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La Déléguée générale de Palestine en France, Leïla Shahid, était samedi au siège de l'Humanité, où elle était l'invitée des 2es Assises de notre journal. L'occasion pour elle de faire le point sur la situation au Proche-Orient.
- Leïla Shahid. La "feuille de route" est, pour nous, en elle-même, quelque chose que nous souhaitions depuis maintenant pratiquement un an. En mars 2002, pour la première fois, un président américain parle d'une solution basée sur deux États et un État palestinien viable et souverain. C'est une chose positive. Mais les discours ne suffisent plus du tout. De mars 2002 à maintenant, les envoyés spéciaux du "quartet" (États-Unis, Russie, UE et ONU), ont travaillé sur un document qui réunirait tout ce qui n'a pas été mis en oeuvre dans les accords d'Oslo, de Wye River, Charm el-Cheikh, dans les recommandations Mitchell, Tenet, avec la proposition de paix du prince Abdallah d'Arabie saoudite. Tout ce qui a été officiellement inclus par les deux parties est inclus dans cette " feuille de route ". Il y a trois choses nouvelles qui n'étaient pas dans les accords d'Oslo tels qu'ils étaient rédigés : on donne une finalité à ce processus, une date très précise qui est 2005 pour la création d'un État palestinien souverain et indépendant. Deuxièmement, il est spécifié qu'il y a un mécanisme de mise en ouvre de surveillance de cette " feuille de route " qui inclut le "quartet". Ce mécanisme de surveillance a un calendrier très précis, vérifier que les Palestiniens et les Israéliens remplissent leurs obligations et que ces mesures sont prises dans une simultanéité et un parallélisme total. Mais les Israéliens, lorsqu'ils ont accepté sur le plan formel la " feuille de route ", ont bien précisé qu'ils avaient 14 objections, écrites et remises officiellement à Condoleezza Rice juste avant Aqaba. Les Américains ont dit qu'ils les prendraient en compte dans la mise en oeuvre... - Qu'est-ce que cela signifie ? - Leïla Shahid. Parmi ces réserves on trouve le refus d'un État souverain et indépendant, le refus du gel des colonies, le refus de prendre en considération la proposition du prince Abdallah. Donc des objections qui enlèvent tout intérêt et toute utilité à cette "feuille de route". À Aqaba, les Israéliens et les Palestiniens devaient, d'après la première étape de la "feuille de route", chacun ou ensemble, faire une déclaration où ils reconnaissent l'autre et s'engagent à arrêter la violence. Abou Mazen a fait ce discours mais pas Sharon. Il ne s'est pas engagé à respecter ce qu'il doit faire dans la première phase, à savoir le gel de la colonisation. La chose la plus importante à Aqaba était la présence de Bush. Le même qui venait de passer deux ans et demi à dire je ne vais pas m'occuper du Moyen-Orient parce que la priorité c'est l'Irak. S'il est venu personnellement à un tel sommet c'est que sa stratégie a été modifiée. Parce qu'il a bien compris qu'il n'arrive pas vraiment à faire la paix en Irak. Et il ne la fera pas de sitôt. Il a donc besoin d'une image de faiseur de paix. Le lieu qui continue à être le foyer qui menace le plus la paix, c'est le conflit israélo-palestinien. Il ne peut donc pas faire autrement, au moins sur la forme, qu'une tentative de sommet où il apparaît comme un homme de paix. Jusqu'où ira-t-il dans sa tentative ? On n'a pas vraiment l'impression que les choses ont changé côté américain. - La feuille de route est issue du Quartet, pourtant on ne voit que les Américains ? Que se passe-t-il ? - Leïla Shahid. Les sommets de Charm el-Cheikh et d'Aqaba étaient organisés par les Américains qui n'ont pas souhaité inviter leurs partenaires du "quartet". Ce que je regrette énormément. C'est déjà un mauvais départ pour la "feuille de route". Si celle-ci n'est pas supervisée par un mécanisme de surveillance du "quartet", elle ne sera jamais mise en oeuvre. Parce que les Palestiniens n'ont pas confiance dans un mécanisme de surveillance mis en oeuvre uniquement par les Américains. Ce mécanisme, promu par le "quartet", est très développé dans tous ses aspects, que ce soit la surveillance sécuritaire ou sur le gel des colonies ou sur la levée du bouclage. C'est un travail sérieux mais il n'a pas encore été rendu public parce que les Israéliens refusent le "quartet". De nombreux ministres israéliens disent d'ailleurs qu'ils n'ont pas accepté la "feuille de route". C'est pourquoi au lendemain d'Aqaba, alors qu'il était convenu qu'il fallait donner une chance aux Palestiniens pour conclure une trêve politique avec le Hamas, ils ont tenté d'assassiner l'un de ses dirigeants et ont déclenché ce qui était inévitable, une vengeance du Hamas. Comme le gouvernement israélien ne veut pas de la "feuille de route", il ferme les portes même si cela se faisait au détriment de ses propres citoyens. - Qu'est-ce que l'Autorité palestinienne peut mettre en balance dans ses discussions avec des groupes comme le Hamas, le Djihad islamique ou les Brigades d'Al-Aqsa, pour obtenir un accord politique palestinien, apte à arrêter les violences et permettre la mise en oeuvre de la "feuille de route" ? - Leïla Shahid. Avant tout, le fait que la population palestinienne est exténuée, elle ne croit plus que la résistance militaire peut suffire pour leur permettre de gagner la bataille aujourd'hui de la libération des territoires ou de rester dans la situation actuelle. Le dialogue intérieur palestinien a commencé en octobre, au Caire. Il y a le Hamas, le Djihad, les brigades Al-Aqsa et le Front populaire. Ce dialogue repose sur le bien-fondé de la lutte armée ou non. Parce qu'il est évident qu'après chaque action militaire contre Israël dans les territoires palestiniens et surtout après chaque action kamikaze contre des civils israéliens, il y a des conséquences immédiates contre la population. Celle-ci a donc envie de donner une chance à la paix si les Israéliens font leur part. Nous sommes entrés, après la fin de guerre en Irak, dans une phase où les pressions des États arabes sont importantes. La Syrie ou l'Iran appellent leurs partisans, que ce soit le Hezbollah ou le Hamas ou le Djihad islamique, à baisser leur pression militaire parce qu'eux-mêmes, en tant qu'État, sont sous pression américaine. Il faut une trêve, c'est-à-dire une suspension des hostilités militaires pour voir vraiment si l'autre est prêt à faire une trêve. Pendant cette trêve, on verra ce qu'on est capable de mettre en oeuvre dans la "feuille de route". C'est exactement le contenu des discussions qu'Abou Mazen a eues au Caire et à Gaza avec les dirigeants de tous les mouvements palestiniens. Le Hamas avait dit qu'il était prêt à annoncer une trêve. C'est pour cela que le Premier ministre palestinien s'est rendu à Aqaba. La tentative d'assassinat du dirigeant du Hamas est un sabotage par Israël de ce travail de construction d'une trêve entre Abou Mazen et le Hamas. Israël n'a pas réussi à se débarrasser de Yasser Arafat et maintenant elle voudrait que la guerre civile éclate au sein de la société palestinienne. entretien réalisé par Pierre Barbancey in L'Humanité |
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