AFPS Nord Pas-de-Calais CSPP

   


Uri Avnery

 
Comment diable est-ce arrivé ?
 


Qui aurait pu imaginer il y a cinq ans que moi, Arik, je deviendrais l’ennemi numéro un des colons ? Qu’ils me maudiraient et comploteraient pour me tuer ? Que je préparerais l’armée à l’évacuation des colons, moi qui les avais élevés et dorlotés ? C’est l’ironie de l’histoire.

Comment diable me suis-je mis dans une tel pétrin ? Je me réveille le matin et je ne peux pas y croire. Quoi, moi, Arik Sharon, puis-je me trouver en guerre contre les colons ? Moi, qui le premier les ai installés ? Moi, qui ai conçu la carte des colonies bien avant que les colons eux-mêmes n’y aient même songé ?

Comment, pour l’amour de Dieu, cela a-t-il commencé ? Que voulais-je faire après tout ?

Le Président Bush m’a demandé de présenter un plan de paix quelconque. Il en avait besoin pour sa réélection. Comment lui refuser cette faveur après qu’il nous eut soutenus sur tout, juste pour obtenir de moi une bonne parole qui marque un revirement, comme avec les blocs de colonies ?

Je devais aussi faire quelque chose pour mettre fin aux divagations de ce cher Beilin. Son « plan de paix » a rencontré un écho international et a réjoui présidents et premiers ministres. Ce plan aurait pu être dangereux. Tout d’abord, parce qu’il pouvait ébranler la conviction des gens que « nous n’avons pas de partenaire pour la paix ». Il est vrai que nous devons en remercier Ehoud Barak mais c’est encore l’arme la plus efficace de notre arsenal. Ainsi, me fallait-il présenter quelque chose qui balaierait cette initiative et me remettrait au centre de l’attention israélienne et internationale. On disait autour de moi que j’étais vieux, fatigué, faible, sans initiative ; que je laissais les choses aller à la dérive. Quoi, moi vieux ? Moi faible ? Je me suis saisi de ce plan et ai démontré ma résolution, ma détermination et ma volonté inébranlable.

Et voyez ce qui s’est passé : depuis déjà une année entière, mon « plan de désengagement » a provoqué des soulèvements en Israël et mobilisé le monde entier. Tout le monde reconnaît qu’on ne parle plus que de cela.

En réalité je n’ai pas beaucoup réfléchi avant de le lancer. Et vraiment je n’aurais jamais imaginé qu’il prendrait de telles proportions.

Qu’ai-je proposé finalement ? Que nous retirions l’armée de la bande de Gaza et en évacuions les colonies. Les Américains m’ont demandé d’y ajouter une poignée de minuscules colonies dans le nord de la Samarie, et je l’ai fait. La belle affaire !

Comme toujours, j’avais un plan pour le meilleur des cas et pour le pire des cas. Dans le meilleur des cas, rien n’en résultera. Ce sera soit le noble, soit le cheval qui mourra . Et pendant ce temps j’aurais prouvé que je suis réellement un homme de paix, j’aurais fait sensation dans le monde entier, j’apparaîtrais comme bon. Et au final, je n’aurais pas eu à renoncer à un seul mètre carré ni à déplacer un seul colon.

Dans le pire des cas, si cela ne marchait pas et que je devais appliquer le plan, ce ne serait pas mal non plus. J’intégrerais ce plan dans mon grand dessein d’annexion de la meilleure partie de la Judée-Samarie en reléguant les Arabes dans une demi-douzaine d’enclaves. Après tout, la bande de Gaza deviendra, de toutes façons, une de ces enclaves. Est-ce que quelqu’un a envie d’avoir ces Arabes dans l’Etat d’Israël ?

J’étais sûr que les dirigeants des colons comprendraient cette logique. Je les ai invités à des entretiens privés dans ma ferme et leur ai dit : Regardez, mes enfants (quoi, ne sont-ils pas mes enfants ?), je vais exécuter une brillante manœuvre. Nous allons sacrifier quelques petites colonies. Toutes les colonies de Gaza et quelques-unes de Samarie. Dans les étapes suivantes, nous aurons également à sacrifier quelques colonies plus importantes au cœur de la Samarie. Désolé, mais il n’y a pas moyen de l’éviter.

Certes, cela fait mal. Je vous avais prévenus qu’il y aurait des « concessions douloureuses » à faire, n’est-ce pas ? Mais considérez cela d’un point de vue historique : nous évacuons quelques milliers de colons, mais nous en sauvons 200.000 autres. Non seulement cela, mais en plus nous ferons venir des centaines de milliers de colons supplémentaires et nous les installerons sur toutes les terres que nous annexerons en Judée et Samarie. C’est comme si nous élaguions quelques branches d’un arbre pour fortifier ses racines et développer son feuillage.

J’étais sûr qu’ils sauteraient là-dessus. Quoi, ne me connaissent-ils pas ? N’ai-je pas parlé avec eux des centaines de fois ? Ne sont-ils pas restés des jours et des nuits dans ma ferme ? Ne comprennent-ils pas les dimensions historiques de ce plan ? Ne voient-ils pas que c’est une gigantesque étape vers la réalisation du sionisme ?

Je leur ai dit : Le sionisme signifie un Etat juif sur tout Eretz Israël, sans Arabes. C’est un processus historique. Le sionisme a toujours su, à chacune de ses phases, comment réaliser ce qui pouvait être réalisé à ce stade. Il comprenait qu’il fallait accepter des limitations de pouvoir, et prendre à chaque moment ce qui pouvait l’être sans abandonner sa détermination à obtenir le reste en temps voulu.

Notre tâche, dans la présente phase, est d’annexer le plus possible de la Judée-Samarie, en laissant les Arabes - pour l’instant - à Gaza, Hébron, Ramallah, Naplouse, Jénine et leurs environs. Qu’ils appellent cela un Etat palestinien nous est bien égal. Mais pour cela nous devons évacuer quelques colonies. Quelques douzaines, oui, et parmi elles, quelques-unes de celles qui nous sont le plus chères. C’est douloureux ? Oui, c’est vrai. Mais on doit considérer l’ensemble du tableau. Pensez à la fin, la phase finale, quand vous et moi ne serons plus là. Les Arabes auront alors quitté ces zones-là aussi.

Et que s’est-il passé ? Les colons ont commencé à s’emporter. Pas une seule colonie ne sera déplacée, se sont-ils écriés.

Je leur ai dit : Regardez, je suis un soldat. Avant la bataille de Abou Ageila , je savais que tout compte fait beaucoup de soldats seraient tués. Ce n’est pas que je ne pensais pas à ce moment-là aux morts et aux familles endeuillées, mais cela ne m’a pas fait flancher. Si l’objectif à atteindre était suffisamment important pour sacrifier ces soldats, il fallait les sacrifier. Pas d’hésitation. Pas d’état d’âme. Quelqu’un qui n’est pas capable de cela ne peut pas commander. Alors prenez-le ainsi.

J’ai pensé qu’ils comprendraient. C’est logique. Mais il s’avère qu’ils se fichent de la logique. Ils étaient en transe. Toutes sortes de fous, de rabbins et de Juifs convertis les excitaient. Ils disaient que si nous évacuons une seule colonie, on ne pourra plus arrêter le processus, qu’à la fin nous les évacuerons toutes. J’ai essayé de les calmer mais ils étaient devenus fous.

Et qui étaient-ils ? Le croirez-vous ? Les colons de Gush Katif, qui étaient travaillistes au départ. Qui les a installés là ? Israël Galili et Moshe Dayan . Ils ne devraient donc pas se référer à Dieu et aux commandements de la Bible pour cultiver la terre d’Eretz Israël. Mais le noyau dur religieux des colons de Judée-Samarie les excite et maintenant on en arrive à une sorte de guerre entre le peuple d’Israël et les colons dans leur ensemble.

Qui aurait pu imaginer il y a cinq ans que moi, Arik, je deviendrais l’ennemi numéro un des colons ? Qu’ils me maudiraient et comploteraient pour me tuer ? Que je préparerais l’armée à l’évacuation des colons, moi qui les avais élevés et dorlotés ? C’est l’ironie de l’histoire.

Je serais beaucoup plus heureux aujourd’hui si j’étais avec ces gars, les colons, et menais une vie d’enfer à un autre Premier ministre.

Quelqu’un a écrit que c’est une guerre entre l’Etat d’Israël et l’Etat juif. Qu’elle concerne la véritable identité de l’Etat. Que moi, un Israélien de naissance du village de Malal, je briserais les fanatiques religieux des colonies qui veulent détruire la démocratie israélienne. Rien ne pourrait être plus loin de mes pensées. J’ai toujours respecté les religieux et leurs rabbins. Une fois j’ai même été jusqu’à dire qu’il est plus important d’étudier le Talmud que de servir dans une unité combattante de l’armée.

Mais quelle alternative ai-je ? C’est comme si je nageais dans la mer et que des courants beaucoup plus forts que moi me rejetaient vers la côte. Je ne peux pas renoncer au plan, parce que j’ai une obligation envers Bush et parce que je dois faire preuve d’une volonté de fer, autrement Bibi et les autres hyènes du parti me mangeront. Et je dois protéger l’armée. Sans l’armée, que resterait-il d’Israël ?

C’est ainsi. On doit se préparer à une autre journée de travail. On doit installer une coalition avec ces moins-que-rien, programmer les mouvements contre Abou Mazen qui sera élu demain et est en train d’essayer de se montrer plus futé que moi avec des paroles mielleuses et, plus important, traiter avec les colons, qui déclencheront néanmoins une guerre civile.

Qui aurait cru qu’on en arriverait là ?

Article publié sur le site de Gush Shalom en hébreu et en anglais le 8 janvier 2005 - Traduit de l’anglais « How The Hell Did This Happen ? » : RM/SW

Source : France Palestine
http://www.france-palestine.org/article982.html

Ce texte n'engage que son auteur et ne correspond pas obligatoirement à notre ligne politique. L'AFPS 59/62,  parfois en désaccord avec certains d'entre eux, trouve, néanmoins, utile de les présenter pour permettre à chacun d'élaborer son propre point de vue."

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