AFPS Nord Pas-de-Calais CSPP |
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LAIT NOIR Issa Qaraqi Plus de quatre vingt prisonnières palestiniennes ploient sous le joug dans les prisons israéliennes après avoir, lors de la seconde Intifada, souffert plus que les hommes et avoir été opprimées en prison et dans les cellules d’isolement sous des formes sans précédent: des cartouches de gaz dans la bouche, ligotées, des fouilles à nu, du sang sur le visage et des cris que personne n’entend. Dans cette violence de l’affrontement entre les femmes et les bourreaux vivent deux petits enfants, Waël, un an, et Nour, cinq mois, nés à l’intérieur de la prison, d’accouchements sous l’oppression et dans la souffrance, en un lieu où l’être humain ne peut respirer que l’odeur de l’humidité et où le regard ne rencontre que la mousse de la mort grimpant sur les murs. Les deux enfants prenant le sein ont déclaré leur protestation contre ce lait noir mélangé aux gaz, aux coups et à la répression…un lait autre, au goût de souffrance assiégée, qui ne tombe pas dans la bouche telle une rose, qui n’atteint pas la terre du corps qui veut croître. Une douleur habite l’appel qui cherche à vivre, alors que les deux petits désignent du doigt le liquide amer, buvant les larmes de leurs mères et se liquéfiant comme s’ils voulaient revenir au néant… Le printemps n’est pas arrivé à la prison des femmes cette année. Les anémones ne se sont pas ouvertes, la joie n’a pas étendu ses ailes sur les enfants. L’arbre des femmes est resté nu, les yeux secs, la tendresse des mères se brisant aux portes de fer closes, des lettres qui n’arrivent pas. C ’est la nuit qui est maître de la situation ainsi que le visage du geôlier ne voyant pas le temps se renouveler dans l’être humain. Comment le geôlier a-t-il pu occulter la révérence et le charisme dont fait l’objet la femme dans le monde des légendes et de la mythologie ancienne ? la femme déesse, déesse de l’amour, du feu et de la guerre, déesse du déluge, de la faim et de la pluie… Comme si ce geôlier n’avait pas de dieu et qu’il n’avait jamais traversé un champ où se répand le soleil de la féminité et qu’elle protège. C’est la femme, mère du Martyr, mère des Prophètes et mère du Christ, faisant tournoyer son nouveau-né de la main droite et de la gauche faisant tournoyer la fable de la force, de la puissance et de la stérilité du désert. C’est pourquoi ils ont fermé toutes les issues, ils ont asséché les puits et augmenté le nombre de barrages, de policières et de prisons pour capturer les femmes. C’est un Etat qui a peur d’une femme palestinienne, portant ses grappes de raisin et ses pousses de laitue, qui défie l’encerclement et la pauvreté, avec dans les entrailles un enfant que les Israéliens appellent une bombe programmée. Ils forment des comités d’experts pour le combattre et combattre ses dangers démographiques face au ghetto et au racisme… un Etat qui ne dort pas la nuit s’il apprend qu’une femme a enfanté, même en prison, car il craint la vie et son écoulement. Quatre vingt femmes, quinze mères et huit mineures, à la recherche du lait de l’arbre sacré et d’un nuage envoyant des gouttes de pluie : il n’y a que la question de la longue nuit, et les pleurs de la mer, dépassant les pleurs de Jazia*, les hurlements de détresse de Al Khansa*. Les rapports en provenance des prisons s’intensifient et parvient la question des prisonnières : comment les gens acceptent-ils la violation de leurs valeurs et de leur honneur entre les mains de leurs ennemis ? Pourquoi ne vous préoccupez-vous pas de nous ? les gardiens ont envahi la cellule, ils nous ont attachées... ils nous ont traînées par terre, ils nous ont aspergées de gaz, ils nous ont obligées à nous dénuder entièrement. Une humiliation, une décadence incroyable. Alors que le Ministre de la Santé palestinienne nous informe que trente trois enfants sur le point de naître sont morts aux barrages israéliens après que les forces d’occupation aient interdit à leurs mères d’accéder aux hôpitaux… Qui donc peut supporter cette scène alors que les secours sont proches ? qui donc va seller le cheval et mettre un terme aux grands mots et aux épais slogans ? qui va clore les portes des conférences et des chantiers de travail pour écouter les plaintes de l’être humain ? qui va verrouiller les portes du financement des recherches traitant de nos souffrances et des violations de l’occupation dans nos corps ? Qui mettra fin au commerce de la douleur et se suffira d’une lettre et d’un envoi à la petite Aïcha à la prison des femmes ? La fête des mères est passée et pas une rose n’est arrivée à la mère prisonnière, pas un baiser, pas une visite. Seule là-bas, dans un monde cruel gouverné par les bourreaux et les barbares, les cris de la mère prisonnière ébranlent toutes les consciences et les esprits. Sa voie s’épanche comme si c’était le premier lait. Nour et Waël sont les témoins de l’organisation du Grand Moyen-Orient et de la démocratie du massacre qui écrase le miel rouge dans le corps du nouveau-né. Personne ne sourit ici, pas un visage affectueux… une cellule, des soupirs, des brouillards et des filles. Le Jour de l’Enfant est passé, plus de trois cent cinquante mineurs croupissent dans les prisons israéliennes, attendant le dénombrement du matin et la fouille provocatrice du soir ; ils n’attendent pas l’hymne de l’école. Des enfants emprisonnés parce qu’ils ont franchi le mur et qu’ils ont jeté les pierres sur les loups des champs ; ils se sont répandus dans les airs à la recherche d’ailes et d’un bout de ciel… Toutes les occasions sont passées, tapissées de morts et de barbelés. Mirvat Taha tente de presser l’orange de son corps pour que coule le lait. Elle tente d’attraper le chant du chanteur derrière les fenêtres lointaines pour remplir la bouteille du petit de volonté et de confiance en soi, pour tenter de faire parvenir les balbutiements de l’enfant aux plus hautes instances palestiniennes et internationales. Peut-être que là-bas ils sentiront l’odeur de la menthe dans la douleur du petit ? Comment grandira l’enfant ? Tous sont occupés par les enterrements et par les mesures à prendre contre le chaos, nouveau nom de l’Intifada. Occupés par la réforme financière et par les compromis, pour clore les dossiers de corruption. Distraits de l’enfant qui creuse avec ses ongles le mur du corps, à la recherche d’une goutte de lait, d’une lettre qui lui promette l’arrivée d’un ange chargé de sucreries et de ballons… Le ciel retire son bleu et couvre le petit, une nuit de froid dans la prison des femmes… Il lui couvre les yeux pour qu’il ne voit pas… pour qu’il n’entende pas…pour qu’il s’endorme dans la voix d’un oiseau venu lui rendre visite ce soir là… ISSA QARAQI’ poète et ancien prisonnier Traduction Shirine Tannous. * Jazia : Femme arabe de la mythologie que ses parents ont enlevée de force à son mari et à ses enfants. ** Al Khansa : Poétesse arabe (débuts Islam) dont la famille a été tuée au champ de bataille. Texte original (arabe) à : http://www.ppsmo.org/IssaArticles/Articles/art48.htm Source: Liste Assawra |
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