[Après l'attentat suicide à Karni et l'attaque à la
roquette contre Sderot,
Ariel Sharon a annoncé qu'il "coupait les ponts" avec Mahmoud
Abbas, en
attendant qu'il s'attaque aux groupes terroristes, et ce avant même qu'il
soit effectivement entré en fonction. Abbas n'a donc bénéficié
d'aucune
période de grâce. Yossi Beilin, initiateur israélien des accords de Genève,
écrit qu'il faut au contraire l'aider à réussir]
http://www.washingtonpost.com/ac2/wp-dyn/A8096-2005Jan13?language=printer
Washington Post, 14 janvier 2005
Il faut aider
Mahmoud Abbas à réussir
par Yossi Beilin
Trad. : Gérard pour La Paix Maintenant
L'élection de Mahmoud Abbas (Abou Mazen) n'est pas une surprise. L'ordre
dans lequel s'est déroulée l'élection et la campagne vivante qui l'a
précédée, ont prouvé une fois encore que, si l'Etat palestinien est créé,
ce
sera la première démocratie du monde arabe. Mais l'Etat n'est pas encore
créé, et le système à la tête duquel Abbas a été élu n'est pas
beaucoup plus
qu'un décor de théâtre.
La vraie question n'est pas de savoir si Mahmoud Abbas est sincèrement prêt
à faire la paix et s'il commencera demain à a combattre le terrorisme,
mais
plutôt si les Etats Unis, l'Europe et Israël sont prêts à saisir cette
occasion rare : l'élection à la tête des Palestiniens d'un pragmatique
qui a
participé à tous les processus de paix avec Israël, et qui,
courageusement,
s'est élevé contre l'usage de la violence dans la récente intifada.
Aujourd'hui, Mahmoud Abbas n'a pas besoin de faire ses preuves. A 69 ans,
il
est l'un des hommes politiques les plus "transparents" de la région.
Ses
livres, ses discours, ses interviews et ses actes sont parfaitement
connus.
Même aux moments les plus difficiles de la campagne présidentielle, il a
pris position contre les tirs de roquettes par le Hamas, ce qui lui a valu
d'être durement critiqué par les éléments islamistes.
En 1995, après deux années de négociations, nous nous sommes mis
d'accord
sur ce qui serait connu plus tard comme l'accord Beilin Abou Mazen. Ce
document officieux a servi de base au plan Clinton, cinq ans plus tard,
ainsi qu'aux négociations qui ont conduit aux accords de Genève, conclus
il
y a un an.
Sur le plan personnel, Mahmoud Abbas est quelqu'un de pragmatique, sans être
nécessairement un modéré. Il n'a aucune sympathie pour le sionisme,
mais il
a compris, avant beaucoup de ses camarades, que la détresse du peuple
palestinien ne pourrait trouver sa solution qu'à travers un Etat indépendant
à côté d'Israël, et non à sa place. Dans ses principes, sa conception
d'un
accord de paix définitif n'est pas différente de celle d'Arafat, et, au
moment de vérité, il se peut très bien qu'il adopte une attitude de
bravache, se situant ainsi dans la droite ligne de l'héritage d'Arafat.
Mais
la vraie question, ce ne sont pas les principes, mais les détails. A mon
avis, il est possible de trouver un accord détaillé avec Mahmoud Abbas.
Pour ses nouvelles fonctions, Mahmoud Abbas s'est acquis le soutien de son
peuple, soutien large et véritable. Né à Safed [en Galilée], réfugié
lui-même (ce qui signifie qu'il lui sera plus facile de persuader les
réfugiés d'accepter les échéances inévitables), il a gagné la
confiance du
président Bush, du monde arabe, de l'Europe et de beaucoup d'Israéliens
de
droite comme de gauche. Il est opposé à tout type de violence, et se bat
depuis longtemps pour trouver un accord définitif entre Palestiniens et
Israéliens. Son élection à la tête de l'Autorité palestinienne représente
réellement une occasion rare.
Mais si, à partir de là, nous ne faisons rien d'autre qu'attendre que
Mahmoud Abbas agisse, il est probable que nous gâcherons cette occasion.
Abbas dirige un système qui est détruit depuis quatre ans. La loi et
l'ordre
ne règnent pas dans les territoires palestiniens, les gens y ont peur de
sortir de chez eux la nuit. Seule une partie des forces de sécurité obéit
au
président de l'Autorité palestinienne. La moitié des Palestiniens
vivent en
dessous du seuil de pauvreté, et le chômage est endémique. Abbas
formera un
"gouvernement", apparaîtra dans des forums, donnera des
interviews, tentera
de parvenir à des accords avec le Hamas, et même, rendra visite à
d'autres
pays. Mais s'il veut provoquer de véritables changements, il aura besoin
de
nous : de nous, non pas en spectateurs, mais de nous sur la scène, avec
lui.
Si le président Bush se contente d'appliquer la "feuille de
route" sans
l'adapter, et sans fixer des deadlines réalistes, sans envoyer un émissaire
dans la région pour superviser les événements, sans quelqu'un qui en
son nom
travaillera jour et nuit pour mettre en oeuvre un plan accepté par Israël
et
par les Palestiniens (chacune des parties ayant ses propres
interprétations), alors Mahmoud Abbas échouera. Sans perspective
politique
importante, il ne pourra pas survivre politiquement.
Si les Européens ne fournissent pas leur assistance, en finançant les
plans
économiques, en réhabilitant les infrastructures et en aidant l'appareil
de
sécurité palestinien à se former pour fonctionner comme une véritable
force
de police, alors on pourra parler de Mahmoud Abbas au passé avant même
que
l'un des seigneurs de la guerre ne prenne le contrôle de l'Autorité
palestinienne. Il doit prouver qu'il est capable de changer la vie
quotidienne des Palestiniens, et leur montrer que la tranquillité leur
est
profitable.
Si le Premier ministre d'Israël Ariel Sharon met en oeuvre son plan de
retrait de Gaza comme si son partenaire de paix était Yasser Arafat, si
les
assassinats ciblés continuent, si le nombre de checkpoints n'est pas réduit,
et si les parties ne retournent pas à la table des négociations pour
discuter d'un accord permanent, après quatre années pendant lesquelles
elles
n'ont pas échangé un seul mot officiel, alors il sera inutile de préparer
des portraits de Mahmoud Abbas dans la presse. Parce qu'alors, nous aurons
laissé passer cette chance. Et laisser passer des chances, nous savons très
bien le faire.
(diffusé par MidEastweb for Coexistence http://www.mideastweb.org)
Source: La Paix Maintenant
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