AFPS Nord Pas-de-Calais CSPP

   



« Accordez-moi quelque crédit ! »

Uri Avnery
 
« Accordez-moi quelque crédit ! » a lancé, en février 1960, lors de la convention du parti travailliste, Levi Eshkol, le nouveau Premier ministre israélien, à David Ben Gourion

A partir du moment où il avait démissionné, Ben Gourion a commencé à mettre des bâtons dans les roues à son successeur. Eshkol, qui jusqu'alors ne s'était occupé que de finances, semblait insignifiant et inefficace par rapport à son prestigieux prédécesseur, le Père de l'Etat, le dirigeant pendant deux guerres.

Eshkol a prononcé ces mots dans leur sens littéral. Il a dit : « Ben Gourion, je vais utiliser un langage de trésorier : accordez-moi quelque crédit ! C'est tout ce que je demande pour un seul mandat, quatre ans au plus ! »

Cet appel spectaculaire n'a servi à rien. Ben Gourion a quitté le parti et a continué à jeter de l'huile sur le feu.

Abou Mazen se trouve dans une situation semblable aujourd'hui. Lui aussi pourrait lancer « Accordez-moi quelque crédit ! »

Bien entendu, son grand prédécesseur ne peut pas l'attaquer, sauf indirectement par le biais de son héritage. Mais Abou Mazen a assez d'opposants dans son propre parti, le Fatah.

La télévision présente cela comme un combat personnel entre lui et la génération suivante, en particulier Marwan Barghouti. C'est dans la nature de la télévision. Puisque le petit écran est à son meilleur quand il montre un visage humain mais est incapable de montrer des idées, toute controverse devient une question de personnes (confirmant ainsi la fameuse phrase du penseur canadien Marshall McLuhan, « le moyen est le message » - ce qui veut dire que la réalité est formée par la caractéristique du média.)

Naturellement, la controverse Abou Mazen-Barghouti reflète en partie une confrontation personnelle et générationnelle. Abou Mazen représente la vieille garde du Fatah, alors que ses opposants représentent les combattants des première et seconde Intifadas. Mais la vraie confrontation est entre deux conceptions du monde et entre deux grandes stratégies pour la lutte de libération nationale palestinienne.

J'ai entendu le nom d'Abou Mazen pour la première fois en 1974, quand j'ai établi des contacts avec la direction de l'OLP. J'ai demandé à mon premier partenaire, Saïd Hamami, le martyre de la paix, qu'il me dise qui était derrière lui. Il m'a précisé, en confidence, que le Fatah avait formé un comité de trois membres pour diriger les contacts avec les Israéliens. Je les appelais les « trois Abou » - Abou Amar (Yasser Arafat), Abou Mazen (Mahmoud Abbas) et Abou Iyad (Salah Khalaf).

Parmi les trois, Abou Mazen était directement chargé des affaires israéliennes. Sa thèse de doctorat à l'Université de Moscou était sur les activités du mouvement sioniste pendant l'Holocauste, et une fois il m'a même demandé de lui apporter des ouvrages sur l'affaire Kastner (les négociations entre le Comité de secours sioniste et Adolf Eichmann en 1944).

Je l'ai rencontré pour la première fois en tête à tête quand une délégation du Conseil israélien pour la paix israélo-palestinienne (le général Matti Peled, l'ancien directeur du Trésor Yaacov Arnon et moi-même) a été invitée à rencontrer Arafat à Tunis en janvier 1983. Avant la réunion, nous avons parlé avec Abou Mazen, comme dans toutes les rencontres suivantes à Tunis : d'abord nous échangions toujours nos idées avec Abou Mazen et ensuite nous présentions nos propositions à Arafat, qui avait le dernier mot.

Cette expérience m'aide à comprendre l'approche d'Abou Mazen aujourd'hui. Sa stratégie est la suivante : l'attention principale doit être dirigée vers les Etats-Unis et l'opinion israélienne. Il y a maintenant une opportunité de changer la politique unilatérale du Président Bush. Au cours de son second mandat, il peut ignorer le puissant lobby juif puisqu'il ne peut pas se présenter une troisième fois.

L'opinion israélienne aussi peut changer. Pour cela, il faut que l'Intifada armée s'arrête. Du point de vue d'Abou Mazen, elle n'a apporté aucun bénéfice aux Palestiniens mais a plutôt porté préjudice à leur cause.

Presque toute la jeune génération du Fatah rejette d'emblée cette façon de voir. Elle croit qu'elle repose sur des illusions. Bush est sous l'influence de Sharon et, de toute façon, il fait partie des fondamentalistes chrétiens qui soutiennent la droite la plus extrême en Israël. D'autre part, il ne sert à rien de compter sur le camp de la paix israélien qui a oublié les Palestiniens dans leurs moments de plus grande détresse. A part quelques petits groupes, ils n'ont rien fait pour mettre fin à l'occupation sauvage, aux assassinats, à la destruction et à la famine, au scandaleux Mur de séparation et à l'expropriation de la terre et de l'eau. La seule chose que ce camp de la paix fasse est de publier des papiers qui de toute façon n'ont aucun effet.

Les actions armées, croient les jeunes militants du Fatah, portent vraiment leurs fruits. Elles ont frappé durement l'économie israélienne. Elles ont créé une atmosphère de peur et une réalité de pauvreté. Elles ont fait avancer l'idée du retrait des territoires palestiniens. Les Israéliens ne comprennent que le langage de la force.

Une variante plus modérée de cette attitude propose l'intensification des attaques sur les colons et les soldats, mais l'arrêt des attentats contre des civils en Israël même. Autrement dit les attentats-suicide.

Quand Arafat était vivant, il n'y a pas eu de controverse parce qu'Arafat, selon son habitude, a réalisé une synthèse entre les deux approches. Il utilisait - alternativement ou simultanément - la diplomatie ou la violence selon la situation. Les partisans des deux stratégies le considéraient comme leur dirigeant. Et, effectivement, Arafat a suivi la stratégie de reconnaître Israël et de discuter avec lui, comme à Oslo. Mais quand il est arrivé à la conclusion que cette démarche se heurtait à un mur israélien, il a utilisé la violence. Marwan Barghouti était son élève.

Maintenant Arafat est parti. Les deux stratégies s'affrontent dans la société palestinienne et peut-être dans chaque maison palestinienne.

Une chose doit être claire : le débat sur la stratégie ne reflète pas une divergence sur les objectifs. Tous les groupes du Fatah sont unis autour des objectifs définis par Arafat : un Etat palestinien, les frontières d'avant 1967 (avec de possibles échanges de territoires), Jérusalem-Est comme capitale de la Palestine, la souveraineté sur le Mont du Temple, l'évacuation des colonies, une solution négociée du problème des réfugiés. Tout le monde est d'accord là-dessus.

Comment cette controverse sera-t-elle réglée ?

Il ne sera pas facile pour les porteurs de costumes de vaincre les porteurs de kalachnikovs, qui mettent chaque jour leur vie en jeu. Mais les Palestiniens utiliseront leur intelligence. Ils peuvent très bien se demander : Abou Mazen veut du crédit ? Donnons-lui du crédit. Il croit qu'il peut obtenir des concessions de Bush et de Sharon ? Pourquoi ne pas lui donner une chance ?

Laissons-le essayer d'obtenir la cessation des « exécutions ciblées », du « contrôle des assassinats », de la démolition des maisons, des humiliations aux barrages. Laissons-le essayer d'obtenir que de véritables négociations de paix commencent. Voyons si Bush lui offre plus que des phrases creuses.

La première fois, quand les Américains ont fait pression sur les Palestiniens pour qu'Abou Mazen soit nommé Premier ministre, celui-ci n'a rien obtenu. Sharon lui a donné un coup de couteau dans le dos. Bush l'a ignoré.

Si cette fois il peut réellement arriver à quelque chose - tant mieux. Sinon, les kalachnikovs parleront de nouveau ; c'est ce qu'il y a derrière la décision de Marwan Barghouti de ne pas se présenter cette fois-ci.

Tout crédit expire un jour ou l'autre. Dans six mois ? dans un an ? certainement pas plus. Abou Mazen a déjà promis à Barghouti d'organiser des élections à l'intérieur du Fatah dans les neuf mois.

Si le crédit ne rapporte pas d'intérêts, la Troisième Intifada suivra certainement.

Traduit de l'anglais « Give Me Some Crédit ! » : RM/SW

Source : France Palestine  http://www.france-palestine.org/article839.html

Ce texte n'engage que son auteur et ne correspond pas obligatoirement à notre ligne politique. L'AFPS 59/62,  parfois en désaccord avec certains d'entre eux, trouve, néanmoins, utile de les présenter pour permettre à chacun d'élaborer son propre point de vue."

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