Jour ordinaire à Yassouf
par Marie-Jo (IWPS)
Hares, le 29 Novembre 2004
Ce matin, j'ai un rendez-vous. 9 h 45 aux blocs, à l'entrée de Yassouf.
C'est un village sur la route qui mène à Salfit, le chef-lieu du
district. Il a été bloqué par des cubes de béton pendant des mois et
la voie n'a été libérée qu'en octobre dernier.
Trajet rapide. Les distances sont courtes en Palestine, le pays est si
petit.
Mais, surprise. Un énorme engin militaire interdit le passage à 100 m.
du village. Le taxi collectif qui allait jusqu'à Salfit libère tous ses
passagers et les rembourse en raison du parcours tronqué.
A pied, tous ceux qui poursuivent leur chemin rejoignent d'autres véhicules
qui attendent à distance. La matinée est sereine, le ciel enfin bleu, et
le soleil nous réchauffe du froid de la nuit.
L'engin se révèle être un bulldozer. De là où je suis, je le vois
saisir d'énormes blocs rocheux qui étaient restés de l'ancien barrage
et gênaient la circulation sur cette route étroite et en très mauvais
état.
Encore trop naïve ou optimiste peut-être, je me dis : « Chaque chose
peut générer le pire et le meilleur. Ces mêmes monstres de fer démolissent
les maisons et peuvent nettoyer une route en quelques minutes ! »
Mais, un attroupement, là-bas, vers la file de voitures qui s'allonge, en
amont des militaires, me pousse à aller voir, de plus près, le travail
en cours. Je découvre, horrifiée, que l'armée est en train de
reconstituer un talus de rochers et de terre qui atteint déjà 3 m. et
obstrue toute la voie.
Les soldats sont autour, mitraillette en bandoulière. Les Palestiniens
assistent, impuissants, à l'opération.
Pourquoi ? Aucune explication cohérente ne peut-être obtenue du
commandant du détachement. En tant qu'Internationales, nous arrivons à
faire entendre que les piétons ne peuvent pas franchir un tel obstacle
et, finalement, le talus est affaissé, latéralement, pour faciliter leur
passage.
Et la vie s'organise, une fois de plus.
Sur les lieux, une ambulance s'est faite piéger. La femme qu'elle doit
emmener à l'hôpital est dans un taxi de l'autre côté. Les 2
ambulanciers arrivent avec leur brancard et escaladent le talus avec leur
patiente. Il y a aussi une livraison de poissons. Les cageots, pleins de
glace, sont transbordés d'un camion à un autre et repartent vers leur
destination finale.
Un homme d'une cinquantaine d'années a du mal à se contrôler lorsqu'il
explique aux soldats. C'est en arabe mais son visage et ses yeux humides
parlent plus que ses mots. En fait, sa voiture allait juste sortir de la
zone et se trouve maintenant piégée. Il va devoir faire un détour énorme
par
des routes sinueuses de montagne.
Un habitant de notre village travaille à Salfit. Avant la construction de
la colonie d'Ariel, il était à 5 km de son bureau. Ce matin, il a dû
faire les 20 km qu'impose le détour pour éviter la colonie
infranchissable pour un Palestinien. Ce soir, il en fera 40 et devra
passer par Ramallah, au Sud,
pour atteindre son village, au Nord.
En fin de matinée, nous sommes repassées par Yassouf.
Tout va très bien, merci !
La compagnie de bus a doublé ses véhicules et quand l'un vous dépose au
talus, le 2ème attend de l'autre côté et prend le relais. Quand nous
sommes passées, un vieil homme, handicapé et se mobilisant à l'aide
d'un trépied, était soutenu par un homme de part et d'autre et terminait
la traversée de ce qui avait dû représenter, pour lui, le parcours du
combattant. Une fourgonnette téméraire escaladait le passage pour piétons,
déjà agrandi...
En février dernier, notre village était bloqué comme cela. Régulièrement,
l'armée venait la nuit pour remonter le talus qui s'affaissait du fait de
la pluie et surtout des Palestiniens, aménageant un passage minimum.
Belle journée d'hiver, aujourd'hui, à Yassouf, en Palestine occupée.
Source : J.C. Perron
Ce texte n'engage que son auteur et ne correspond
pas obligatoirement à notre ligne politique. L'AFPS 59/62,
parfois en désaccord avec certains d'entre eux, trouve, néanmoins,
utile de les présenter pour permettre à chacun d'élaborer son
propre point de vue."
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