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La question des réfugiés palestiniens et les négociations

Sylviane de Wangen - Pour la Palestine n°43
 

Le 15 mai 2004, Elias Sanbar, réfugié palestinien vivant à Paris, historien, rédacteur en chef de la Revue d'Etudes palestiniennes, négociateur palestinien sur la question des réfugiés, a tenu une conférence-débat sur ce thème organisée au FIAP (*) par l'AFPS. Nous publions une synthèse de son intervention dont la version intégrale donnera lieu à un cahier spécial du « cycle de formation » de l'AFPS.

(*) Foyer international d'accueil de Paris, récemment rebaptisé "FIAP Jean Monnet"

« La question des réfugiés est centrale dans le problème israélo-palestinien, parce que c'est la question originelle, la plus complexe de toutes celles à résoudre. Elle réunit la question du passé, du présent (60% de la population palestinienne sont des réfugiés), et de l'avenir. La clé fondamentale de ce que l'on pourrait appeler une possible réconciliation se trouve là et pas ailleurs  », a-t-il énoncé en ouverture.

D'emblée, Elias Sanbar a apporté des précisions de vocabulaire : les réfugiés palestiniens concernés par le droit au retour sont tous ceux qui ont été expulsés ou contraints de quitter leur maison, en 1948 et en 1967, qu'ils se trouvent dans un camp ou non, qu'ils aient ou non acquis une autre nationalité pendant leur exil, Il s'agit de tout l'exil palestinien. Dans le cadre des négociations, les réfugiés issus de la guerre de 1967 ont été appelés « personnes déplacées  », pour les distinguer de ceux de 1948, mais ils sont exactement dans le même cas. Les réfugiés représentent 60% de la population palestinienne et se trouvent dispersés au Liban, en Jordanie, en Syrie, en Irak et dans d'autres pays arabes, en Europe, dans les Amériques, mais aussi sur des portions du territoire de la Palestine puisqu'il y a des camps de réfugiés en Cisjordanie et à Gaza (1948, de 760 à 800.000 personnes ont été expulsées en quelques semaines du territoire qui est aujourd'hui l'Etat d'Israël.

« Cette complexité des situations n'empêche pas que le sentiment est unitaire et la réclamation est unanime sur le droit au retour. Mais les perceptions en sont différentes. »

Après le choc de la première vague d'expulsions, tant pour les expulsés que pour ceux qui les ont vus arriver aux frontières arabes et eu égard à la situation qui en est résultée sur le plan humain, matériel et sanitaire, l'ONU a très vite réagi par une condamnation - car il n'était pas prévu que le partage de la Palestine se passe de la sorte - et la question du droit au retour a été immédiatement posée.

C'est d'abord la Croix Rouge Internationale et des missions humanitaires de Quakers américains, qui se trouvaient là, qui sont intervenues sur le plan humanitaire. Puis très rapidement ces deux organisations ont transféré leurs activités à l'UNWRA [1], créée dans la foulée du vote de la résolution [2] qui institue le droit au retour. Elias Sanbar a alors rappelé que l'UNWRA est une agence de l'ONU, unique en son genre, créée de façon expresse et limitative pour la question des réfugiés de Palestine qui, selon son règlement interne, disparaîtra le jour où les droits seront accomplis. Donc l'UNWRA trouve sa raison d'être dans le fait que le droit n'a pas été appliqué et son existence est, sur le plan juridique, la preuve permanente que ce droit attend son application.

La panique d'Israël

La question du droit au retour a, dès le départ, été contrée par un refus absolu de la part d'Israël, refus venant d'un sentiment de panique dès que l'on aborde cette question. Pourquoi ? Tout d'abord parce que l'Etat d'Israël, dans la perception du mouvement sioniste et de ses membres, a été, dès le départ, présenté comme la solution à la «  question juive ». Dès les pogroms tsaristes, combinés aux effets de l'affaire Dreyfus, l'idée d'un Etat refuge face à des persécutions s'est développée. Le fait que le pays qui devait servir de havre et de refuge soit peuplé ne posait alors pas problème [3] dans la mesure où, à l'époque, ceux qu'on appellera par la suite les pays colonisés ou les pays du Sud ne comptaient pas. La perception que cette lecture de l'histoire est juste va être amplifiée avec le déferlement de la barbarie nazie. Après la deuxième guerre mondiale, la terre entière est convaincue que la proclamation de l'Etat d'Israël est la réponse juste à une injustice. Et donc, il ne s'agit même pas, dans le cas d'Israël, d'une légitimité politique ou de facto mais d'une légitimité morale.

Dès le départ, cette légitimité est perçue comme mortellement menacée s'il apparaissait que cet Etat est né d'un acte illégitime. Que les épisodes de sa naissance puissent être divulgués provoque très vite des réactions de pure panique. Les Israéliens sont convaincus que si l'on touche à la légitimité de la naissance de l'Etat d'Israël, on compromet son existence future. Ainsi, cette question, qui n'apparaît que comme une question de droit ou un débat historique, est une question existentielle pour Israël. D'où cette fermeture absolue dès qu'elle est abordée car les Israéliens savent ce qu'ils ont fait et ils savent bien entendu que les Palestiniens savent ce qu'ils ont fait.

Chaque individu est éduqué avec ce sentiment de vivre dans une citadelle assiégée et ressent une double inquiétude : celle que son Etat ne soit plus légitime, et donc que l'édifice s'effondre, et celle que lui-même ne soit plus autorisé à être là où il est, pour certains là où ils sont nés, et que donc son existence physique soit remise en question, «  c'est à dire l'idée du massacre ».

« On le voit, cette question du droit au retour touche à des registres qui ne sont pas strictement diplomatiques, politiques ou humanitaires, mais relève aussi d'autre chose de type schizophrénique, psychanalytique ». D'où cette posture défensive permanente. C'est ce qui a constitué l'essence du blocage dans les négociations. C'est pour cela aussi que les discussions dans tous les sens sur la démographie sont des pièges.

Les négociations

Néanmoins, à un certain moment, les négociations ont dû s'ouvrir. Mais toutes les tactiques pour que la question ne soit pas posée ont été employées. D'abord, il fallait reporter les questions les plus complexes à plus tard après que les questions négociables auraient été réglées. Puis, compte tenu de la pression pour aborder cette question qui concerne l'écrasante majorité des Palestiniens, celle-ci a été inscrite dans le volet dit des «  négociations multilatérales  », c'est-à-dire des négociations techniques.

Les premières négociations se sont donc ouvertes à Ottawa. L'objectif de la délégation palestinienne était de fonder les négociations sur la résolution de l'ONU sur le droit au retour. Pour cela, se référant aux « termes de référence » que les Américains leur avaient imposés ailleurs, ils ont obtenu, en l'absence des Israéliens qui avaient cette fois-là fait l'erreur (qui ne s'est pas reproduite) de pratiquer ?« la chaise vide », de mettre au préambule des négociations multilatérales que celles-ci seraient fondées sur les résolutions de l'ONU relatives à la question des réfugiés palestiniens, marquant ainsi un point de référence vital.

Les manœuvres américano-israéliennes

A partir de là, tout au long des négociations, Américains et Israéliens ont inventé un certain nombre de «  trouvailles  » comme les appelle Elias Sanbar, obligeant la délégation palestinienne à mener des batailles défensives. La première a été la tentative d'inclure dans la définition des « réfugiés » toutes les personnes qui avaient subi des déplacements du fait de la crise du Proche Orient : les Kurdes en Irak, les populations du Sud Liban du fait de la guerre civile, les populations syriennes du Golan, les Juifs des pays arabes. Ainsi la question des réfugiés palestiniens aurait-elle été banalisée, comme un problème inhérent à toute situation de guerre, comme un mouvement de population dû à la guerre. La première bataille de la délégation palestinienne a consisté à casser cette définition, qui finalement n'a pas été retenue.

La seconde « trouvaille » a été de considérer qu'il y avait eu des Palestiniens qui étaient partis de chez eux et des Juifs qui avaient été chassés des pays arabes en raison du conflit, de faire le calcul de part et d'autre et de conclure qu'il y avait eu échange de populations [4]. Mais une deuxième bataille a été menée contre ce thème et cette logique a été de nouveau bloquée.

La troisième tentative a été, de l'avis de l'orateur, politiquement la plus dangereuse. Elle a eu lieu lors de la session qui s'est tenue en Turquie alors que l'Autorité Nationale Palestinienne venait de s'installer à Gaza. Dès l'arrivée de la délégation palestinienne, Américains et Canadiens leur ont dit en aparté que les Palestiniens étant en train de prendre leur pouvoir à Gaza et en Cisjordanie ils ne pourraient pas supporter l'existence d'un Etat dans l'Etat qui avait 110.000 fonctionnaires ; et qu'ils auraient intérêt à réclamer eux-mêmes la fin des activités de l'UNWRA puisqu'ils prenaient leurs affaires en main. C'est exactement à cette époque que les Etats-Unis, qui avaient voté tous les ans depuis son adoption la résolution sur le droit au retour, se sont subitement abstenus [5]. Un deuxième argument a été utilisé, celui de la non pertinence de résolutions de l'ONU datant de 50 ans et de la nécessité d'aller de l'avant avec les Israéliens dans des négociations réelles, créatives, avec de nouveaux termes de référence. Cette troisième bataille sur la double attaque contre les textes fondant le droit et contre l'institution dont la permanence disait que ce droit n'était pas satisfait, a été difficile car certains de ceux qui étaient déjà installés avec l'Autorité en Palestine étaient assez sensibles à ce discours sur la consolidation de leur pouvoir. Et la délégation palestinienne, qui finalement « s'en est tirée de justesse », avait dû contrer à la fois les pressions américaine et canadienne et les accords déjà donnés par certains de leurs responsables à Gaza.

Les négociations se sont ensuite arrêtées sur les réfugiés au prétexte qu'il fallait alors passer aux négociations sur le statut final et que des discussions techniques n'étaient plus utiles. Et Elias Sanbar de conclure sur cet épisode des négociations : « En fait la négociation était bloquée dès le départ car il ne fallait pas aborder la question de l'application du droit ; l'enjeu réel pour nous consistant précisément à empêcher de vider le droit de sa substance. Car, si nous avions accepté la disparition du droit, si nous avions accepté qu'il n'y ait plus de termes de référence, si nous avions accepté l'idée que tous les réfugiés étaient interchangeables, si nous avions accepté que la question des indemnités était la question centrale et que les Juifs arabes étant spoliés, les Palestiniens étant spoliés, nous étions quitte, nous serions allés à la négociation finale sur les réfugiés avec un dossier vide.  »

Les positions palestiniennes

Elias Sanbar développe ensuite la position palestinienne : elle part du texte de la résolution 194, qui est très clair, et du contenu du droit au retour [6]des Palestiniens qui est un droit humain. Ce droit n'est pas négociable. Le droit d'un être humain à être chez lui est un droit naturel et le droit des Palestiniens à être en Palestine n'est pas un droit négociable. Ce qui peut être négocié, c'est son application, pas le droit lui-même. Celui qui détient des droits peut accepter de négocier leur application mais pas le droit de les avoir. Il peut décider de ne pas rentrer mais pas qu'il n'a pas le droit de rentrer. D'où, dans la négociation par rapport au retour, un ordre de séquences à observer : d'une part, le droit au retour est un droit naturel, d'autre part le droit au retour n'est pas échangeable avec l'indemnisation, ce n'est pas ou le droit ou l'argent. Enfin, on ne peut discuter l'application du droit qu'une fois que le droit est reconnu [7].

Face à toutes les stratégies qui, aujourd'hui, visent soit à lancer de fausses pistes, sur le thème « la démographie des Palestiniens est très dangereuse, l'Etat ne sera plus assez juif  », soit à inverser l'ordre des séquences, Elias Sanbar insiste sur l'importance pour les Palestiniens d'en tenir fermement sur l'ordre de ces séquences, le droit avant l'application et, avec le droit, demander, pour la réconciliation, une déclaration solennelle israélienne sur l'injustice commise.

« Israël a obtenu toute les reconnaissances qu'il voulait. C'est un fait. Et pourtant il demeure inquiet. Parce que l'Etat d'Israël ne trouvera en fait une véritable légitimité, malgré toutes les ambassades de la planète, que lorsque ses victimes la lui donneront - et eux savent très bien, à cause de tous les malheurs que leurs parents ont vécus, ce qu'est une victime. C'est la seule clé possible d'une réconciliation. »

Synthèse établie par Sylviane de Wangen
à partir de la transcription de la conférence d'Elias Sanbar.

[1] The United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East

[2] La résolution 194 dit que tout Palestinien a le droit au retour et qu'il sera indemnisé dans le cas où il ne voudrait pas exercer son droit. Il n'y a jamais eu dans le texte l'idée d'instituer l'indemnisation comme une alternative au droit.

[3] Le slogan qui disait dans le débat de 1967 «  Une terre sans peuple pour un peuple sans terre  » est très tardif ; en fait, tout le monde savait que la terre n'était pas vide.

[4] Elias Sanbar avait d'ailleurs remarqué que toutes les délégations israéliennes (la première étant conduite par Schlomo Ben Ami devenu par la suite ministre dans le gouvernement d'Ehud Barak) étaient dirigées par des Juifs venant des pays arabes.

[5] Et l'année qui a suivi, ils ont voté contre et demandé aux Etats arabes de s'abstenir.

[6] Qui n'a rien à voir avec la loi du retour israélienne, loi interne qui autorise les Juifs du monde entier à s'installer en Israël pour en être citoyen.

[7] En fait, il est déjà reconnu. Il est déjà reconnu par l'ONU, il est inhérent à tout peuple qui a le droit d'être chez lui et il a été même reconnu par l'Etat d'Israël car dans la résolution 237 en vertu de laquelle Israël a été admis comme membre de l'ONU, il est très explicitement spécifié que pour qu'Israël intègre l'Assemblée Générale de l'ONU, Israël reconnaît la totalité des résolutions et des décisions de cette organisation. Or, la résolution 194 sur le droit au retour avait déjà été votée. Il était très clair, quand il y a eu la rédaction de cette résolution 237, que quand on disait qu'Israël, pour être admis à l'ONU, reconnaissait toutes les résolutions de l'ONU, on faisait référence à cette résolution 194.

Source : France Palestine  http://www.france-palestine.org/article750.html

 

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