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« Sharon veut le transfert volontaire des Palestiniens »
 Leïla Shahid 

Entretien avec la représentante en France de l'Autorité palestinienne.

Quelle est la situation dans les territoires palestiniens après quatre ans d'Intifada ?

Il faut lire ces quatre années d'Intifada dans leur globalité, en remettant l'Intifada dans son contexte de libération nationale, sans perdre la lecture historique. Il faut d'abord faire le bilan humain. Ce bilan est catastrophique. Il y a 4 344 morts, dont 930 Israéliens, 45 000 blessés dont au moins 10 % sont handicapés à vie. Deux tiers de la population palestinienne vivent sous le seuil de la pauvreté, c'est-à-dire avec moins de deux dollars par jour. Le chômage avoisine les 70 % dans certaines régions, comme Gaza, le nord de la Cisjordanie et Hébron. Ce sont évidemment les régions les plus assiégées par l'armée israélienne parce que ce sont les régions qui résistent le plus, les plus militantes. Il y a 7 500 prisonniers dont 430 mineurs (de 6 à 15 ans), détenus dans des prisons avec des droits-communs israéliens. Ils subissent la violence de ces prisonniers, sont abusés sexuellement. 110 femmes sont emprisonnées. Ils n'ont pas accès aux droits les plus élémentaires. Les arrestations se font selon les lois d'urgence datant de l'époque du mandat britannique et qu'on appelle « détention administrative » et qui n'ont d'administratif que le nom. Ils sont enfermés sans être accusés de quoi que ce soit. Ils sont souvent raflés la nuit, peuvent être détenus pendant six mois, ces six mois peuvent être reconduits pendant dix ans, sans leur fournir un avocat, sans même donner un acte d'accusation. Les Israéliens fabriquent des lois qui leur permettent de se présenter comme une démocratie mais, en réalité, les droits les plus élémentaires sont niés.

L'économie est totalement détruite. Les estimations parlent de plusieurs milliards d'euros de perte. À quoi il faut ajouter les destructions de toutes les infrastructures, de tous les moyens que la communauté internationale avait mis au service des Palestiniens, pour leur permettre, dans un environnement sain, de créer eux-mêmes des échanges économiques. C'est le cas par exemple de l'aéroport de Gaza qui était le seul point de communication internationale que les Palestiniens avaient, qui permettait l'exportation directe des marchandises palestiniennes sans passer par les Israéliens. Il y avait également un projet de port, les investissements existaient, où la France était impliquée de façon majeure avec les Pays-Bas et la Banque d'investissement européenne. Le site de ce port a été détruit par l'armée israélienne et les partenaires sont partis. Les routes qui devaient relier Gaza et la Cisjordanie n'ont pas été construites. Il y a un bouclage total du territoire. Il n'y a plus de circulation entre les villes, les camps. Ce qui signifie qu'il y a un effritement de l'espace national. Jamais la Palestine et le peuple palestinien n'avaient été dans une situation aussi tragique. Cela au vu et au su du monde entier et après onze ans d'un processus de paix qui devait créer un État palestinien. On ne peut pas dire avec plus de force la tragédie que constitue cette régression qui est entièrement l'oeuvre de quatre années de pouvoir d'Ariel Sharon et sûrement aussi de certaines erreurs de l'Autorité palestinienne, de la lâcheté d'une communauté internationale qui a prétendu qu'elle allait accompagner le processus d'Oslo. Mais après l'assassinat d'Ytzhak Rabin, elle a abandonné ce processus et n'a pas joué le rôle de protecteur ni même n'a forcé Israël à respecter les conventions de Genève, à respecter la population palestinienne et son environnement physique.

Certains disent que c'est le résultat de l'Intifada ? Quel est le bilan politique de quatre années d'Intifada ?

C'est une contrevérité totale. L'Intifada n'est pas un processus indépendant d'une réalité sociologique, politique, économique, anthropologique, d'une société palestinienne et d'une société israélienne qui s'affrontent. Elles sont toutes deux tributaires d'un contexte régional, lui-même tributaire d'un contexte international. Mais il faut effectivement faire le bilan politique. Sharon est au pouvoir depuis trois ans et demi (février 2001) et Bush depuis quatre ans (en réalité en janvier 2001). L'alliance Bush-Sharon a été désastreuse, non seulement pour la paix israélo-palestinienne mais pour la paix dans la région, voire dans le monde. Bush et Sharon se sont retrouvés dans une vision identique d'un monde d'après la guerre froide où on nous avait promis de nouvelles règles du jeu international, qui excluait l'affrontement militaire, qui parlait de mondialisation de rapports économiques, politiques, de coopération environnementale. Mais après le 11 Septembre 2001, l'alliance Bush-Sharon nous a entraînés dans une direction totalement opposée. C'est un retour à l'affrontement militaire et, pire, à la guerre préventive. C'est une vision d'un axe du Bien et un axe du Mal qui se confrontent. Évidemment Israël est dans l'axe du Bien, la Palestine et tous les Arabes sont dans l'axe du Mal. Bush pense qu'en s'appuyant sur les événements terribles du 11 Septembre, il peut mener une guerre d'hégémonie pour l'instauration d'un nouvel empire américain dont l'alibi serait la guerre antiterroriste. C'est ainsi qu'ils ont permis à Sharon d'identifier la résistance palestinienne à l'occupation militaire israélienne à une forme de terrorisme. Or il y a une logique de l'occupation. Il est donc historiquement inexact de comparer les formes d'action qui existent en Palestine (dont certaines sont condamnables) avec celles des réseaux al Qaeda qui n'ont rien à voir avec la résistance palestinienne. Mais Sharon a dit : « Mon Ben Laden, c'est Arafat. » Si Sharon a pu diaboliser Arafat, c'est parce que Bush était d'accord. Mais aussi parce que le reste du monde a laissé écarter un homme élu par les Palestiniens. Et aujourd'hui, avec l'occupation, on renie aux Palestiniens le droit de choisir leurs propres représentants. C'est très grave.

Sharon n'est-il pas en train d'arriver à ses fins ?

Sharon est le dirigeant le plus dangereux qu'Israël ait jamais connu. Il dit ce qu'il va faire et il fait ce qu'il dit. Lorsqu'il est arrivé au pouvoir, il a déclaré au journal israélien Haaretz que la guerre de 1948 n'était pas terminée. Cela veut dire qu'il est en guerre contre tout le peuple palestinien. Une guerre unilatérale puisqu'il n'y a pas d'armée face à lui. Pendant ces quatre années, le monde a considéré que les actions de l'armée israélienne n'étaient que la réaction face aux kamikazes qui tuent les civils israéliens. Les gens ont oublié qu'il s'agit avant tout d'une occupation militaire et d'une résistance légitime contre cette occupation (même si nous condamnons certains actes).
Sharon a voté contre les accords d'Oslo, contre la paix avec la Jordanie et même contre les accords de paix avec l'Égypte. Étant contre tout ça, il s'est attelé depuis qu'il est arrivé au pouvoir à détruire ce qui s'était fait. C'est une double stratégie. D'abord, la destruction des institutions nationales palestiniennes et avant tout la présidence palestinienne. Le retour d'Arafat en 1994 c'était la territorialisation du combat des Palestiniens sur le sol de leur patrie et la constitution sur ce sol des prémices d'un État, en Cisjordanie, dans la bande de Gaza et Jérusalem-Est comme capitale. C'est ça la signification d'Oslo. Voilà pourquoi Sharon veut détruire la symbolique de la présence d'Arafat. C'est aussi pour ça qu'il veut détruire la continuité de l'espace géographique de la Cisjordanie avec la construction du mur et en arrachant à Bush le 14 avril 2004 l'annexion des grandes colonies comme Ariel, Maale Adumim et Gush Etzion. Il ne resterait donc que des bantoustans qui ne sont pas viables. Dans la tête de Sharon cette situation doit pousser la population à partir. C'est ce qu'il appelle le transfert volontaire.

Cette politique a des conséquences politiques au sein du mouvement palestinien ?

Bien sûr. C'est une politique voulue du chaos. Sur le plan de l'affrontement malgré quelques incidents les choses sont revenues à un juste milieu. La société civile palestinienne est très attentive à éviter la guerre civile, car elle pourrait nous faire perdre les acquis du mouvement national. C'est pourquoi la communauté internationale doit assumer ses responsabilités pour protéger le peuple palestinien et permettre la tenue d'élections qui devraient démarrer le 9 décembre. Ce qui permettrait une dynamique de reconstruction de la démocratie. C'est un pari courageux de l'Autorité palestinienne. Mais il faudra l'aide de tous les amis de la Palestine, sur le plan populaire, politique, syndical et gouvernemental pour que ce pari réussisse.

Entretien réalisé par Pierre Barbancey

Source : Liste Assawra

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