Pierre-André
Taguieff : Un "prêcheur de haine" magistral
dimanche
5 décembre 2004, par Sylvia Cattori
Accuser
les autres de ses propres péchés est une vieille tactique. C’est
ce que fait le chercheur au CNRS, M. Pierre André Taguieff dans son
livre “ Prêcheurs de haine : Traversée de la judéophobie
planétaire ” [1]
Si
l’on suit son raisonnement, tout un chacun peut, aujourd’hui, demain,
se voir abusivement soupçonné de “ haïr les juifs ”, se
voir accusé de “ judéophobie ” pour avoir porté un regard
critique sur Israël ! D’autres vont le répéter. Et le tour est
joué. Ce mot lâché, plus moyen de se laver de la souillure.
A
l’appui de citations tronquées, accompagnées de commentaires perfides,
Taguieff n’a pas de mots assez méchants pour transformer les personnes
épinglées, en épouvantails repoussants. [2]
Dans
les milles pages de son essai, pages toutes remplies de notes plus
assassines les unes que les autres, Taguieff s’en prend tout particulièrement
à des personnalités publiques qui se sont fermement opposées, ces dernières
années, aux guerres anti-Arabes, anti-islam. Personnalités, donc, qui
ont élevé la voix, pour condamner les violations, par Israël et les
Etats-Unis, de la loi internationale et humanitaire qui protége les
civils dans les zones occupées. Personnalités tout ce qu’il y a
d’humainement et moralement respectables mais considérées par Taguieff
- qui lui défend effrontément les violeurs du droit - comme faisant
partie de ce “ noyaux durs de judéophobes ” qui véhiculerait
“ une pensée unique ” teintée “ d’israélophobie,
d’américanophobie, d’islamo-gauchisme ”.
Taguieff
cherche à répandre l’idée que les “ ennemis des juifs ”
reviennent en force. Qu’ils sont partout. A droite comme à gauche,
comme dans les mouvements anti-guerre. Qu’ils sont passés de “ l’antisémitisme
à l’antisionisme ”. Qu’il y a parmi les “ antisionistes
légitimes ” des “ antisionistes absolus, qui sont aussi
redoutables que les vieux antisémites ”. Et ceux là il faut les
bannir.
Or,
tout ce charabia ne tient pas la route. Même si Taguieff a troqué le
terme “ d’antisémitisme ” contre celui de “ judéophobie ”,
même si les médias lui donnent toujours un vaste écho et si les
politiciens peu courageux se couchent par pure couardise, il y a peu de
chance que sa démonstration, soit prise au sérieux par le grand public.
Les gens ne sont plus aussi dupes !
Si
l’exploitation de l’“ antisémitisme ” a assez bien
fonctionné jusqu’ici, il ne fait plus toujours recette aujourd’hui.
D’autant qu’il y a eu, en 2004, toute une série de révélations qui
ont permis à la police d’établir que des actes attribués trop hâtivement
à “ l’antisémitisme galopant ” étaient, en vérité,
des actes fabriqués de toute pièce par ceux-là mêmes qui hurlaient à
la “ persécution des juifs ”, fomentés par des pompiers
pyromanes étroitement liés aux organisations juives. [3]
Pourquoi
des personnes de confession juive se livrent-elles à ce genre de
provocations ? Il faut savoir qu’Israël a toujours compté sur
l’arrivée de nouvelles vagues d’immigrants juifs pour préserver un
équilibre démographique face aux Palestiniens. Et comme les Français
sont de moins en moins tentés d’aller s’établir en Israël, il faut
leur donner, de-ci de-là, un coup de pouce en leur faisant très peur
pour les pousser à émigrer en Israël. Cela permet du même coup de
justifier l’injustifiable. D’accréditer l’idée que les colons
juifs qui vont s’installer demain sur des terres volées aux
Palestiniens sont la conséquence directe, donc excusable, des “ persécutions ”
dont ils seraient toujours victimes en France. [4]
Aujourd’hui,
tout le monde est censé savoir que, ces dernières années, alors que des
organisations comme le CRIF ameutaient toute la classe politique française
autour de “ l’antisémitisme ”, Israël perpétrait en
Palestine les pires crimes de guerre de son histoire. Toutes ces campagnes
qui agitaient le spectre de “ l’antisémitisme ” étaient
idéologiques. Elles servaient des objectifs politiques. Et elles allaient
toujours en s’amplifiant au moment où Israël se livrait à des opérations
sanglantes contre les Palestiniens. Il s’agissait de faire diversion.
Ainsi, pendant qu’Israël massacrait les Arabes sans être dérangé,
les inconditionnels d’Israël dans le monde faisaient tout un
tintamarre, autour de faux actes “ antisémites ”. Il y a
des chiffres qui démontrent que, durant ces années, il y a eu plus de
cimetières chrétiens et musulmans profanés que de cimetières juifs.
Voilà
pourquoi, depuis qu’Israël a durci sa politique répressive en
Palestine, il ne s’est pas passé une semaine, sans que le
journaliste-philosophe M. Alain Finkielkraut ou le président du
Conseil Représentatif des Instituions Juives de France (CRIF), M. Roger
Cukierman, ne montent au créneau pour nous marteler que “ les
juifs ” étaient en danger en France et de pointer du doigt “ les
banlieues ”. Ce qui revient à introduire l’idée qu’ils
veulent faire passer : que les Arabes sont la première menace, et
que l’Islam est l’ennemi du monde chrétien.
Tout
cela est parfaitement cynique. Mais pour tous ceux qui calquent leur manière
de voir sur celle d’Israël, c’est de bonne guerre. Ainsi, à force de
diaboliser les “ banlieues ”, subrepticement, la petite écolière
couverte d’un foulard deviendra, aux yeux des Français qui se sont
insensiblement pénétrés de ce “ discours de haine ”
pernicieux, aussi dangereuse que le Palestinien en rébellion contre
l’occupant israélien. Qui versera une larme quand les avions iront
bombarder ces “ fanatiques ”, en Palestine et en Irak ?
Combien
de temps la France va-t-elle encore supporter sans réagir que des
provocateurs et des manipulateurs à la solde d’Israël, qui se sentent
finalement plus israéliens que français, continuent de fomenter des
troubles pour diviser les citoyens ?
Israël,
quoi qu’il fasse, peut toujours compter sur des alliés qui le
soutiennent et reprennent sa propagande. Propagande qui consiste à faire
des amalgames entre un “ terroriste ” et un résistant,
entre l’islam et le réseau Al-Qaida, à associer tout musulman qui fait
sa prière à la mosquée et toute femme qui porte le foulard à des “ extrémistes ”,
à des “ fanatiques ”, à des “ terroristes ”.
Taguieff n’est pas le plus actif d’entre ces inconditionnels qui nous
désinforment quotidiennement. Il n’est que le plus petit maillon
d’une chaîne de “ maître de discours ” qui occupent tout
le champ médiatique, qui pèsent sur la politique en France et
participent de ce processus de déshumanisation de l’Arabe, de l’Islam,
qui conforte les intérêts d’Israël. [5] Processus qui va
toujours de pair avec le lynchage de ceux qui osent contrecarrer leurs
mensonges et appeler à plus d’humanité envers nos frères arabes.
Quand
Taguieff accuse des personnes qu’il ne connaît pas, de “ judéophobie ”,
de “ révisionnisme ”, de “ négationnisme ”,
il se révèle être lui-même un prêcheur de haine magistral. Haine de
ceux qui défendent des valeurs de justice et qu’il piétine allégrement.
Haine de ces “ féministes et alter mondialistes ” qui défendent
le droit des femmes musulmanes à porter le foulard et donnent la parole
à Tariq Ramadan. Haine de ceux qui ne partagent pas sa haine de l’Arabe
et de l’Islam.
Combien
de personnalités respectables n’ont-elles pas déjà été salies, par
le passé, par ce genre de simplifications ? Marguerite Yourcenar -
pour ne citer que l’une des plus célèbres d’entre elles - a énormément
souffert d’avoir été abusivement soupçonnée “ d’antisémitisme ”.
Il
suffit de se rapporter aux récentes campagnes médiatiques contre Tariq
Ramadan pour mesurer l’ampleur de la haine anti-musulmane. En quelque
mois les médias ont fait de cet intellectuel musulman, un personnage
douteux, dangereux, infréquentable. [6]
En
réalité, les “ prêcheurs de haine ” ne sont pas là où
Taguieff, à l’instar d’André Glucksman [7], veut bien nous le
faire croire. Son propre “ discours de haine ” vise à faire
taire les défenseurs du droit international qui critiquent Israël et les
Etats-Unis, et à durcir les lois qui permettraient de les bâillonner.
La
diabolisation des Arabes et de la religion musulmane par les va-t-en
guerres et les idéologues du choc des civilisations, favorise les intérêts
d’Israël, pas ceux de la France. Ce sont donc eux, les Arabes et les
musulmans, les principales victimes de racisme en France. C’est d’eux
que Taguieff aurait dû se préoccuper en priorité. Or, pour Taguieff, si
la déshumanisation des Arabes est naturellement admise, la critique de la
politique raciste de l’Etat d’Israël n’est pas acceptable.
Vous
l’avez compris, ce qui scandalise Taguieff ce ne sont pas les victimes
innocentes des guerres criminelles de Sharon et Bush, ni les actions
douteuses en France de certaines organisations juives qui cherchent à
diviser les citoyens ; ce qui le scandalise ce sont uniquement les
forces politiques qui refusent l’inacceptable : l’occupation
militaire israélienne en Palestine, l’occupation américaine en Irak,
et toutes les souffrances qu’elles génèrent.
Apporter
son soutien à un Etat qui nie le droit d’exister aux Palestiniens, ce
n’est pas une position défendable. Qu’importe ! Il s’agit pour
les Taguieff de donner un coup de main à Israël au moment où, malgré
tous les efforts déployés au dehors par ses défenseurs pour tenter de
sauver son statut de victime éternelle et pour l’embellir, son image de
“ pays civilisé et démocratique ” s’effrite. On ne peut
pas tromper le monde indéfiniment. Donner à l’antisémitisme - ou à
la “ judéophobie ” - une ampleur qu’il n’a pas, fait
l’affaire d’Israël ; cela ne fait pas l’affaire de la France.
Nous
devons refuser cette grille de lecture tendancieuse et régressive. Nous
devons lutter contre ces campagnes mensongères qui visent à nous faire
voir le monde arabo-musulman comme l’ennemi de l’Occident.
Taguieff
se vante d’“ avoir fait un livre sérieux, à visées nobles et
culturellement savantes ” ! Dans son passage sur les ondes de
France culture il est apparu comme un homme médiocre, suffisant, présomptueux,
imbus de lui-même et parfaitement cynique. Voici quelques extraits de ses
réponses aux questions posées par deux journalistes manifestement
sceptiques. [8]
Vous
avez fait un “ massacre de personnalités (...), il n’y a plus
grand monde qui trouve grâce à vos yeux, c’est un peu abusif ” !
“ Je
reconnais que mes portraits sont des gifles (...) Nous sommes dans un
univers manichéen (...) il y a deux pôles ; entre l’antisionisme
légitime et l’antisionisme absolu (le dénigrement systématique d’Israël)
il y a une zone d’ambiguïté (...) il y a beaucoup de pacifistes et
d’intellectuels français qui sont à la frontière de ce que
j’appelle la judéophobie ”.
Qui
sont les judéophobes ?
“ La
LCR, les trotskistes anglais, les alter mondialistes, les pacifistes qui
font copinage entre Ramadan, les féministes et les alter mondialistes
(...) Je m’intéresse aux dérives antijuives du pacifisme radical ”
Mais
vous vous alignez sur les positions des Sharon et Bush. Vous allez avoir
une partie de l’opinion française choquée ! Est-ce à dire que,
dans la position anti-guerre française, il y a des traces de judéophobie ?
“ La
stratégie des néo-conservateurs visait le remodelage du Proche-Orient.
J’étais d’accord avec eux. La France en 2003 a montré un étrange
unanimisme (contre la guerre en Irak) ”.
Les
Etats-Unis peuvent bombarder où ils veulent ?
“ Ils
doivent jouer le jeu (...) Sur le pacifisme je fais une lecture comparée
avec 36-39, la capitulation devant Hitler ”.
Vous
avez tendance à ne parler que de pacifisme radical et à mettre dans le même
sac ceux qui ont réfléchi (aux enjeux de la guerre) ?
“ J’ai
voulu m’engager à dénoncer les dérives anti-juives et anti-américaines,
la théorie du complot juif mondial ”
Quand
passe-t-on de “ l’antisionisme légitime à l’antisionisme
absolu ” ?
“ Quand
il y a nazification, quand on dit “ sionisme égal nazisme ”
(...) La France a vraiment basculé (dans la judéophobie) avec Sabra et
Chatila. Ca n’est pas Sharon qui a tué les Palestiniens. On parle de
Tsahal comme d’une armée de soudards, une bande de criminels ”.
Tout
cela est une invention totale ?
“ Israël
est un pays démocratique (...) ”
Vous
dites que l’espace médiatique méconnaît les pays Arabes ?
>
“ Mon analyse : il y a deux poids deux mesures. Il y a un
antisionisme médiatique avec une palestinophilie angélique. Il y a une
vision noire dans le traitement d’Israël. Nous sommes dans l’ambigu
et les manichéens ne comprennent pas cela. ” (Fin)
Mais,
là encore, c’est le pompier pyromane. Il n’y a pas plus manichéen
que Taguieff. Il y a le camp des justes d’un côté, son camp, et le
camp des “ pacifistes ” de l’autre côté ; camp
qu’il soupçonne d’“ antisémitisme ”, d’“ antisionisme
radical ”, de “ judéophobie ”.
D’après
vous, chers lecteurs, qui portez la blessure d’un monde déchiré, qui
sont les manichéens qui voient tout en noir et blanc et ne sont pas
capables de dialoguer ?
[1]
Editeur Mille et une nuits, septembre 2004
[2]
Parmi quelques centaines de personnalités méchamment mises en cause il y
a le rapporteur spécial des Nations Unies, Jean Ziegler, Josè Bovè,
Dieudonné M’Bala M’Bala.
[3]
Il y a des organisations juives qui soutiennent financièrement la
discrimination raciale en Israël, en collectant des fonds qu’elles
versent au KKL, le fond National Juif qui jouit d’un statut
constitutionnel en Israël et gère une partie importante des terres volées
aux Palestiniens. Elles ne sont pas blâmées par M. Roger Cukierman
qui représente les organisations juives en France et à ce titre
participe au comité interministériel qui se réunit mensuellement pour
lutter contre l’antisémitisme. On se demande ce que le gouvernement
français attend pour les interdire. Le cas le plus connus, parmi les faux
“ actes antisémites ” est celui d’Alexandre Moïse,
dirigeant de la fédération sioni ste de France, qui s’adressait des
messages anti-juifs. Alors qu’il avait porté plainte pour menaces
antijuives il a été reconnu par la police en mai 2004 comme étant lui-même
l’auteur de ces menaces. Toutefois 80 % des actes dits antisémites ne
sont pas identifiés. Donc il est difficile de dire qui en sont les
instigateurs.
[4]
Si l’usage de l’antisémitisme à des fins politiques prend en France
une telle proportion, cela découle du fait qu’il y a dans ce pays le
plus grand nombre de citoyens de confession juive après les Etats-Unis et
que les organisations sionistes y sont très actives.
[5]
Alexandre Adler est incontestablement le plus efficace leader d’opinion,
parmi les journalistes qui en France, cherchent à accréditer l’idée
que l’Occident est dans un choc de civilisation vis-à-vis du monde
musulman. Et aussi le plus influent défenseur de la politique
d’agression militaire d’Israël et des Etats-Unis au Moyen-Orient.
[6]
France 2 est la chaîne télévisée qui s’est montrée la plus acharnée
à vouloir détruire Tariq Ramadan. Notamment en diffusant le reportage à
charge, De Sifaoui, un algérien qui cherche à se faire une place en
France en dénigrant ses frères de manière assez pitoyable.
[7]
André Glucksman a écrit récemment un livre qui va dans le même sens.
“ Discours de haine ”
[8]
Taguieff était interrogé par deux journalistes à France Culture le 27
octobre 2004. Nous avons pris durant l’émission des notes, qui reflètent
fidèlement son propos même si nous n’avons pas pu les reprendre mot à
mot.
Source
: coordination-interfacs-palestine
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