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Un entretien avec Leïla Shahid, déléguée générale de la Palestine en France. Leïla Shahid pense que la nomination d'Abou Mazen ouvre la voie à la reprise du processus débouchant sur un État palestinien, sachant que sa création doit être garantie par la communauté internationale. L'attentat suicide qui s'est produit à Kfar Saba est-il lié à l'annonce de la formation du cabinet Abou Mazen, comme le disent certains commentateurs, qui y voient un avertissement au nouveau gouvernement ? Leïla Shahid. Absolument pas. Cet attentat répond, comme les précédents, à une série de meurtres ciblés commis par l'armée israélienne contre des militants palestiniens de différentes organisations. Celles-ci répondent par des représailles qui, malheureusement, touchent des civils. Mais il faut savoir que, au cours du mois écoulé, il y a eu plus de cent civils palestiniens tués, dont des enfants, pour la plupart victimes des missiles utilisés par Israël lors de ces " meurtres ciblés " qui touchent la population se trouvant dans les parages. C'est un cycle terrible, qui ne s'arrêtera pas tant qu'il n'y aura pas la perspective d'une solution politique. Cette fois, ce sont les Brigades des martyrs d'al Aqsa qui ont revendiqué l'attentat. Or, elles sont liées au Fatah, dont fait aussi partie Abou Mazen. Leïla Shahid. Il faut bien comprendre qu'il y a, depuis le début de l'Intifada, une coordination totale entre les diverses organisations palestiniennes présentes sur le terrain : Hamas, Jihad islamique, Front populaire, Brigades, etc. Toutes considèrent comme légitimes les réponses armées aux attaques armées israéliennes et à une répression qui n'a jamais été aussi terrible. Cette coordination des activités militaires sur le terrain échappe aux politiques, et je pense qu'elles continueront tant qu'il n'y aura pas une suspension des meurtres ciblés de la part d'Israël. Cela donne une idée de la difficulté de la tâche qui attend le nouveau Premier ministre : s'il veut réussir, il doit absolument obtenir cette suspension et l'arrêt de ce qu'il faut bien appeler du terrorisme d'État. Abou Mazen condamne depuis longtemps le recours aux attentats, et même à la lutte armée. Ne va-t-il pas se heurter à ceux qui les pratiquent ? Leïla Shahid. Abou Mazen a défendu une position courageuse, mais qui n'est pas partagée par tous les Palestiniens. Elle consiste à dire que l'Intifada armée a été néfaste à la cause palestinienne. Il est certain qu'il aura du mal à convaincre, si Sharon et l'armée israélienne ne suspendent pas leur répression armée contre les Palestiniens. Les déclarations de Sharon au journal Haaretz, où il parle de " concessions douloureuses " à faire pour la paix, comme le retrait de certaines colonies, ne sont-elles pas encourageantes, alors que le président Bush s'apprête à publier la " feuille de route " qui doit aboutir à la création d'un État palestinien ? Leïla Shahid. Ce qui serait encourageant, ce serait que Sharon accepte la feuille de route telle qu'elle est, comme nous l'avons faite. Or, il a demandé 15 modifications, dont la suppression de la référence à un État palestinien indépendant. Les Américains ont dit qu'Israël devait accepter cette feuille de route telle qu'elle est, et j'espère qu'ils seront fermes sur cette position. Car la feuille de route est le résultat de plus d'un an de discussions du Quartet (1) avec tous les acteurs du conflit. Elle résume tous les accords signés depuis Oslo, plus les conclusions des rapports Mitchell et Tenet et les propositions du plan saoudien présenté l'an dernier à Beyrouth : la normalisation des relations du monde arabe avec Israël, contre un retrait total des territoires occupés. La balle est donc dans le camp d'Israël, puisque la dernière condition pour la publication de cette feuille de route, à savoir la formation du gouvernement palestinien, est remplie. Il semble que Yasser Arafat ait eu beaucoup de mal à s'y résoudre. Pourquoi ? Était-ce une question de personnes, notamment autour de la nomination de Mohamed Dalhan à la sécurité intérieure ? Leïla Shahid. Yasser Arafat a fait tout ce qu'on lui demandait sur le plan des réformes. Mais il était conscient de la tentative qui est faite de le mettre à l'écart de la suite des négociations de paix. C'était donc extrêmement douloureux pour lui, président légitimement élu, d'accepter cela. Il l'a fait parce que les intérêts du peuple palestinien passent avant les siens et parce que ce qui l'intéresse, maintenant, c'est la feuille de route et le fait que la communauté internationale reprenne vraiment en main le processus de paix, après nous avoir beaucoup déçus. C'est une des choses nouvelles de la feuille de route : elle prévoit un mécanisme de contrôle et de surveillance des mesures qui doivent être prises par les deux parties, et qui sont, cette fois, des mesures parallèles. Elle prévoit aussi, pour la première fois, une date pour la création de notre État : 2005. Une procédure de surveillance et un calendrier, c'est ce qui avait manqué aux accords d'Oslo, selon le rapport Mitchell. J'espère que, cette fois, la communauté internationale assumera ses responsabilités. Ce matin même, le président Arafat a d'ailleurs téléphoné au président Chirac, afin de lui demander de ne pas relâcher ses efforts pour que la feuille de route réussisse. C'est notre seule lueur d'espoir alors que le peuple palestinien n'a jamais, depuis plus de cinquante ans, connu une situation aussi terrible. Entretien réalisé par Françoise Germain-Robin paru dans l'Humanité du 25.04.03 (1) États-Unis, Union européenne, Russie, ONU |
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