AFPS Nord Pas-de-Calais CSPP

   

 

Bernard Ravenel - Contribution au débat

Mettre Genève en perspective

Avec l’accord Sharon-Bush, même le fil très ténu de la « feuille de route » s’est rompu, annulant de fait le processus diplomatique en cours et posant la question d’une nouvelle initiative à partir de l’Europe. Ariel Sharon, qui n’a jamais appliqué les modestes conditions posées par le quartette, a continué son projet de conquête de la Palestine et en particulier de la Cisjordanie. Et pour cela, il vient d’obtenir l’aval politique de Bush. Encore une fois, on ne voit pas la fin d’un conflit mortel pour les deux parties : Israël, de loin militairement le plus fort et traversant une crise économique et sociale sans précédent depuis 1948, la Palestine où l’ANP est assiégée sur son territoire et où les structures qu’elle avait réussi à se donner sont quasi détruites alors que la société est à 70% en dessous du seuil de pauvreté.

C’est dans ce contexte israélo-palestinien trop rapidement évoqué que l’on peut replacer l’initiative de Genève qui a eu un réel impact en Israël mais beaucoup moins en Palestine du fait même d’une réalité de terrain qui se dégrade chaque jour alors que l’échec des accords d’Oslo pèse encore beaucoup sur les esprits.

Par contre, l’initiative de Genève a eu un grand écho politico-médiatique en Occident et en particulier en France. Toutes les forces politiques représentées au Parlement se sont prononcées en sa faveur. Cet apparent consensus exprime une aspiration diffuse à la paix au Proche-Orient qui serait issue d’une solution négociée refusant l’unilatéralisme d’Ariel Sharon. Ce positionnement, dont il faut mesurer le degré de conviction et le contenu réel, ne peut pas ne pas avoir de conséquences sur le mouvement de solidarité avec la cause palestinienne.
Ce consensus contraste avec le débat difficile que traversent le champ politique palestinien et, à un moindre degré, le mouvement de solidarité.

Il y a donc nécessité de « mettre Genève en perspective », c’est-à-dire de situer l’initiative de Genève dans le cadre de l’évolution politique du mouvement national de libération palestinien et de son projet stratégique. Le conflit et les phases de négociation qui l’ont accompagné doivent toujours être mis en relation avec les forces matérielles en jeu (systèmes de production, place et rôle des élites locales et régionales dans le système mondial influençant les revendications nationales ou les sentiments d’appartenance et les comportements politiques des protagonistes, …) En fait, ce qui est déterminant dans l’évolution du conflit, c’est d’abord l’évolution interne dans les deux sociétés, israélienne et palestinienne. En même temps, pour assurer le succès d’un processus de paix, le rôle de la communauté internationale (Etats et opinions publiques) est indispensable.
Pour s’en tenir à la dernière période du conflit depuis l’échec de Camp David, il faut analyser l’évolution intérieure des deux parties.

Pour ce qui concerne Israël, il est clair qu’il n’y a pas de perspective possible de paix s’il n’y a pas rupture d’un consensus colonial sécuritaire. En 2000, appuyé par une campagne médiatique formidable, Ehoud Barak est revenu de Camp David avec l’image positive de celui qui était disposé à de grandes concessions territoriales sans rencontrer une disponibilité palestinienne à en tenir compte. Yasser Arafat y est présenté comme le méchant de l’histoire. Et cette version, qui vise à détruire le camp qui en Israël a porté Oslo (une sorte de second assassinat de Rabin ) aura un plus grand crédit dans l’opinion israélienne avec le début de l’Intifada en septembre 2000 : on lui assène que non seulement les Palestiniens refusent les « offres généreuses » mais qu’ils veulent l’affrontement armé, ce qui prouve qu’ils sont vraiment de mauvaise foi. Ce discours se trouve consolidé avec l’apparition du terrorisme urbain : « C’est la meilleure preuve des réelles intentions palestiniennes : ils ne veulent pas de nous ». L’Israélien moyen, même plus ou moins partisan d’une politique de paix, se voyait menacé directement, lui, sa famille, ses amis. D’où l’acceptation de la violente politique répressive israélienne qui a liquidé les conquêtes de dialogue et de négociations. Les groupes pacifistes les plus engagés ont continué le dialogue avec les Palestiniens mais n’ont pu devenir une vraie alternative. Pour la majorité des Israéliens, c’est l’aveuglement face à la politique de vandales de l’armée israélienne dans les territoires occupés qui entretient un véritable bouillon de culture de désespoir chez les Palestiniens. Sharon réalise ainsi l’unité nationale avec le Parti travailliste. Au bout de trois ans, le coût économique et social semble très élevé et la résistance de la société palestinienne a empêché Sharon de briser son unité nationale et sa volonté d’un règlement politique. Les doutes affleurent, les brèches s’ouvrent : d’abord dans le système militaire lui-même (mouvements des refuzniks et des parents de soldats, refus des aviateurs), dans la société civile, (évolution de Shalom Akhchav), et dans la société politique avec « l’initiative de Genève » qui, par son message central : « on peut négocier, il y a un partenaire et une solution politique est possible » rompt le discours dominant d’unité nationale. En même temps, avec et depuis l’assassinat de Rabin, couve une guerre civile juive en Israël : en cas d’application effective de ce qui avait été déjà envisagé à Taba, cette perspective accompagne l’extension de la colonisation, ce qui ne peut pas ne pas peser sur les choix de tout gouvernement israélien. Mais la stratégie de Sharon reste la conquête de l’essentiel (terre et eau) de la Cisjordanie.

Pour ce qui concerne la Palestine, on doit tirer un premier bilan politique de l’Intifada. Après l’échec de Camp David et la promenade provocatrice de Sharon sur l’Esplanade des Mosquées, c’est le soulèvement spontané, sans armes, des Palestiniens, immédiatement et violemment réprimé. Tout s’est passé comme si Barak et Sharon provoquaient sciemment les Palestiniens pour les pousser à la riposte violente – que, selon Abdeljawad Saleh (ancien maire d’El-Bireh et ancien ministre de l’Agriculture de l’Autorité, aujourd’hui opposant à Arafat dans le Conseil législatif) les organisations palestiniennes ne souhaitaient pas – pour mieux justifier aux yeux de l’opinion internationale leur logique de guerre et d’écrasement du mouvement national palestinien. Comme l’a écrit Saleh Abdeljawad (fils du précédent et professeur à l’université de Birzeit) « les Palestiniens s’engagent dans une lutte gravissime sans objectif et sans stratégie » qui se caractérise par sa « militarisation » au lieu de rester un « soulèvement populaire pacifique accompagné d’une action armée calculée ne justifiant aucune riposte israélienne d’envergure », car « le succès de la première Intifada venait de ce qu’elle empêchait Israël de faire usage de toute sa force militaire ». Les conséquences politiques de cet enchaînement dramatique sont lourdes :
- sur le plan médiatique, d’une part le pouvoir israélien a pu mener avec une certaine efficacité une grande campagne de manipulation émotionnelle, d’autre part la férocité de la répression a scandalisé les opinions publiques internationales ;
- sur le plan spécifiquement militaire, on aboutit au blocus et à la réoccupation des villes, à la liquidation par arrestations massives ou par assassinat des forces vives du mouvement national, à la destruction de l’administration autonome palestinienne réduisant ainsi l’Autorité palestinienne à l’impuissance et aboutissant à une asphyxie économique et sociale.

Finalement, la résistance la plus efficace a été celle de cette société civile qui est en train de créer les conditions d’une relance de l’Intifada sous la forme d’une résistance collective non violente par sa lutte de masse contre le mur. C’est l’aspect qui préoccupe le plus le gouvernement israélien parce qu’il redonnerait aux Palestiniens un large consensus international qu’ils ont partiellement perdu à cause des attentats contre des civils israéliens. Désormais, face à la volonté de Sharon de provoquer des affrontements inter-Palestiniens et de créer le chaos à partir de Gaza, se maintient une remarquable unité nationale grâce d’abord à la volonté des différentes organisations palestiniennes, y compris le Hamas, de maintenir des structures unitaires, mais aussi grâce au tissu des organisations locales de services et de solidarité dévouées et efficaces sur le terrain pour lesquelles le soutien européen des sociétés civiles et des institutions est plus que jamais vital.

L’évolution de la problématique palestinienne
La solution du conflit israélo-palestinien – désormais centenaire – a toujours oscillé entre deux options ou deux hypothèses : l’unité ou le partage de la Palestine.

L’unité, c’est-à-dire un seul ensemble politico-institutionnel. Du côté sioniste, c’est le projet du grand Israël (Eretz-Israël) sur toute la Palestine qui suppose la domination, la marginalisation et l’expulsion de l’autre, c’est-à-dire du Palestinien. Du côté palestinien, c’est la conception de la Palestine comme « unité régionale indivisible » sur laquelle installer un Etat palestinien « indépendant et démocratique » (Charte de l’OLP).

Le partage, c’est le partage de 1947 de la Palestine mandataire en deux Etats selon la résolution 181 votée par l’ONU. Ce partage imposé entraîne un double refus :
- le « refus arabe » (cf. livre de Maxime Rodinson) des Etats et des sociétés par rapport à « l’Etat sioniste » créant ou alimentant l’obsession d’Israël (autorités et population) pour le risque, réel ou imaginé, d’être rayé de la carte du Moyen-Orient.
- le refus israélien par rapport au fait palestinien, c’est-à-dire de tout Etat fondé sur l’autodétermination des Palestiniens, refus qui n’a pas malheureusement pas entraîné les mêmes critiques que le premier.

1967 (Guerre des Six-Jours) annule de fait 1947 : la logique d’occupation et d’annexion par Israël (de la Cisjordanie jusque là attribuée à la Jordanie) l’emporte sur le partage et rend plus rigoureux et absolu son refus de l’Etat palestinien. La conscience de la vacuité des régimes et du nationalisme arabe et l’émergence de nouvelles élites palestiniennes renforcent la détermination de l’OLP de mener une lutte armée « comme guerre populaire pour la libération et le retour du peuple arabe palestinien dans sa patrie. ». En même temps, l’OLP entend assurer son autonomie par rapport à tous les Etats arabes. En 1968, le Fatah définit son objectif de lutte comme étant la restauration de l’Etat palestinien « indépendant et démocratique » dont tous les citoyens, quelle que soit leur religion, jouiront de droits égaux.

1973 : Au début de 1973, avant la guerre d’octobre, le Front démocratique se prononce pour l’existence de deux Etats nationaux. En octobre, l’Egypte, le pays arabe qui avait porté au plus haut l’affirmation du nationalisme arabe et son refus absolu d’Israël, relance la confrontation militaire avec Israël. Le bilan est double : une semi victoire qui annule l’humiliation de 1967 et une défaite finale. Le Président Sadate décide de demander la paix et reconnaît que l’Egypte avait perdu la confrontation historique avec un Etat que les pays arabes avaient commis l’erreur d’estimer un accident transitoire. Le calcul de l’establishment égyptien était alors de se servir de cet Israël, jusque là exorcisé comme « avant-poste » de l’impérialisme au Moyen-Orient, comme anneau de liaison avec l’Occident, sa technologie, ses capitaux. La paix séparée Egypte-Israël crée le premier précédent d’une paix avec un pays arabe sans avancée réelle vers un règlement de la question palestinienne. La solidarité du monde arabe se fissure à partir de sa composante la plus significative. Pour l’OLP le choc est terrible. Tout devient beaucoup plus compliqué. Pour elle, le dilemme stratégique est le suivant : est-il possible de reconnaître l’existence d’un ennemi intrus sur ses propres terres et donc de modifier une des clauses fondamentales de sa Charte constitutive ? En conséquence est-il possible d’édifier un Etat indépendant « partiel » (confédéré avec l’autre intrus qu’est la Jordanie) et en bon voisinage avec Israël ? Ou la tâche historique de l’OLP reste-t-elle d’abroger le sionisme et de constituer un Etat palestinien indépendant en lieu et place de l’Etat d’Israël ? Plusieurs questions alors se posent : quel prix à payer pour l’une et l’autre des options ? Quelles modalités pour arriver à la première ou à la seconde ? La première solution fondée sur le droit international suppose un jeu diplomatique patient et complexe avec le monde régional, avec les institutions internationales et avec les grandes puissances. Dans ce cas, quelle est la place de la lutte politique et de la lutte armée ?
Pour la deuxième solution, c’est l’annulation d’Israël de la carte régionale, l’instauration d’une Palestine démocratique qui permettrait le retour de tous les réfugiés. Cette stratégie suppose une lutte armée de libération nationale de longue durée et la recherche d’alliances avec les Etats « révolutionnaires » arabes, avec les masses arabes et avec les forces anti-impérialistes mondiales.

Parallèlement, il faut prendre en compte et analyser dans ses conséquences stratégiques et politiques le développement des contacts israélo-palestiniens initialement secrets, d’abord avec des antisionistes (Matzpen), ensuite avec des sionistes en rupture de ban avec l’establishment (Avnery et Matti Peled) et bientôt avec des travaillistes, fondateurs de l’Etat d’Israël, au pouvoir jusqu’en 1977.
On comprend la virulence du débat intérieur que pose l’ensemble de ces nouveautés.

La rupture stratégique de l’OLP
1974 :
prenant acte de la défaite égyptienne, l’OLP abandonne la perspective universaliste de son programme exprimée par l’Etat démocratique en se concentrant sur une option qui est fondamentalement « nationaliste ». L’OLP renonce, tactiquement ou stratégiquement c’est tout le débat, à une stratégie de libération nationale visant à obtenir réparation intégrale de l’injustice commise à l’encontre du peuple palestinien. Elle luttera désormais pour imposer une souveraineté territoriale en Cisjordanie, dans la Bande de Gaza et à Jérusalem-est. Cette réhabilitation du partage a aussi été imposée par la pression de la société cisjordanienne, société structurée et organisée. Désormais la solution politique du conflit israélo-palestinien selon la formule « deux peuples, deux Etats » en appliquant l’échange « terre contre paix » devient le mot d’ordre général de la diplomatie et du mouvement international de solidarité.

1982 : Guerre du Liban : c’est la fin de l’Etat palestinien en exil au Liban et en Jordanie. La guerre de Sharon contre l’OLP au Liban va ouvrir de fait le chemin du retour en Palestine même pour l’Etat palestinien. Ce sera la raison principale de l’acceptation d’Oslo qui permettra le retour à Gaza et à Jéricho et l’instauration de l’autonomie palestinienne sur le chemin de la fondation de l’Etat. Dans les années 80, c’est l’abandon de fait de la lutte armée comme moyen fondamental au profit d’une lutte politico-diplomatique. L’Intifada non armée de 1987 conforte le choix de la lutte politique de masse et de la construction territorialisée d’un Etat palestinien dans les territoires occupés.

1988 : c’est la deuxième rupture stratégique lorsque l’OLP, au Conseil National Palestinien d’Alger, accepte les résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité de l’ONU reconnaissant ainsi l’existence, mais non la légitimité, de l’Etat d’Israël. Concession majeure présentée par une partie du mouvement palestinien comme une capitulation pure et simple. En l’absence de toute contrepartie israélienne, l’OLP se donne une sorte de garantie de principe : la proclamation préalable mais unilatérale d’un Etat indépendant de Palestine. La nouveauté du contexte international en 1990, fin du système bipolaire, ouvre la période des processus politiques qui va commencer avec la conférence de Madrid.

13 septembre 1993,
déclaration de Washington (Accords d’Oslo) : le point fort de l’accord israélo-palestinien réside dans son préambule sous la forme d’une déclaration de principes par laquelle les deux parties décident de « reconnaître leurs droits naturels, légitimes et politiques ». Cette proclamation liminaire prolonge la reconnaissance mutuelle intervenue quelques jours plus tôt entre le gouvernement israélien et l’OLP. Si cet accord de septembre 1993 est un échange inégal, il n’en est pas moins un échange, le premier dans la longue confrontation historique. En reconnaissant la représentativité de l’OLP, l’Etat israélien opère un changement de stratégie. On peut s’interroger sur les raisons qui ont poussé Tel-Aviv à changer son attitude face à une organisation qui a déjà fait des concessions en 1988. Peut-être s’agit-il de la pression des milieux économiques dirigeants israéliens liés à la mondialisation libérale et cherchant à organiser une intégration régionale d’Israël dans laquelle les Palestiniens représenteraient le vecteur privilégié de l’accès au marché arabe. Les perspectives de confédération israélo-jordano-palestinienne seraient ainsi liées à un projet israélien de domination sur le Proche-Orient dans lequel convergeraient intérêts économiques et « sécuritaires », sans oublier le rôle des grands organismes internationaux (FMI et Banque Mondiale) liés aux Etats-Unis.

Toujours est-il que la reconnaissance mutuelle était un préalable majeur au véritable échange à venir « la terre contre la paix ».

De fait, en reconnaissant l’OLP, Israël a admis l’existence d’un peuple et de son unité à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières historiques de la Palestine. Il a ainsi pour le moins pris le risque de déclencher un mécanisme difficilement réversible. Comment imaginer en effet que la reconnaissance d’un peuple puisse ne pas déboucher à terme sur la mise en œuvre de son droit à l’autodétermination ? Le problème pour l’OLP était de mener à bien cette stratégie, c’est-à-dire de transformer une « déclaration de principes » passant par une première phase d’autonomie des territoires occupés en stratégie d’accès à une véritable souveraineté palestinienne. Or, en l’absence de toute garantie internationale sur les mécanismes de dévolution d’une véritable souveraineté palestinienne pendant la période intérimaire, le processus ouvert à Oslo s’est joué sur l’évolution du rapport des forces sur le terrain. Or l’armée israélienne occupait encore le terrain et la négociation sur les modalités de retrait militaire s’accompagnait toujours d’une demande de nouvelles concessions. Pendant ce temps, le pouvoir israélien continuer le développement des colonies protégées par l’armée, lesquelles constituaient l’obstacle majeur à l’établissement d’une future souveraineté palestinienne. Dans ces conditions, l’engagement de la communauté internationale était décisif. S’il a été réel sur le plan économique (mais l’aide financière en l’absence de souveraineté territoriale ne pouvait être utilisée normalement par l’Autorité palestinienne), sur le plan politico-diplomatique, rien n’a été fait pour bloquer la continuation de la colonisation par Israël. En même temps, la campagne en Israël même contre les accords d’Oslo aboutissait à l’assassinat de Rabin, ce qui a fait capoter tout le processus avec toutes les conséquences qu’on connaît.

Juillet 2000 : on en arrive à Camp David où Ehoud Barak, adversaire d’Oslo, ne cède pratiquement rien. C’est ensuite son autorisation de laisser Sharon bien protégé s’exhiber sur l’Esplanade des Mosquées, enclenchant une Intifada qui d’ailleurs couvait dans la société palestinienne frustrée de la non application d’Oslo.

Mais un autre problème risquait de rendre inapplicable le projet d’Oslo, c’était la non solution du problème des réfugiés.

La question des réfugiés
Le risque le plus sérieux résidait dans le comportement des communautés palestiniennes de la diaspora si l’OLP omettait de les associer au bénéfice de l’accord. Or la déclaration signée à Washington prévoyait l’étude des modalités de rapatriement des « personnes déplacées en 1967 », soit quelque 800.000 individus, sans rien offrir aux 2,2 millions qui restent, la masse des exilés expulsés de 1948 et de leurs descendants. Fallait-il envisager leur intégration dans les sociétés d’accueil ? Ce n’était pas concevable pour les 350.000 Palestiniens du Liban vivant dans une situation très précaire et dont la naturalisation déstabiliserait le système confessionnel libanais. On ne peut sérieusement le proposer à la masse des réfugiés des camps, ceux-là même qui ont assuré le recrutement des organisations de guérilla au nom du droit au retour. Car l’OLP est un mouvement de libération qui s’est construit dans et par la diaspora et qui ne saurait sans se renier abandonner les Palestiniens de l’exil au pari d’une hypothétique intégration locale. Si le retour global n’est pas aujourd’hui envisageable, l’OLP peut imposer le principe d’un droit au retour fondé sur la résolution 194 de l’ONU qui prévoirait non seulement des formes de compensation pour les biens perdus mais aussi une indemnisation pour le préjudice que représente cinquante ans d’exil pour tous ceux qui ne voudraient ou ne pourraient rentrer dans leurs foyers d’origine.

Une remarque sémantique
« Droit au retour » ou « question des réfugiés », la différence dans la dénomination n’est pas innocente. Elle désigne le lieu d’où l’on parle et les perspective dans lesquelles on entend s’inscrire. Ici – les réfugiés – ce sont des considérations humanitaires liées aux conditions de vie dans les camps qui prennent le pas ; là – le retour – c’est en termes de droit que l’on entend raisonner, un droit de chaque individu, mais aussi un droit à l’échelle d’un peuple : comment parler du droit à l’autodétermination dès lors que la majorité de ce peuple est en exil forcé. Par ailleurs, et ce n’est pas le moindre des paradoxes, le terme même de « retour » évoque inévitablement un élément-clé des relations qu’entretient l’Etat d’Israël avec la diaspora juive. La loi israélienne du même nom fait de chaque Juif dans le monde un citoyen israélien pour peu qu’il en manifeste le désir.

Pour les Palestiniens, cette question est au cœur de l’injustice qui leur a été faite. Pour Israël elle est directement liée au caractère juif de l’Etat proclamé en 1948. Les modalités de sa résolution seront probablement, aussi bien du côté israélien que du côté palestinien, le critère principal d’adhésion ou non aux accords finaux.

Une question restée longtemps figée
Pendant 45 ans (jusqu’au processus de paix lancé à Madrid en 1991), la question des réfugiés est restée peu débattue. Tant que la question palestinienne était posée comme un tout indissociable, elle paraissait insoluble. Parler de la nécessité d’une solution globale pour les 5 millions et quelque de Palestiniens, c’était accepter l’idée que le compromis n’était pas envisageable. Mais avec l’évolution stratégique de l’OLP, il est devenu possible d’isoler la question des territoires occupés pour la traiter dans un cadre spécifique tout en traitant parallèlement la question des réfugiés dans le cadre de négociations multilatérale. Ainsi la question palestinienne a éclaté en deux volets distincts : d’une part, celui des habitants des territoires de Cisjordanie et de Gaza qui connaîtraient une autonomie et peut-être davantage à l’avenir, celui des réfugiés d’autre part qui se décomposait lui-même en une série de nouvelles questions qui s’intituleraient désormais Palestiniens du Liban, Palestiniens de Syrie, Palestiniens de Jordanie, et Palestiniens des autres composantes de la diaspora. En fait s’est imposé un processus de classification des réfugiés en différentes catégories, visant à identifier ceux que l’entité palestinienne doit inciter à revenir, ceux qui sont davantage susceptibles de contribuer utilement au projet en demeurant à l’extérieur, ceux dont les conditions de vie sont à peu près satisfaisantes dans le pays « hôte », enfin ceux dont la situation est intolérable et qui doivent bénéficier en priorité de l’application effective du droit au retour tout en rappelant que le droit au retour est individuel et qu’il relève du libre choix de chacun.

Une diaspora palestinienne
En acceptant les accords d’Oslo, l’OLP modifie sa conception d’un règlement global de la question palestinienne par rapport à celui qu’elle préconisait auparavant, c’est-à-dire le regroupement de tous les Palestiniens sur leur terre d’origine. C’est l’objet d’une critique permanente d’une opposition nationaliste radicale. Cependant, l’OLP a réussi pendant toute son histoire à tisser une toile d’organisations professionnelles et d’associations qui ont su mobiliser les Palestiniens dans leurs différents lieux d’accueil, développant des solidarités transnationales entre différents centres où les communautés palestiniennes ont parfois acquis une véritable puissance économique et financière (Golfe) et politique (Jordanie). Ainsi, l’OLP a réussi son objectif premier de reconstituer d’abord les liens entre les différentes composantes de la société palestinienne dispersée, comme condition indispensable à la réalisation de son projet. C’est cette condition réalisée qui a permis l’aboutissement d’Oslo car sans la reconstitution du lien identitaire et d’une conscience nationale la reconnaissance par la communauté internationale de l’existence d’un peuple palestinien et de son droit à l’autodétermination n’aurait sans doute pas été possible. Toutefois, dans la mesure où la réalisation du projet national dans un espace réduit consacre l’existence d’une diaspora plutôt qu’elle ne la supprime, l’œuvre de l’OLP apparaît comme fondamentale pour le maintien du sentiment national d’un peuple en exil.

Aujourd’hui la solution de la question des réfugiés passe par la reconnaissance par Israël de l’injustice causée par Israël aux réfugiés et du principe du droit au retour des Palestiniens. Du côté palestinien, le retour effectif des réfugiés en Israël même serait alors négocié en fonction des demandes des réfugiés (priorité étant donnée à ceux du Liban, de la volonté d’Israël et de la pression de la communauté internationale. Le futur Etat palestinien devrait être celui de l’ensemble des Palestiniens qui le désirent où qu’ils résident. La citoyenneté palestinienne leur serait acquise, lien juridique et symbolique qui leur permettrait d’avoir un passeport palestinien facilitant leurs déplacements internationaux, et leur donnerait le droit de s’installer en Palestine. Mais un compromis israélo-palestinien a pour préalable l’aboutissement d’un autre compromis, celui à réaliser entre Palestiniens de l’intérieur et Palestiniens de l’extérieur.

Ainsi se dessine, à travers les négociations et en particulier à Taba, l’esquisse d’un schéma de solution au terme de laquelle une certaine diaspora du peuple palestinien serait organisée à partir des accords. Alors existerait un espace régional israélo-arabe dans lequel les Palestiniens des pays de la région pourraient construire un nouvelle normalité. Mais en dernière analyse, l’histoire du combat palestinien n’en est pas moins celle d’un recentrage de la lutte sur les territoires occupés.

Premières conclusions
Aucune paix n’est possible si des deux côtés on n’assume pas comme donnée ferme l’existence de deux Etats libres et souverains. Les forces qui souhaitent un début de solution sont hautement sous surveillance des opinions publiques respectives. Si Sharon ne veut pas et Abou Ala ne peut pas, il faut une pression internationale décidée pour que se réalisent les deux conditions qui préludent à une dynamique de paix. La première est qu’Israël se retire des territoires occupés, la deuxième c’est que les Palestiniens, en même temps qu’ils se font reconnaître le principe du droit au retour et la responsabilité d’Israël dans l’expulsion de 1948, acceptent de négocier ce droit. Pour que ces deux conditions se réalisent, le rôle de la communauté internationale est décisif.

Vis-à-vis des Palestiniens l’Union européenne doit s’engager à faire reconnaître leurs droits aux réfugiés palestiniens et à les aider matériellement ; vis-à-vis de l’Etat d’Israël, l’Union européenne, principal interlocuteur commercial, peut suspendre l’accord d’association. De leur côté, les Etats-Unis, le plus grand fournisseur de moyens en argent et en armes d’Israël ont évidemment les possibilités nécessaires. Cela suppose la défaire politico-électorale de Bush. D’où le rôle indispensable de l’opinion publique internationale, en particulier européenne et américaine.

Prémisses pour débattre de Genève
En fait, face à cette initiative de Genève, il y a deux types de réactions à éviter :
- d’un côté, l’enthousiasme facile : on présente comme quasi imminente ou possible à court terme l’instauration d’une paix durable sur la base de la formule « deux peuples, deux Etats ». Toute prise de distance est alors considérée comme non « politiquement correcte ». Une variante extrême de cette réaction : on nous met en demeure d’apporter notre soutien inconditionnel, acritique, à un plan présenté comme le seul possible, sinon on est pour la poursuite du conflit, pour la guerre ;
- de l’autre côté, l’anathème : s’appuyant sur les échecs précédents du processus de paix et sur l’amertume qui en est résultée, on rejette sans nuance toute initiative présentée d’emblée soit comme un non événement, soit comme inutile, soit comme vouée inéluctablement à l’échec, soit comme scandaleuse car contraire aux intérêts du peuple palestinien.

Beaucoup de choses ont été écrites sur le document proprement dit (voir les articles dans PLP n° 40 et 41, les textes des groupes AFPS de Rennes et d’Angers, et le dossier de la Plateforme des ONG pour la Palestine). Je me contenterai de fixer quelques axes d’approche portant plus sur le contexte, sur la dynamique potentielle de la démarche que sur le texte lui-même.
1.- Il faudrait analyser l’évolution du contexte international (Les Etats-Unis, l’Union européenne, les contradictions Etats-Unis-Union européenne, l’Irak et le monde arabe, l’opinion mondiale.)
2.- Prendre en compte le cadre de référence au droit : le texte entend se situer à partir du principe d’égalité des droits tant en termes nationaux qu’individuels (cf. texte de Monique Chemillier-Gendreau : L’accord de Genève et le droit international N°90 de la Revue d’Etudes Palestiniennes).
3.- En même temps, il ne faut jamais oublier qu’un accord négocié à partir de la nécessité d’appliquer le droit international risque en final d’être en deçà du droit, c’est-à-dire un compromis entre droit et force (acceptation partielle d’un fait colonial).
4.- L’initiative de Genève manifeste un retour à la politique et exprime de fait le refus de la solution unilatérale et militaire voulue par Ariel Sharon.
5.- Genève, en montrant que la paix n’est pas inconcevable, rompt avec le climat post-11 septembre, celui de la « guerre permanente contre le terrorisme », du refus de toute paix : ceux qui parlent de paix dans ce climat sont présentés au mieux comme des rêveurs, des utopistes mais aussi comme des lâches et même comme des traîtres passibles de la peine de mort (voir aussi l’accusation portée à la gauche espagnole lorsqu’elle demande le retrait du contingent espagnol d’Irak). Ainsi a commencé à se créer en Israël une perspective alternative à celle, encore majoritaire, de Sharon.
6.- L’initiative de Genève ouvre une brèche dans la longue paralysie en Israël marquée par l’impact politique de la propagande lancée par Barak selon laquelle il n’y avait pas de partenaire pour la paix. En clair, cette initiative a une grande importance car elle administre rétroactivement la preuve que Barak a été un menteur. Dans l’initiative de Genève, on retrouve des deux côtés les mêmes négociateurs qui étaient à Camp David et à Taba : sans l’interdit de Barak à Taba ces négociations auraient pu continuer et peut-être même aboutir. On sait les raisons et les conséquences dramatiques de ce blocage unilatéral. « Genève » prouve et démontre a posteriori que Barak et la presse internationale derrière lui ont menti. C’est d’ailleurs en partie pour cela qu’il est si violent aujourd’hui contre Genève. Ne serait-ce que pour cela, cette initiative, indépendamment de son contenu sur lequel il faut revenir de façon critique, aura eu ce mérite et doit être « utilisée » à plein pour rétablir la vérité et montrer qu’en luttant contre la manipulation médiatique d’après Camp David, nous avons eu raison. De ce point de vue Genève légitime notre discours et notre action depuis trois ans.
7.- L’initiative de Genève accrédite l’idée que, face à une diplomatie officielle grippée, les citoyens ont un rôle à jouer pour matérialiser une perspective, pour créer de meilleures conditions à une solution politique.
8.- Quelle que soit la nature discutable de son contenu dont l’approbation ou le refus ou le changement reviennent d’abord aux intéressés, l’initiative de Genève, à la différence des accords précédents, affronte d’emblée le statut final avec tous les nœuds difficiles du conflit et lève les tabous en les mettant en débat dans les deux sociétés.

Retour sur les ambiguïtés, insuffisances et les risques du texte
Il faut rappeler les insuffisances. On les connaît. Ce sont aussi des ambiguïtés (volontaires) qui permettent des interprétations différentes, voire des manipulations (sur la question des réfugiés, sur la définition de l’Etat d’Israël, sur le partage de Jérusalem, sur les responsabilités d’Israël en 1948, sur le rôle de la communauté internationale, sur l’échange de territoires). En l’état, ce texte est indicateur d’un certain rapport de forces aujourd’hui entre Israéliens et Palestiniens. Il est plus défavorable aux Palestiniens qu’au moment de Taba où la partie israélienne avait reconnu la responsabilité d’Israël dans la tragédie des réfugiés. Sur l’ensemble des questions posées par le contenu, le débat continue – et va être relancé par la publication des annexes – car, de toute manière, en l’état, il n’y a pas d’acceptation officielle et contraignante de ces positions. Par conséquent, il faut considérer Genève comme un exercice à destination de l’opinion publique surtout israélienne pour montrer que lorsqu’on veut on peut. En même temps, en aucune manière, ce texte ne peut abolir Taba et on ne peut considérer le texte de Genève comme un bloc à prendre ou à laisser ou comme un plafond de négociation (c’est le risque principal relevé par Elias Sanbar et Camille Mansour).

L’autre risque grave qui cantonne l’initiative de Genève dans le virtuel sans prise aucune sur la réalité du moment est d’oublier le terrain (Mur, Gaza, poursuite des exécutions ciblées, prisonniers politiques, etc…) sur lequel la politique de Sharon joue le rôle déterminant. L’absence de positionnement clair d’une partie des partisans de Genève (y compris des auteurs israéliens du texte) sur la politique actuelle de Sharon contre les Palestiniens contribue, aux yeux des Palestiniens et du mouvement de solidarité à décrédibiliser l’initiative de Genève elle-même. Par conséquent, le rôle du mouvement international de solidarité doit être d’accroître la pression de l’opinion publique internationale pour modifier le rapport des forces au détriment de Sharon et de Bush. Cela signifie une double action articulée :
- construire et renforcer la mobilisation contre le mur, objectif principal actuel de la guerre anti-palestinienne du gouvernement israélien,
- construire en même temps un discours spécifique pour interpeller tous ceux, en particulier au niveau institutionnel, qui se sont prononcés en faveur des accords de Genève sur la question du Mur totalement contradictoire avec toute initiative de paix, y compris celle de Genève. (A cela il faudra ajouter la lutte contre l’accord Bush-Sharon).

Sans à la fois la construction de ce mouvement puissant et cette interpellation publique pour rechercher l’adhésion graduelle de tous ceux qui croient en Genève sans être convaincus de la nocivité du Mur et de tous ceux qui s’opposent à l’accord Bush-Sharon, nous aurons du mal à élargir le mouvement et à peser pour que l’alternative à la politique de Sharon avance au-delà même des limites de l’initiative de Genève elle-même et surtout pour qu’elle soit prise en considération par les Palestiniens eux-mêmes.

Remarques finales sur la signification sociale d’un futur accord de paix aujourd’hui
En dernière analyse, l’initiative de Genève, après les accords d’Oslo et après Camp David et Taba, et avant un éventuel accord officiel entre les deux parties, reflète du côté palestinien l’aspiration d’une alliance socio politique entre une couche sociale de type bureaucratique issue de la diaspora, assurant des fonctions politiques, administratives et policières d’un Etat en construction, une « bourgeoisie nationale » à l’intérieur des territoires occupés refusant l’intégration pure et simple dans l’économie israélienne et une intelligentsia urbaine (étudiants, enseignants syndicalistes, etc) bloquée dans ses aspirations sociales et professionnelles. Cette dernière couche sociale a servi d’encadrement intermédiaire entre l’OLP en exil et la base de la première Intifada qui a été une mobilisation de l’ensemble de la société dans les territoires occupés à partir des jeunes issus des campagnes et des camps de la périphérie cisjordanienne. C’est cette même couche sociale, bien symbolisée par Marwan Barghouti, qui a tenté, sans trop y parvenir, d’organiser la deuxième Intifada. Cette « élite nationaliste », de culture démocratique et non religieuse, entend, à travers un accord avec Israël, assurer son hégémonie sur le futur Etat palestinien. Dans ce contexte, les couches sociales les plus démunies (grande partie des réfugiés, sous-prolétariat urbain, paysans expropriés), qui aspirent aussi à la libération nationale, ne constituent pas au sens propre du terme une classe spécifique porteuse d’un projet spécifique de libération sociale. Le discours populiste qui leur est adressé par certains petits groupes palestiniens et par le Hamas, reprenant souvent le discours du « refus », est incapable de proposer une quelconque alternative crédible.

Aujourd’hui, l’avenir politique du peuple palestinien passe par un accord de paix qui mette fin à l’occupation et qui sera plus ou moins la poursuite des résultats obtenus à Taba, même s’il peut évoluer favorablement dans son contenu selon l’évolution du rapport des forces à l’échelon local et mondial. Cet accord de paix, ce compromis historique, s’il se réalise – et rien ne permet de le garantir aujourd’hui – pourrait créer une certaine dynamique qui déstabiliserait et révolutionnerait le Proche-Orient et au-delà (sans parler de l’articulation avec l’Irak). C’est d’ailleurs pour cela que cet accord est craint par une grande partie des couches dirigeantes et des régimes politiques de la région. Et c’est pour cela que nous devons encore nous mobiliser pour qu’il se réalise avant qu’il ne soit trop tard et avant que nous entrions dans une logique de conflit frontal suicidaire pour les deux parties. Ce qui suppose dans l’immédiat un front contre la politique de Sharon et ses plans plus ou moins occultes (annexion d’une grande partie de la Cisjordanie, refus et tentative de liquidation de l’interlocuteur palestinien,…) au-delà de farce (tragique) du « retrait unilatéral » de Gaza.

Avril 2004, revu en Mai

Source: http://www.plateforme-palestine.org/Dossier%20Geneve/geneveravenel.htm

Retour - Ressources  - Accueil