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Leïla
Shahid : " Un discours dangereux et irresponsable " La déléguée de la Palestine en France réagit au discours de George Bush. Elle dénonce les conséquences dangereuses du chantage américain. Quelle appréciation portez-vous sur l'intervention de George Bush ? Leïla Shahid. C'était un discours attendu et ce fut un très grand choc. Nous étions à mille lieux de penser que le président américain allait demander le départ de Yasser Arafat. En l'éliminant, Bush se prive du seul partenaire de paix pour les Israéliens et ne laisse de place qu'à des hommes comme Cheikh Yassine [fondateur et guide spiri] uel de l'organisation intégriste Hamas - NDLR]. C'est un discours indigne et irrespectueux. Il conditionne le droit inaliénable de tous les peuples à l'autodétermination dans le cadre d'un État, à l'appréciation portée sur le leadership de cette nation qui n'est autre que son choix démocratique. Au moment même où la situation entre Palestiniens et Israéliens atteint un degré de gravité jamais égalé depuis cinquante-quatre ans, le fait que le président américain pose le changement de direction palestinienne comme préalable à la création d'un État est irresponsable. Et les répercussions d'une telle position sont très dangereuses. L'armée israélienne va utiliser ce blanc-seing contre toutes villes palestiniennes en particulier contre la bande de Gaza dont Ariel Sharon prépare l'invasion. Toutes les thèses défendues par Bush, en particulier celle de considérer Yasser Arafat comme obstacle à la paix, sont celles d'Ariel Sharon qui se voit ainsi récompenser d'avoir mené la guerre contre les Palestiniens depuis vingt mois. Aux dires du ministre israélien des Télécommunication lui-même, Reuven Rivlin, il semble que cette allocution a été écrite par un membre du Likoud. L'allocution de George Bush annonçant une initiative américaine était prévue de longue date. Qu'en attendiez-vous ?. Leïla Shahid. Le président
Bush se devait de remettre en marche les mécanismes diplomatiques
internationaux - impliquant aussi les autres partenaires et les Nations
unies - pour relancer véritablement le processus de paix. Il parle de la
création d'un État palestinien mais provisoire et dans trois ans. Or la
situation est explosive et ne peut pas attendre trois mois. La création
d'un État palestinien ne peut pas être un cadeau de Washington, c'est la
consécration de plus d'un demi-siècle de lutte du peuple palestinien
pour sa reconnaissance internationale et contre sa disparition. George
Bush ne propose aucun plan. Dans son discours, il ne fait aucune référence
aux partenaires impliqués dans un processus d'accord ni aux bases
juridiques sur lesquelles cet accord se doit de reposer. Il ne parle ni de
la résolution 1 397, proposée par les Américains eux-mêmes au Conseil
de sécurité en mars dernier (1), ni des résolutions 1 402 et 1 403
d'avril exigeant le retrait de l'armée israélienne des territoires que
les États-Unis ont votés. Il ne mentionne ni le plan Mitchell [qui
recommande l'envoi ] 'une force multinationale de paix sous l'égide de
l'ONU en Palestine- NDLR], ni le plan de travail élaboré par le
directeur de la CIA, George Tenet, en vue de la conclusion d'un cessez-le
feu et de la reprise des négociations. Les accords de Charm el-Cheikh, le
plan de paix saoudien sont laissés aux oubliettes de même que les décisions
prises à Madrid par le " quatuor " formé par des représentants
des États-Unis [il s'agissait de Colin P] well le secrétaire d'État américain
- NDLR], de l'Union européenne, de la Russie et de l'ONU. Elles portent
non seulement sur la crise actuelle mais aussi sur l'approche générale
à un règlement global au Proche-Orient. George Bush ne fait même pas
allusion à une conférence internationale. Ce discours ne propose rien
allant dans le sens d'un règlement et reste un compromis entre les différents
courants de l'administration américaine dont le seul objectif affirmé
est la guerre contre le terrorisme. Reste à définir ce que les États-Unis
entendent par terrorisme quand, dans la bouche du président américain,
les victimes deviennent les responsables de l'occupation et de la guerre.
J'ai l'impression que nous sommes entrés dans une des phases les plus
inquiétantes de la stratégie américaine. Le ministre français des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, s'est rendu en Israël et en Palestine où il a rencontré Yasser Arafat à Ramallah. Il était porteur de propositions européennes. Dans ces conditions quel rôle peut jouer l'Europe ? Leïla Shahid. La visite de Dominique de Villepin au moment même où Bush intervenait est une bonne chose. Il a pu se rendre compte par lui-même de la réalité de l'occupation en rendant visite à Arafat assiégé. Il est évident que la position de Bush et les répercussions qu'elle entraînera sur la politique d'Ariel Sharon vont intensifier la guerre. Il existe un énorme risque de déstabilisation non seulement dans les territoires palestiniens mais aussi dans les pays voisins. Il est primordial que l'Union européenne exprime sa propre vision d'une solution. Il en va de la stabilité dans toute la Méditerranée. L'Europe a trop à perdre en Méditerranée pour se permettre de rester arrimer à la puissance américaine qui, à force de décisions et d'actions unilatérales, est en train de conduire le monde vers des confrontations militaires. Le président Bush a détourné les exigences d'une paix au Moyen-Orient, de stabilité au profit d'une vision de guerre antiterroriste qui risque de nous emmener malheureusement vers plus de terrorisme. Je ne saurai pas vous dire ce qui peut nous sortir de cette crise sauf peut-être une initiative européenne et arabe pour imposer l'envoi d'une force de protection en Cisjordanie. Des élections en Palestine sont annoncées pour l'année prochaine. · quelles conditions peuvent-elles se dérouler ? Leïla Shahid. Il est hors de question que les Palestiniens puissent organiser des élections dans une situation d'occupation totale. · ce jour, l'armée israélienne a réoccupé toutes les villes palestiniennes de Cisjordanie sauf Jéricho qui par ailleurs est une oasis de 13 000 personnes et est moins stratégique, et la bande de Gaza. Parler d'élections, lorsque la population palestinienne est totalement prise en otage et qu'on a pratiquement détruit toutes les structures de l'Autorité palestinienne qu'elle soit militaire, policière, éducative ou culturelle, est impensable. Sinon à chercher à entériner l'occupation. Entretien réalisé par Dominique Bari, l'Humanité (1) La résolution 1 397 " exprime son attachement à l'idée d'une région dans laquelle deux États, Israël et la Palestine, vivent côte à côte, à l'intérieur de frontières sûres et reconnues ". Le Conseil de sécurité exige " la cessation immédiate de tous actes de violence, y compris les actes terroristes et toutes les provocations, incitations et destructions ". |
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