AFPS Nord Pas-de-Calais CSPP |
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Le rêve olympique de Sanaa, la
« gazelle » de Gaza
P. Saint Paul
A quelques
jours de l'ouverture des Jeux Olympiques à Athènes, une jeune coureuse
Gazaouie sélectionnée s'y prépare dans les ruines d'un camp de réfugiés.
Deir el Ballah 05 juillet 2004 Une flamme brille au milieu des ruines et de la poussière de Gaza. Elle brûle dans le regard d'une jeune athlète palestinienne, sélectionnée pour les Jeux Olympiques d'Athènes, où elle ira accomplir un rêve qui paraissait intouchable, en courant le 800 mètres. Sanaa Abou Bkheet, 19 ans, est porteuse d'une lueur d'espoir dans le camp de réfugiés de Deir el Ballah, au sud de la Bande de Gaza, où elle habite et où le quotidien est ponctué par les incursions de chars israéliens et les frappes d'hélicoptères Apaches. En août, ses habitants se rassembleront sous une tente, pour admirer la première femme athlète olympique palestinienne à la télévision. Son pari n'était pas gagné d'avance. Même si Sanaa sait qu'elle ne rapportera pas de médaille. La coureuse palestinienne, dont le record personnel se situe à quelque 20 secondes du temps de qualification officiel, a bénéficié d'une invitation spéciale. Mais son exploit se situe ailleurs : s'entraîner à Gaza, enclave déchirée par la guerre et où les femmes non voilées sont montrées du doigt. Lorsque la coureuse à la peau noire a commencé à sprinter à travers le camp de réfugiés, en 2000, elle devait slalomer entre les cailloux et les insultes lancées par ses voisins. Courir en T-shirt et en short posait un problème dans un endroit où la plupart des femmes sont couvertes de la tête aux pieds. Mais depuis qu'ils savent qu'elle pourchasse un rêve olympique, les « fidèles » ont accepté que cette jolie jeune femme élancée fasse du sport sous leurs yeux. "C'est une société islamique ici", explique Abdel HaSalim, son entraîneur. "Les gens n'acceptent pas les filles qui courent. Depuis qu'ils savent que Sanaa va les représenter aux JO, ils l'encouragent." Mais hors de question de porter un short. Même par 45° à l'ombre, Sanaa doit s'exercer en survêtement.. Ses difficultés ne s'arrêtent pas là. A quelques semaines des olympiades, tous les participants suivent un régime alimentaire spécial. Sanaa, elle, compense les carences alimentaires en avalant une cuillerée d'huile d'olive chaque matin. Les jeunes espoirs athlétiques sont loin des priorités de l'Autorité Palestinienne ruinée par les conséquences de l'Intifada et la corruption. Le « comité olympique » palestinien, qui enverra trois athlètes aux JO d'Athènes, a été incapable de lui fournir une paire de chaussures de course et une tenue d'entraînement. Ses parents ont dû emprunter de l'argent à des amis pour l'équiper Sanaa se sent-elle prête ? "Mentalement, je suis forte" , dit-elle en souriant. "Physiquement et techniquement, c'est moins évident... J'applique les consignes de mon entraîneur. Mais ici, il n'y a pas de piste pour courir, ni de machines pour s'entraîner." Sanaa court sur la plage pour développer ses muscles ou dans les rues éventrées et poussiéreuses de Deir el Ballah. Elle sait que lorsqu'elle fait deux fois le tour du pâté de maisons, cela correspond à peu près à huit cents mètres. Mais elle ne connaît jamais son temps exact. Elle n'a pas les moyens de tester sa puissance. Ni de mesurer sa progression. Les athlètes palestiniens ont commencé à participer à des compétitions internationales après les accords d'Oslo de 1994-1995 et ont envoyé un compétiteur aux JO d'Atlanta en 1996. Mais depuis le début de la seconde Intifada en septembre 2000, la plupart des programmes sportifs se sont effondrés sous le choc des opérations militaires israéliennes en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Les offensives de Tsahal, les couvre-feux et les bouclages - des mesures qualifiées de prévention contre les attentats suicides par Israël et de punition collective par les Palestiniens - ont restreint la liberté de mouvement et handicapé l'économie palestinienne. La jeune coureuse a réussi à sortir de la Bande de Gaza à sept reprises pour participer à des compétitions internationales. Elle a réalisé son meilleur temps, 2 minutes 28, lors des Jeux arabes en Egypte en 2003. "Ca ne suffit pas", estime son entraîneur. "Sanaa ne peut pas progresser sans participer à davantage de compétitions." Régulièrement Israël interdit aux hommes et aux femmes âgés de moins de 35 ans de quitter la Bande de Gaza, pour se protéger contre les kamikazes, notamment lorsque des opérations militaires sont en cours. Cela dure parfois plusieurs semaines. Sanaa n'ose même pas imaginer de ne pouvoir sortir à temps pour participer aux JO. "Tout ce travail et ces sacrifices pour rien, c'est impossible", se persuade-t-elle. Participer aux olympiades est aussi un geste politique pour la jeune athlète palestinienne. "Je veux porter le drapeau palestinien à Athènes", dit-elle. "C'est ma façon de lutter contre l'occupation. Je veux voir flotter dans l'arène mon drapeau parmi ceux de toutes les autres nations et entendre mon hymne, pour prouver au monde que le peuple palestinien existe et que notre Etat doit exister. C'est cela qui me donne de la force et me motive". Mais c'est avant tout un rêve. Son modèle s'appelle Maria Mutola, Mozambicaine et reine du 800 mètres. "Elle venait d'un pays pauvre et en guerre comme moi, mais elle a eu la force et la volonté de devenir la plus grande championne de 800 mètres", s'enthousiasme Sanaa. "J'espère que je pourrai lui parler à Athènes. Mais surtout que j'aurai la chance de courir le 800 mètres à ses côtés". Sanaa espère aussi qu'elle sera découverte, qu'un sponsor lui donnera les moyens de s'entraîner convenablement pour avoir une chance de décrocher une médaille à Pékin en 2008. L'Italie lui a offert un stage d'entraînement d'un mois avant les JO d'Athènes. Mais cela ne suffira pas. Pour faire la carrière sportive dont elle rêve, Sanaa devra s'expatrier. Contrairement à des milliers de Gazaouis de son âge, désespérés, elle affirme ne pas vouloir quitter définitivement la Palestine. "Je suis une réfugiée", explique-t-elle. "Mes parents ont fui Jaffa en 1948. Je resterai fidèle à la Palestine, car si je vis ailleurs, j'aurais l'impression d'être doublement réfugiée". Cela ne l'empêche pas d'espérer. "Peut-être qu'après les Jeux d'Athènes, un pays souhaitera m'adopter et me donner les moyens de m'entraîner",avoue Sanaa. "Je rêve de la France, où ma soeur est allée une fois. Elle m'en a tellement parlé". Lors de sa visite à Ramallah, la semaine dernière, le ministre français des Affaires Etrangères, Michel Barnier, un coureur de fond qui fut le coprésident du Comité d'organisation des Jeux Olympiques d'Albertville, avait manifesté son intérêt pour la jeune athlète palestinienne... Peut-être la France en fera-t-elle une championne
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