[Dans l'opinion palestinienne, le débat est vif depuis la
mort de Yasser
Arafat. Samir Rantisi, compagnon de route de Yasser Abed Rabbo au sein de
la
Coalition palestinienne pour la Paix, plaide pour l'arrêt des violences,
pour une stratégie claire et réaliste, et pour des modes de
fonctionnement
enfin démocratiques. A verser dans le dossier "camp de la paix
palestinien",
qui paraît-il n'existe pas, mais auquel nous donnons quand même la
parole]
http://sfgate.com/cgi-bin/article.cgi?file=/chronicle/archive/2005/01/10/EDG
OQAN1FO1.DTL
San Francisco Chronicle, 10 janvier 2005
Le chemin qui
attend les Palestiniens
par Samir Rantisi (1)
Trad. : Gérard pour La Paix Maintenant
Compte non tenu des élections de dimanche dans les territoires, ni du
fait
que Mahmoud Abbas soit, oui ou non, un modéré et un pragmatique, la société
palestinienne semble encore très loin de devoir faire son examen de
conscience à propos de son histoire récente, sinon même des 40 dernières
années du pouvoir de Yasser Arafat.
Nul Palestinien ne peut nier le rôle qu'a joué Arafat dans notre
histoire,
et les résultats qu'il a pu obtenir, mais ces 40 dernières années
furent
aussi une suite d'échecs, de tragédies et de catastrophes.
Aujourd'hui encore, on semble mettre l'accent sur la manière de
poursuivre
l'intifada activiste, un activisme qui nous a apporté, non seulement des
tragédies humaines, mais,à tous les sens du terme, ce qui équivaut à
une
deuxième "naqba" (2).
Le problème est que mon peuple manque encore de perspective et de stratégie,
et bien entendu d'une direction composée d'hommes d'Etat qui sachent
l'amener à la place qu'il mérite depuis longtemps, parmi les nations
démocratiques et pacifiques.
Concernant la perspective : depuis plus de 50 ans d'une lutte épuisante
pour
la liberté et l'indépendance nationale, il n'y a toujours pas d'accord
sur
les objectifs de la lutte. Alors que l'OLP a défini ses objectifs, à
savoir
un Etat palestinien indépendant en Cisjordanie et à Gaza (22% de la
Palestine du Mandat britannique), les mouvements islamistes (le Hamas et
le
Djihad) qui bénéficient tous deux d'un large soutien sur le terrain,
considèrent que l'objectif de cette lutte est la création d'un Etat sur
toute la Palestine mandataire (dont Israël). Une troisième conception,
répandue surtout parmi les Palestiniens de l'étranger, consiste à créer
un
Etat bi-national sur la totalité de la Palestine mandataire, où Juifs et
Arabes pourraient vivre ensemble avec les mêmes droits.
Mais la réalité est là, nette et dure. Malgré les réalités
incontournables
sur le terrain, qui tout au plus peuvent permettre l'émergence d'un Etat
palestinien en Cisjordanie et à Gaza dans un futur prévisible, certaines
écoles de pensée, importantes et dominantes, continuent à s'accrocher
à des
aspirations irréalistes, comme la libération complète de la Palestine
mandataire et la destruction finale de l'Etat juif, ou la défaite du
sionisme.
De pareilles idéologies ont malheureusement provoqué la
prolongation des
souffrances de mon peuple. Un leadership palestinien nouvellement élu
doit
avoir l'honnêteté et le courage de prendre le contre-pied de cette forme
de
pensée politique, à commencer par un effort dans le domaine de l'éducation,
pour encourager une pensée politique modérée. L'objectif d'un Etat
palestinien qui vivrait en paix au côté d'Israël requiert une nouvelle
forme
d'endoctrinement fondé sur l'acceptation du peuple israélien, à la
condition
que celui-ci mette fin à son occupation militaire du territoire
palestinien
et reconnaisse les droits de mon peuple à la liberté et à l'indépendance.
Et il sera demandé bien davantage à la nouvelle direction palestinienne.
Une
nouvelle perspective, cela doit d'abord commencer par un nettoyage chez
soi.
La corruption, sous toute forme que ce soit, ne doit plus être tolérée.
L'une des raisons qui expliquent le soutien dont jouissent les mouvements
islamistes est la colère qui gronde des masses paupérisées devant une
corruption officielle généralisée. Depuis dix ans, plusieurs officiels
ont
transformé leur fonction en source de revenus personnels. Des dons privés
et
des subventions gouvernementales ont été plusieurs fois détournés vers
des
sociétés privées, et les sommes n'ont jamais atteint ceux à qui elles
étaient destinées. Même une partie des subventions accordées aux ONG
ont été
détournées vers des comptes privés.
De façon générale, le Conseil législatif palestinien (le parlement
palestinien) n'a pas su assumer son rôle qui consistait à fixer des règles
et des standards. La législature qui va s'ouvrir (3) devra assumer de
larges
responsabilités, non seulement en tant que corps législatif, mais
instance
de contrôle de l'Autorité palestinienne.
Concernant la stratégie : il est devenu très clair que l'activisme
radical
et les moyens violents adoptés pour atteindre nos objectifs nationaux,
n'ont
pas seulement échoué à nous rapprocher de ces objectifs, mais ont
provoqué
des reculs et des tragédies humaines. Si les Palestiniens ont le droit de
résister à l'occupation militaire, ils doivent en même temps choisir
les
moyens les moins coûteux et les plus efficaces pour le faire.
Mon peuple doit reconnaître que la résistance violente a échoué et que
seule
une stratégie non violente et pacifique peut le rapprocher de ses
objectifs.
Tous les résultats qu'il a obtenus (à commencer par la création de sa
propre
Autorité) ont découlé de stratégies non violentes, et non de la
violence et
de l'activisme radical.
Enfin, mon peuple a besoin d'un leadership qui ait une stature d'Etat; qui
puisse se fixer comme objectif la création d'un véritable Etat
palestinien
indépendant, avec des institutions structurées, un système et des lois
qui
fonctionnent pour le bien du peuple tout entier, et non pour celui de
l'élite au pouvoir. Un leadership qui s'engage à ouvrir grand les fenêtres
pour assurer un meilleur avenir économique aux générations futures. Et,
non
moins important, un leadership qui saura faire le pas nécessaire pour
placer
mon peuple parmi les nations démocratiques et pacifiques. Le chemin est
encore long, mais un vrai chef d'Etat peut entamer le voyage.
(1) Samir Rantisi est ancien conseiller de l'Autorité palestinienne pour
les
médias, et con-fondateur de la Palestinian Peace Coalition, parti
palestinien totalement engagé dans le soutien aux Accords de Genève.
(2) Naqba : "catastrophe", désigne pour les Palestiniens la
victoire
d'Israël dans la guerre de 1947-49, la création de l'Etat juif et la
fuite
de centaines de milliers de Palestiniens, devenus réfugiés.
(3) les élections législatives sont prévues pour juillet 2005
diffusé par MidEastweb for Coexistence http://www.mideastweb.org
Source: La Paix Maintenant
|