Il y a aussi les Russes. Ils sont venus, essentiellement, après la fin de
l'Union Soviétique. Parfois, certains époux ne sont pas juifs. Partout, des
journaux leur sont consacrés, beaucoup de boutiques, de lieux publics ou,
même, des émissions de télévision sont dans les 2 langues, hébreu et russe.

Et puis tous les autres, l'un est né à Vienne et, avec ses parents, a fui le
nazisme, en 39, à l'age de 13 ans. Cette femme, que nous rencontrons à la
piscine, n'a pas eu cette chance. Elle avait 15 ans lorsqu'elle est sortie
d'Auschwitz et elle me montre le numéro tatoué sur son avant-bras gauche.

En dehors des pays d'Extrême Orient, y a-t-il un seul pays non représenté en Israël ?


DES HISTOIRES DE...

Ce matin, au petit déjeuner, mes amis israéliens ont entrepris de
m'expliquer leur pays. Et, le sourire aux lèvres, ils me parlent de vieux
stéréotypes en cours dans leur société. Nous avons les histoires belges, ils
ont leurs a-priori, en fonction des pays d'origine des citoyens juifs !

Les Allemands sont bornés, les Roumains sont voleurs et ce sont les femmes
polonaises qui sont manipulatrices et méchantes ! Les Iraniens sont avares,
les Iraquiens portent le pyjama, image liée à la djellaba rayée, écru et
noir, que certains continuent à utiliser. Les Ethiopiens sont dits « les
pièces d'occasion » des Yéménites, quant aux Marocains, on les symbolise par
« le couteau », car ils sont réputés de sang chaud !

Dans la petite ville qui m'accueille, la communauté yéménite est importante.
Et il y a un quartier éthiopien, bien reconnaissable compte tenu de la
couleur de peau des habitants et des tenues vestimentaires de nombreuses
femmes qui gardent leurs longues robes et leurs voiles de là-bas. Ils
pratiquent, parait-il, une religion qui remonte au 1er temple.

Maintenant, nous évoquons les kibboutzim, dont on parlait tant dans mon
adolescence. Exploitations, à l'origine agricoles, certains se sont
diversifié vers l'industrie ou le commerce. Tous étaient organisés sur un
principe collectiviste. Les familles avaient leur maison mais tout le reste
était vécu en commun : restauration collective, les enfants en charge de la
Maison des Enfants et repris par leurs parents quelques heures par jour, pas
de salaire mais chacun recevant selon ses besoins, décision par vote majoritaire...

Ce sont les kibboutzim à tendance religieuse progressiste qui semblent
résister le mieux à la modernité car nombreux sont ceux qui se désintègrent.
Les jeunes ont découvert le monde extérieur et ne veulent plus de la vie de
leurs parents. Le restaurant disparaît, les kibboutziques vont travailler à
l'extérieur, la collectivité ne se retrouvant plus que pour le culturel et la santé.

Cette évolution ne se fait pas sans poser des problèmes sociaux sérieux. La
population vieillie n'a jamais cotisé pour une quelconque couverture sociale
et, proche de l'âge de la retraite, elle assiste à la disparition de la
structure qui laisse beaucoup de ses membres sans qualification monnayable
et sans revenu raisonnable pour les vieux jours !

Les Immigrés ! Il y a le « Ministère de l'Intégration » pour cela, tant le
phénomène a dû être géré à grande échelle.

Les centres « d'intégration des immigrants » leur fournit un accueil de 6
mois à un an avec subsides pour leurs besoins de base, des cours d'hébreu,
les soins médicaux, conseils en tout genre et soutien... Charge à eux de
trouver logement et travail pendant ce lapse de temps, leur départ vers
l'autonomie devant être effectif au bout de ce délai.

Pourquoi sont-ils venus ? Retrouver « leur pays », fuir l'antisémitisme,
pouvoir vivre leur religion en toute liberté, fuir la misère et la faim,
vivre dans un pays démocratique... Les raisons sont multiples, la liste
exhaustive serait certainement plus longue.

Après 89, l'immigration russe a concerné 1 Million de personnes. Partout
dans le pays, les inscriptions en cyrillique témoignent que près du 5ème de
la population est russophone. Il y eut aussi des échecs et certains sont
repartis vers leur pays d'origine ou l'Amérique du Nord.

Et puis, l'épisode des Ethiopiens ! Ils sont arrivés par milliers, dépourvus
de tout, parfois malades. Les soigner, trouver un logement et du travail,
tout fut difficile. Autant d'Éthiopiens que de problèmes. Ce ne fut pas une
petite affaire. Noir, c'est noir, il n'y a rien à faire, une famille
emménage dans un quartier et le quartier se vide ! Les années ont passé et
les Ethiopiens sont stabilisés, pas toujours très bien intégrés, parait-il.

D'aucuns diront « Et la Palestine, dans tout ça ? »

Je suis ici pour dire qu'il est des Droits Humains fondamentaux que nul ne
doit bafouer. Ecouter, témoigner d'un côté comme de l'autre, découvrir les
individus et leur culture, connaître leurs souffrances, représentent un
garde fou au rejet, au racisme et à la haine dont nul n'est à l'abri.


LA DESCENTE AUX ENFERS

La peur, elle est partout en Israël. Traverser le quartier arabe de la
vieille ville de Jérusalem, rentrer la nuit tombée dans les Territoires,
prendre un bus, aussi... C'est constamment que se mélangent phantasmes et
réalités. Et, en conséquence de tout cela, le rejet !

« Les Arabes ne sont pas fiables, ils sont prêts à nous tuer. » « Dans le
Coran, il est écrit qu'il faut tuer tous les Juifs. » « Les enfants
apprennent à l'école qu'il faut haïr les Juifs. » « Les mères envoient leurs
fils se faire exploser et se réjouissent qu'ils rejoignent Allah. »

« Ils n'ont pas la démocratie, on n'a personne avec qui parler. »... « Ils
ne savent pas s'organiser, ils sont corrompus, l'argent part on ne sait où »...

« Ils veulent chasser tous les Juifs. Ils ont beaucoup de pays où aller, nous n'avons qu'Israël »...

Le fossé est immense et donne le vertige. Quel chemin faudra-t-il parcourir,
combien de générations sacrifiées pour arriver à une certaine coexistence ?
Une universitaire juive nous disait, en janvier dernier : « Les Juifs
doivent apprendre à nager dans une mer arabe ». Beaucoup en sont encore loin.

Il y a aussi les arguments de certains religieux. Près d'une colonie, dans
une oliveraie de Cisjordanie, ce berger qui faisait ses prières, enveloppé
de son châle traditionnel, est venu apostropher les Palestiniens cueillant
leurs olives : « Nous sommes le peuple de ce pays » et, voyant, parmi eux,
un Israélien avec une kippa : « Tu portes la kippa ! Tu es avec nos ennemis,
tu es pire qu'un chien ». Un rabbin n'a-t-il pas dit qu'il était licite de
prendre la récolte des Palestiniens puisque Dieu « nous a donné cette terre ».

A cela s'ajoute la méconnaissance de la situation. Ils sont nombreux à ne
jamais avoir eu sous les yeux le trajet de construction du Mur de
séparation. Une brochure publicitaire incitant les Israéliens à venir
s'installer à Ariel, commune de 25 000 habitants, dans le District de
Salfit, en territoire occupé, vante les parcs ombragés, la piscine et le
club du 3ème age, les communications faciles vers Tel-Aviv et Jérusalem et
l'implantation au coeur même du pays. Mais, pas un mot n'est dit sur les
terres palestiniennes sur lesquelles fut construite cette colonie, il y a 30
ans, et sur son environnement immédiat représenté par les villages
palestiniens qui l'entourent.

La souffrance est-elle quantifiable ? Combien de fois, évoquant la vie
quotidienne des Palestiniens, l'enfermement, la présence militaire, le
chômage, toute la vie sociale désorganisée et le désespoir qui permet aux
extrémismes de recruter et de s'étendre, m'est-il rétorqué que les
Israéliens, aussi, souffrent beaucoup,... les morts dans les bus, les
soldats qui sont tués, l'insécurité quotidienne !

Il est très difficile d'arriver à la vraie question : quelles sont les
racines du conflit ? Les réfugiés de 48, l'occupation de 67, la colonisation ?

Les répliques : « les chiffres sont gonflés »... « avant l'Intifada, les
Palestiniens venaient travailler en Israël et vivaient bien » (ce qui m'a
été dit, aussi, par des Palestiniens)... « les Arabes vivant en Israël sont
plus heureux et sont à l'aise économiquement »...

Les discussions sont animées, les divergences sont parfois tellement
immenses que l'envie vous prend de baisser les bras.

Mais, on pense, alors, à ces « Femmes en Noir » qui, tous les vendredis,
manifestent contre l'occupation depuis si longtemps et à tous ceux qui
luttent, sans cesse, pour dénoncer les exactions dans les Territoires et le
grignotage incessant des terres palestiniennes... Sans oublier les
initiatives pour multiplier les rencontres entre les 2 peuples, amorcer un
timide dialogue et affirmer, sans relâche, que la cohabitation est possible...

Mais, combien sont-ils à pouvoir s'ouvrir, ainsi, à leurs voisins, envisager
un compromis, une ébauche de coexistence pacifique ?

Israël ne va pas bien. Un militant israélien citant Lénine disait, l'autre
jour, « on descend toujours avant de remonter ! » et lorsque je lui
demandais s'il considérait qu'ils étaient au fond du trou, il me répondit «
je crains que non ! »

Fasse que cette descente aux enfers, pour ces 2 peuples siamois, trouve
enfin une conclusion au bénéfice de la paix !

Source : Jean-Claude Perron
Ce texte n'engage que son auteur et ne correspond pas obligatoirement à notre ligne politique. L'AFPS 59/62,  parfois en désaccord avec certains d'entre eux, trouve, néanmoins, utile de les présenter pour permettre à chacun d'élaborer son propre point de vue."

Retour  Ressources  -  Communiques  -  Accueil